samedi 1 juin 2013

« Le bleu est une couleur chaude » dans La Presse


Il s'est dit beaucoup de choses sur le film La vie d'Adèle - Chapitres 1 & 2 depuis qu'il a remporté la Palme d'or à Cannes. Que c'était une grande histoire d'amour, que les actrices avaient fait corps avec le réalisateur, que les scènes de sexe étaient sulfureuses... On a moins rappelé, toutefois, que ce film était l'adaptation d'une fabuleuse bande dessinée au titre intrigant : Le bleu est une couleur chaude.


Les textes d'Alexandre Vigneault dans La Presse:


Les bleus de l'amour

Avant la jeune Adèle du film d'Abdellatif Kechiche, il y a eu la Clémentine de la bédéiste Julie Maroh. Point commun entre les deux héroïnes : elles sont toutes deux tombées amoureuses d'Emma, la fille aux cheveux bleus par qui cette couleur froide devient le symbole d'un amour passionnel, à la fois libérateur et déchirant.

Le cinéaste palmé d'or à Cannes s'est en effet inspiré de Le bleu est une couleur chaude, superbe roman graphique paru en 2010, pour son dernier film. Ne le cherchez pas tout de suite en librairie : les stocks sont épuisés et les exemplaires commandés n'arriveront pas avant plusieurs jours ou même quelques semaines.

Le couronnement de La vie d'Adèle constitue un jalon supplémentaire dans le parcours déjà extraordinaire de l'oeuvre intimiste de Julie Maroh. Avant d'être remarquée à Cannes, cette histoire d'amour avait en effet été célébrée dans un autre festival, celui d'Angoulême : en janvier 2011, Le bleu est une couleur chaude y avait en effet remporté le prix du public.

« C'est le plus beau prix qui pouvait lui arriver et ça fait justement tellement du bien d'être entendue, primée, par... le public », avait écrit la bédéiste sur son blogue à l'époque. Ses remerciements n'avaient rien de symbolique : ce prix signifiait que son histoire de filles touchait un lectorat pas seulement homosexuel, ce qu'elle souhaitait depuis le début.

Le bleu est une couleur chaude est un récit fin, tendre et passionné mené par une jeune auteure déjà étonnante. Il faut du doigté et une grande intelligence du coeur pour raconter un amour naissant, qui plus est encore adolescent, sans verser dans le romantisme guimauve. Julie Maroh a réussi ce rare tour de force, tant sur le plan du texte que du dessin.

Ce qui contribue à donner de la couleur au récit, c'est bien sûr que cet amour ne va pas de soi pour la jeune Clémentine. Une fille, ce n'est pas censé aimer les... filles. L'adolescente a donc tout un tsunami émotif à gérer : la découverte de son homosexualité, sa lutte contre elle-même, contre les préjugés, son jeu de séduction avec cette Emma qui l'intrigue, l'enflamme et la garde à distance.

Vrai, mais pas autobiographique

L'angoisse auprès d'un téléphone obstinément silencieux, l'incertitude quant aux sentiments de l'Autre, les hauts et les bas de l'amour, tout ça est rendu avec vérité et une infinie tendresse par l'auteure, qui a déjà précisé qu'il ne s'agissait pas d'une oeuvre autobiographique. Ses planches, habilement composées, pour la plupart dominées par un gris délavé à l'aquarelle et parfois percées d'éclats de bleu, révèlent un trait immensément sensible.

Le bleu est une couleur chaude est une vraie splendeur : un récit proprement bouleversant - on ne s'en tire pas les yeux secs - sur la découverte de l'amour (surtout) et de la chair. Plutôt pudique, aussi, d'où peut-être la réaction de l'auteure devant les scènes d'amour torrides d'Abdellatif Kechiche. Sur son blogue, elle a en effet avoué avoir beaucoup de mal avec ce sexe lesbien qu'elle juge froid et peu crédible.

« Je ne vois pas le film comme une trahison. La notion de trahison dans le cadre de l'adaptation d'une oeuvre est à revoir, précise-t-elle dans ce même texte publié le 27 mai dernier. Car j'ai perdu le contrôle sur mon livre dès l'instant où je l'ai donné à lire. C'est un objet destiné à être manipulé, ressenti, interprété. » Ressenti, oui, voilà le mot juste.

Le bleu est une couleur chaude
Julie Maroh
Glénat, 160 pages
★★★★



Julie Maroh en bref


Jeunesse

Originaire de la région du Nord-Pas-de-Calais, Julie Maroh, née au milieu des années 1980, a fait des études en arts appliqués à Roubaix et à Bruxelles (option BD à l'Institut Saint-Luc).

Vers le bleu

Elle a 19 ans quand elle imagine le scénario de l'album Le bleu est une couleur chaude. Cinq années de travail seront nécessaires à la création de ce roman graphique de 160 pages.

Sortie remarquée

Glénat publie Le bleu est une couleur chaude en avril 2010. Tirage initial : 5500 exemplaires. Julie Maroh est estomaquée d'apprendre que son livre sera déjà réimprimé un mois plus tard.

Chouchou du public

En janvier 2011, l'album remporte le Prix du public au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, qui est à la fois le Festival de Cannes et les Oscars du neuvième art.

L'or à Cannes

Abdellatif Kechiche remporte la Palme d'or avec La vie d'Adèle - Chapitres 1 & 2, adaptation de la bédé de Julie Maroh. C'est la première fois qu'un film inspiré d'une BD remporte cette distinction. « C'est beaucoup à porter », écrit la jeune bédéiste sur son blogue.

Sorties à l'automne

Le bleu est une couleur chaude est le seul album officiel de Julie Maroh, qui a publié quelques trucs à compte d'auteur et participé à des ouvrages collectifs. Son automne 2013 sera intense : un livre sur Brahms et un nouveau roman graphique « réalisé principalement à l'acrylique » intitulé Skandalon.

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