Marie-Claire Ducas dans le Journal de Montréal.
Une édition papier seulement. Pas d’internet. Aucune publicité. C’est la recette de l’hebdomadaire de satire et d’information français Le Canard enchaîné, qui fête son centenaire.
La publication arrive à 100 ans avec une situation économique enviable: un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros, des bénéfices de 2,4 millions d’euros et 70 salariés qui comptent parmi les mieux payés de la presse française.
En fait, le «vrai» centenaire du Canard tel qu’on le connaît sera l’an prochain: le journal, qui a vu le jour le 10 septembre 1915, s’est sabordé après cinq numéros pour reparaître en 1916 avec une nouvelle formule. L’anniversaire n’en a pas moins été souligné par nombre de médias, visiblement fascinés par la réussite de sa formule ancrée dans un autre siècle. Le Canard enchaîné mise sur le texte en abondance et quelques dessins (mais pas de photos), enrobés d’une maquette austère. Le tout, sur papier seulement: le site internet se contente de relayer les unes, de fournir quelques indications pratiques... et d’expliquer pourquoi il ne fait rien d’autre en ligne. Le compte Twitter ne retransmet que quelques titres, sans les développer.
Le Canard enchaîné ne comporte pas non plus de publicité. Il faut dire que la formule n’a rien pour inciter entreprises et organisations à payer pour y être présentes: le journal satirique est spécialisé dans les révélations impliquant la classe politique et, parfois, la grande entreprise. Parmi les scoops notoires, on retrouve la révélation, en 1979, que le président Valéry Giscard d’Estaing avait reçu en cadeau des diamants de la part du dictateur centrafricain Jean-Bedel Bokassa. Le Canard a aussi dénoncé, en 1995, l’attribution de logements sociaux à un fils du premier ministre Alain Juppé et, en 1997, aux enfants de Jean Tiberi, alors maire de Paris. L’an dernier, la publication du coût des rénovations de l’appartement de fonction du secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon, a précipité la chute du leader syndical.
Un modèle encore viable ?
Le journal vend, chaque semaine, près de 400 000 exemplaires... dont plusieurs sont scrutés, dès la parution le mercredi, par les ministres, députés et autres notables français. Alors que certains médias, face à la baisse et à la fragmentation de la publicité, remettent des «paywalls» et cherchent comment faire participer les lecteurs à leur financement, Le Canard semble donc avoir, à cet égard, une recette qui fonctionne.
Reste à voir si ce modèle peut subsister. En matière de scoops politiques, Le Canard a maintenant une sérieuse concurrence de la part de Mediapart qui, lui, paraît en ligne. Ses ventes demeurent bonnes, mais ont baissé depuis 2011; le lectorat vieillit et est de moins en moins urbain. «En n’étant pas sur le numérique, la marque est absente et, dans 10 ans, les jeunes ne connaîtront plus le nom du Canard enchaîné», disait, dans une entrevue à Libération, Laurent Valdiguié, coauteur d’un livre sur Le Canard enchaîné. Ce à quoi le rédacteur en chef du Canard répond: «On ne dit pas qu’on n’évoluera jamais, mais on le fait avec prudence. Les journaux, en publiant leur contenu sur internet gratuitement, se sont piratés eux-mêmes. Le secret de la liberté, c’est d’être indépendant financièrement.»
Également sur ce blog: Le Canard enchaîné (en dessins)
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