samedi 1 octobre 2016

Entretien avec Coco

Sur le site de Mediapart.


Discrète dans les médias, la dessinatrice de Charlie Hebdo Corinne Rey, alias Coco, a accepté de répondre à quelques questions, revenant notamment sur l’Après-Charlie.

Elle nous offre son regard sur le dessin de presse, sur ses limites, sur son rôle et ses enjeux.

Extraits:

Le dessin de presse, c’est quoi ?

Le dessin de presse, c’est un dessin engagé, qui dénonce, critique et fait rire. C’est un dessin particulier, impactant, qui doit être selon moi à la fois efficace, et synthétique. On le confond souvent avec la caricature. Or, la caricature, si elle fait partie du dessin de presse, reste un outil pour dégager un propos. Le dessin de presse se doit d’être drôle et efficace, et la caricature est un moyen d’y parvenir.

Comment être certain de rendre une caricature pertinente ?

Cabu me disait : « Tout est dans les yeux ». Si on foire le regard, ça ne ressemble plus au sujet. Tu peux foirer le menton, les oreilles, ça on s’en fout. Mais les yeux, c’est le plus important : le reste suit naturellement, c’est un tout. 
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Cette vocation, d'où vient-elle ?

J’ai commencé à dessiner très jeune. J’ai deux frères, je suis la seule fille : le dessin a toujours été un moyen d’être dans ma bulle. Au lycée, je caricaturais les profs, ça faisait marrer. Le côté artistique et simple du dessin (papier/crayon) me ressemble. 

J’aime bien la simplicité du dessin. Je suis franche, donc j’aime le côté incisif du dessin de presse. Il dénonce, il critique - négativement ou positivement. Le dessin synthétise des choses mieux qu’un texte. J’aime ça. 

On voit dans le dessin de presse que certains ont un style épuré, qui laisse surtout la place aux idées. Je suis d’accord avec ça, le dessin de presse, c’est d’abord des idées. Mais j’aime aussi le graphisme, la beauté du trait. Personnellement, j’ai encore des progrès à faire, j’ai quelques failles, notamment les décors et les perspectives.

Quelles sont tes inspirations ?

J’ai été à « l’école Charlie ». J’ai beaucoup appris là-bas. J’y ai rencontré des gens très simples, très drôles. Ça pissait d’idées et de vannes. Le métier de dessinateur est un métier d’ordinaire solitaire, c’était la première fois que je bossais dans une ambiance collective comme ça, que je me confrontais à une forme d’émulation. 

Alors évidemment, qui n’a jamais été admiratif en voyant Cabu dessiner des gens aussi facilement ? Deux traits, un regard et c’est bon ! L’école Charlie a été très formatrice, pour moi. Dans mes références, j’ai aussi Franquin : j’ai été une grande lectrice de Gaston Lagaffe et des Idées noires, ce sont des univers incroyables. Franquin peut tout dessiner. 

J’aime bien aussi les Simpson, c’est une très bonne critique de la société américaine profonde, et des rapports humains. On est parfois dans le cliché avec les Simpson, mais j’aime bien cet univers graphique.

Que signifie ce boulot pour toi ?

Je dessine tous les jours. Ça paraît con à dire, mais sans le dessin, qu’est-ce que je ferai ? J’ai la chance que ça ait marché assez vite de mon côté. Après mon stage chez Charlie (à la sortie de mes études aux Beaux Arts de Poitiers), j’ai créé un site internet pour diffuser mes dessins, tout en continuant à aller à Charlie



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Penses-tu que cette discipline est nécessaire ?

Elle est nécessaire pour défendre les choses importantes. À Charlie, on est très attachés à la défense de la liberté d’expression et de la laïcité. Ce sont des choses qui me paraissent essentielles. Je crois au « Vivre ensemble », même si aujourd’hui on est plus dans une idée de « Se supporter ensemble ». Je crois que beaucoup de pays nous envient la laïcité, et nous envient Charlie

En France, on a cette chance d’être une république démocratique. On a la chance d’avoir cette liberté d’expression qui nous permet de dire ce que l’on veut. La limite, c’est la loi. La loi c’est quoi ? C’est ce qui interdit la diffamation, l’injure. 

Mes dessins ne tombent jamais là-dedans. C’est donc nécessaire, car avec ce genre de discipline, on est libre de poser des questions, d’inviter à penser autrement, à réfléchir. 

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( À propos du dessin du petit Aylan à côté du panneau McDonald’s)

Il y a beaucoup de personnes qui ont découvert Charlie et l’esprit satirique l’an dernier, et n’ont pas les codes de lecture nécessaires. C’est une des raisons pour lesquelles le dessin a choqué. Il ne faut pas se cantonner à lire l’image telle qu’elle est : il faut comprendre ce qu’il y a derrière. 

Le dessin de presse doit-il être engagé ?

Évidemment ! On n’est pas là pour faire du main stream et aller dans le sens de Monsieur Tout-le-monde ! Si l’on est là pour dessiner des souris, des bisounours, si l’on est là pour dire « les terroristes c’est pas bien », quel est l’intérêt ? Il faut aller plus loin ! 

Quand je vois les dessins de Plantu avec marqué « Connards » pour dénoncer les terroristes, j’ai envie de dire « Bah oui, on est tous de cet avis. Mais à part ça ? » Il faut inviter une réflexion et aller plus loin que le sujet en lui-même. Il faut dénoncer, tout simplement. 

Dans le cas précis du terrorisme, c’est cette appropriation et cette interprétation que les terroristes font d’une religion, qu’il faut montrer du doigt. Tous les musulmans en pâtissent : c’est de ça qu’il faut parler, c’est ça qu’il faut montrer. Alors oui, les terroristes sont des connards, mais si on ne dit rien d’autre dans nos dessins, ça tombe à plat !

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Hormis la loi, y a-t-il selon toi une autre limite, dans le dessin de presse ?

En dehors de la loi, pour moi, il n’y en a pas. Je ne me suis jamais cachée pour pouvoir dessiner quoi que ce soit. La religion par exemple : pour moi, en tant qu’athée, un prophète ne représente rien. Quand on caricature un politique, on en fait un personnage, c’est pareil pour la religion. Ça devient un outil, pour faire passer une idée. Je ne trouve pas ça choquant non plus, je crois que c’est juste un moyen de dire quelque chose. 

Même pour un croyant : le croyant qui voit son prophète dessiné (que cela soit interdit ou pas), même si ça le dérange, ne perd pas sa foi à cause de ce dessin ! Le croyant qui a foi en son dieu, et bien il a foi en son dieu, et puis mon dessin c’est autre chose ! Il n’engage en rien son dieu, ni sa foi de croyant, quelle que soit sa religion !

C’est l’idée du « ceci n’est pas une pipe » ?

C’est tout à fait ça ! On dessine notre interprétation du sujet, cette interprétation nous est propre et n’atteint en rien le sujet d’origine. On critique des dogmes, jamais des individus. Et c’est ce qui est tragique dans le 7 janvier. Quand on fait un dessin, c’est pour ouvrir un débat, une discussion. Tuer pour un dessin, un article, un blog, c’est scandaleux, abominable, où que ce soit.

As-tu changé ta façon de travailler depuis le 7 janvier 2015 ?

Non, je ne crois pas. Rien n’a changé sur le fond du journal. On a toujours les mêmes convictions. Moi, je fais toujours le métier que je voulais faire, celui que j’ai appris chez Charlie. On se place toujours du côté des plus faibles, du côté des minorités, et de leur défense. C’est un fer de lance pour Charlie ! La chose qui a le plus changé, c’est l’impact mondial de nos dessins. Je pourrais m’en taper, mais j’ai envie que mes dessins soient compris et pas interprétés injustement ou à tort.

Comment perçois-tu ton métier aujourd’hui ?

Après l’attentat, je me suis focalisée sur le dessin. Je me suis mise dans une bulle. Ça été dur, on était peu nombreux et dans un état déplorable. Aujourd’hui, je perçois mon métier avec beaucoup plus de responsabilités qu’avant, par la force des choses, parce que deux cons sont arrivés un matin... Deux cons pas si cons que ça finalement ! Je ne vais pas leur prêter « l’intelligence d’un cendrier vide », c’est beaucoup plus profond : ils savaient ce qu’ils faisaient. 




Donc oui, j’ai beaucoup plus de responsabilités, par rapport au journal notamment : il faut que le journal dure et vive, c’est ce qui nous fait tous tenir. Je pense qu’énormément de personnes qui ont défilé le 11 janvier, ne l’ont pas fait pour rien. C’est vrai que dans les mois qui ont suivi, beaucoup de gens ont craché sur ce jour, et moi je ne suis absolument pas d’accord avec ça. 

Quelle que soit la raison pour laquelle les gens ont défilé, ils étaient là dans un mouvement solidaire : pour soutenir la liberté d’expression, pour soutenir Charlie, pour soutenir les juifs, les policiers. Ils ont marché contre l’antisémitisme, contre la haine, contre le terrorisme. En bref, pour plein de raisons qui sont valables et fortes. Les gens auront beau pisser sur le 11 janvier autant qu’ils voudront, ce jour là a existé, et il est gravé dans nos esprits.

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Quel est ton meilleur dessin ?

Ma couv’ sur Bowie, peut-être ? C’est une idée toute conne, mais ça m’est venu assez rapidement. J’aimais bien cette image du « costume réglisse », c’était graphique. Et puis j’aimais bien l’artiste, donc le sujet me parlait. 



J’aime aussi beaucoup la couv’ « Ils ont les armes, on les emmerde, on a le champagne » : c’est presque comme une petite fierté personnelle, car si le 13 novembre a choqué tout le monde, pour nous ça a eu une résonance particulière. Une impression de déjà-vu. Les idées ont donc fusé. 

Après, il y a un autre dessin que j’aime bien, que j’ai fait au moment du Mariage pour Tous : j’avais dessiné deux femmes à poil qui s’embrassaient, avec des petites touffes sur le pubis, en écrivant « Oui au Mariage pour Touffes ! ». On ne fait pas beaucoup de jeux de mots à Charlie, mais celui là était bien passé.



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