mardi 14 juin 2022

Robert Crumb, de la BD underground aux galeries d'art

Sur le site de France Inter.


On ne peut pas vraiment dire que le dessin a été une vocation chez Robert Crumb : quand il naît en 1943 à Philadelphie, son frère aîné, Charles, "était le dominant. 

C'est lui qui a nous emmenés vers le dessin, le cartoon. Quand on était gamins, on dessinait tout le temps. 

C'était vraiment mon frère Charles, c'était son influence, il m'a un peu mis ça sur le dos ; et probablement je lui en suis reconnaissant maintenant que j'y pense. 

Parce que sans ça je ne sais pas ce que j'aurais fait. Je ne sais rien faire d'autre." 

Alors, ce n'était pas un choix d'être dessinateur ? Robert Crumb répond : "Non ce n'était pas un choix. C'était la seule chose que je pouvais faire."

Dans les années 1960 il fait du dessin "très commercial", avoue-t-il, sans trop d'enthousiasme. 

Le tournant, c'est en 1965 : "J'ai pris du LSD et ça a tout changé. Je me suis enfui et je suis allé à San Francisco. 

Je suis devenue hippie et j'ai pris beaucoup de LSD. Et cela a complètement changé mon travail et mon approche globale de mon travail".

Sa femme Aline Kominsky, elle aussi dessinatrice, confirme : jusqu'alors, son style était très doux, "mais quand il a pris du LSD, c'est devenu révolutionnaire, plein de sexe et de violence, tout en gardant la rondeur du style des BD de notre enfance." 

Ses personnages, dont les plus connus Fritz The Cat et Mister Natural, empruntent beaucoup à Robert Crumb lui-même : obsédé sexuel, parfois violent avec les femmes, cynique, dépressif, lâche et égocentrique.

Avec Aline, rencontrée en 1971, il forme un drôle de couple. 

Elle participe alors à San Francisco à un collectif d'illustratrices féministes "Wimmen's Comix", une petite révolution tant le milieu est masculin à l'époque. 


Ses relations s'enveniment avec les autres dessinatrices, à cause de sa relation avec Robert : "Cela a tourné au conflit avec ces femmes qui désapprouvaient le fait qu'elle était avec moi", raconte Crumb. 

"Parce que j'étais considéré comme un artiste terrible, sexiste, affreux, misogyne."

Et quand on demande à Robert Crumb s'il l'était vraiment, misogyne : "Je ne sais pas", répond-il.

"J'ai juste fait ce que j'ai fait. C'était malsain, c'était bizarre. C'était tordu. Ouais, je ne sais pas."

En tout cas, il est clair pour lui qu'il n'est pas féministe : "Non, je suis un homme ! Je suis un gars ! Je ne peux donc pas être un artiste féministe. 

Et, oui, j'ai beaucoup de colère contre les femmes. En fait... plus tant que ça maintenant. Mais quand j'étais jeune, j'avais beaucoup de colère contre les femmes. 

Je suis allé dans une école catholique et les professeurs étaient toutes des femmes, des bonnes sœurs, elles étaient très sévères contre les garçons. Les garçons étaient automatiquement mauvais, et les filles étaient vertueuses. 

Les sœurs frappaient souvent les garçons, elles vous frappaient fort. Elles avaient ce chapelet avec de grosses perles et une grosse croix en métal, et elles le faisaient voler au-dessus de nos têtes."

Aline féministe, Robert pas du tout : le couple, inséparable, continue aujourd'hui d'avoir des désaccords. 

Par exemple sur la vaccination contre la Covid. Aline a reçu ses trois doses ; Robert ne veut pas du vaccin, trop méfiant à l'égard des géants pharmaceutiques. 

Et à partir de ce débat familial, ils dessinent aujourd'hui à quatre mains, voire à six mains avec leur fille Sophie, elle aussi illustratrice et installée près de ses parents dans le Gard. 

Ils nous font découvrir aujourd'hui cette histoire en BD intitulée "Exposé de la famille Crumb sur la Covid".


Aline raconte que cela commence à la table du petit-déjeuner le matin avec le café, ils prennent d'abord des notes. 

Robert précise : "C'est au crayon de papier. Je dessine, j'écris mon dialogue, et je lui donne, en disant "vas-y, réponds à ça". 

Et elle dessine autre chose, avec sa réponse à mon truc. Ensuite, je réponds à son truc. Et ça va, ça vient. C'est un dialogue, sur des bouts de papier." 

Cela fait des années qu'ils mènent ce travail collaboratif, une expérience inédite dans une famille.

Ces planches sont exposées pour la première fois dans une galerie d'art parisienne, la galerie Zwirner. 

C'est d'ailleurs un paradoxe. Le "roi de la BD underground" est aujourd'hui l'objet d'expositions, au musée ou en galeries. 

Ses planches originales se vendent jusqu'à 750 000 euros. 

Et quand on demande à cet ancien baba cool si ça ne le dérange pas, il répond : "C'est ironique, n'est-ce pas ? Je ne peux pas expliquer comment je me suis retrouvé dans ces galeries d'art." 

S'il concède qu'il est devenu une institution, il précise qu'il n'est "pas très à l'aise avec le monde des beaux-arts. 

Toute la scène artistique est tellement saturée par la richesse et l'argent. C'est une scène pour les gens fortunés. Et ça m'inquiète que seuls les riches puissent voir mon travail, et de ne pas atteindre les classes moyennes. 

Je continue à aimer l'idée que le travail que je fais, puisse être apprécié et vu par des gens ordinaires, pas seulement des gens qui ont beaucoup d'argent, qui la moitié du temps, ne savent même pas ce qu'ils regardent ; ils ne font qu'investir dans mes planches."

L'important pour Crumb, c'est de paraître en album, d'être imprimé, "pas d'être accroché au mur." 

Il reconnaît toutefois que la vente de ses originaux lui permettent de vivre confortablement aujourd'hui. 

L'ex-hippie de San Francisco s'est enrichi, mais si l'on met de côté le LSD, il n'a pas changé tant que ça.

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