À la mort de Jacobs, en 1987, seule la Ville de Liège pouvait s’enorgueillir de posséder deux planches remarquables du créateur de Blake et Mortimer.
Jaloux de ses originaux, l’auteur avait, dans un effort surhumain, légué au Fonds de la bande dessinée une planche de La Marque jaune et une autre du tome 2 du Mystère de la Grande Pyramide , en vue de la création d’un musée de la bande dessinée à Liège, dont la première pierre attend toujours d’être posée…
Jaloux de ses originaux, l’auteur avait, dans un effort surhumain, légué au Fonds de la bande dessinée une planche de La Marque jaune et une autre du tome 2 du Mystère de la Grande Pyramide , en vue de la création d’un musée de la bande dessinée à Liège, dont la première pierre attend toujours d’être posée…
Dans les années 1990, une seule planche de Jacobs a été vendue officiellement. Elle avait été subtilisée du vivant de l’auteur, à New York, après le démontage de l’exposition organisée en marge du premier Congrès international de la bande dessinée.
C’est la planche 23 du Piège diabolique, qu’un certain Maurice Horn n’avait jamais restituée, en dépit des nombreuses mises en demeure de Jacobs.
L’original de la couverture de S.O.S. Météores circulait également sous le manteau, avant d’être acquise par Jean-Louis Carette, le patron de La Bande des Six Nez. Des planches prêtées par la Fondation pour deux expositions Jacobs, en 1988 et en 1990 étaient aussi tombées entre les mains de receleurs mais il n’y avait pas là de quoi alimenter un véritable marché des collectionneurs.
A défaut de planches originales, les amateurs de Jacobs ont donc commencé par chasser des pièces moins prestigieuses mais révélatrices du talent de l’auteur et de la virtuosité d’une œuvre dans laquelle rien n’était laissé au hasard.
« Je n’ai jamais connu Jacobs, nous dit un de ces collectionneurs de la première heure, sous le sceau de l’anonymat, et je n’ai jamais été en relation avec sa Fondation. Mais j’ai pu acquérir la quasi-totalité des originaux de son autobiographie, L’Opéra de papier. J’ai même permis à l’association française des Amis de Jacobs de les reproduire pour que tout le monde puisse en profiter. »
Un autre de ces passionnés nous parle de sa fascination pour les bleus de coloriage : « J’en ai eu huit du Secret de la Grande Pyramide, six de L’Enigme de l’Atlantide, cinq de L’Affaire du collier, vingt-sept des deux tomes des 3 Formules du professeur Sato.
J’ai aussi pu racheter une véritable pièce d’archéologie : les gammes de couleur de Gordon l’intrépide, le tout premier essai de bande dessinée de Jacobs, réalisé pour le magazine Bravo pendant la Seconde Guerre mondiale !
Tout cela aurait dû se trouver dans les coffres de la Fondation mais cela n’y a jamais été en réalité. Une personne employée au Lombard, l’éditeur historique des aventures de Blake et Mortimer entre 1946 et la fin des années 1970, m’a vendu ces pièces. Elles n’avaient jamais été restituées à Jacobs… »
Du coup, les prix ont chuté sous les 10 000 euros et les collectionneurs s’en sont détournés. D’autant qu’au même moment, un afflux inexplicable de planches originales faisait flamber les enchères. Tajan, Artcurial, Christie’s, Sotheby’s, Huberty & Breyne, Banque dessinée mettaient du Jacobs à l’encan.
La cote des planches de Blake et Mortimer s’envolait. Les experts français Eric Leroy et Daniel Maghen avaient visiblement trouvé une source intarissable d’originaux, dont une part significative bénéficiait de certificats d’authentification signés par le président de la Fondation Jacobs en personne, Philippe Biermé.
À Bruxelles, à Paris, à Angoulême, aux Pays-Bas, en Suisse, des collectionneurs se disputaient les pièces rares à coup de chèques de dizaines de milliers d’euros.
Dans le clan des Belges, André Querton et Philippe Boon, qui ouvrira bientôt son propre musée à Bruxelles, sont connus des galeristes comme les meilleurs acheteurs de Jacobs mais ils ne sont pas les seuls.
Refuser de montrer ces pièces ? Les garder juste pour moi comme tous ceux qui ont pu en acheter ? Je pense que ça ne va pas ! Pour chacune de mes planches, je dispose d’un certificat d’authenticité signé par Philippe Biermé, le président de la Fondation Jacobs.
Quelle que soit l’origine des trésors, ma collection est juridiquement inattaquable ! Et puis, si je n’avais pas acheté ces planches, d’autres l’auraient fait.
Je ne comprends pas pourquoi le scandale de la non-gestion de la Fondation Jacobs n’éclate pas ! Il faut nettoyer le marché une bonne fois, que la situation soit claire. Et si une nouvelle Fondation se crée et que l’on retrouve Philippe Biermé à sa tête, ce serait à éclater de rire !
J’espère un vrai et solide remue-ménage. En trente ans d’existence, l’ancienne Fondation n’a rien fait pour préserver le patrimoine ni le mettre en valeur ou si peu… Il est temps d’assurer le rayonnement de son œuvre, de remettre son génie en avant. »
Ce passionné extrêmement fortuné soulève de la frustration chez tous ses rivaux par le caractère exceptionnel des pièces qu’il a acquises. Chacune d’entre elles mériterait de figurer au musée.
Raphaël Geismar a pu se procurer pêle-mêle, via Eric Leroy, l’expert d’Artcurial, les couvertures originales des tomes 1 et 2 du Secret de l’Espadon, celle du premier tome du Mystère de la Grande Pyramide, ou encore une des planches les plus mythiques de La Marque jaune, dans laquelle Olrik est pris de panique à l’intérieur de l’appartement du professeur Mortimer à la vue des statuettes égyptiennes…
Que des chefs-d’œuvre dont la Fondation Jacobs et la Belgique seront désormais à jamais privés.
André Querton: «Il y a un flou autour de la cote»
La Fondation Jacobs était censée détenir toute l’œuvre de l’auteur de Blake et Mortimer. Avez-vous été surpris par le nombre de planches originales proposé à la vente ces dernières années ?
Je possède une dizaine de planches originales de Jacobs et rien ne me surprend dans ce que j’entends, tant il y a eu de rumeurs contradictoires depuis des années.
Je me suis intéressé au fonctionnement de la Fondation Jacobs, il y a près de vingt ans. On m’avait proposé d’acheter une planche, à l’époque. Il paraît que certains documents avaient été volés à Jacobs de son vivant mais en même temps, il n’y aurait jamais eu de déclaration de vol.
J’ai voulu vérifier et j’ai appelé un contact proche de la Fondation Jacobs, qui m’a informé de ce que la Fondation ne disposait pas d’un inventaire. Donc personne ne savait avec précision à qui appartenait telle ou telle planche.
Celle qui m’intéressait provenait effectivement de ce qu’on pourrait appeler « une indélicatesse ». Elle avait été prêtée par l’auteur pour une exposition à New York et n’était jamais revenue chez Jacobs, tandis que l’exposant affirmait l’avoir reçue en cadeau…
Cette planche du « Piège diabolique », Jacobs l’avait pourtant réclamée de son vivant : elle figurait dans sa liste des objets « perdus ou volés ». Ce n’était pas suffisant pour alarmer les marchands d’art ?
Aujourd’hui encore, il n’existe pas d’inventaire des biens de la Fondation Jacobs puisque je lis que la Fondation Roi Baudouin va entreprendre ce travail.
A la lecture du testament de l’auteur, il apparaîtrait cependant clairement que la volonté de Jacobs était que la totalité de son œuvre soit conservée par la Fondation qui porte son nom sauf ce qu’il avait donné par ailleurs mais le testament ne s’accompagnait pas d’une liste précise.
Cette absence de relevé en bonne et due forme est à l’origine de tout ce qui se passe. Une Fondation sans inventaire, cela n’a pas de sens.
A défaut d’inventaire officiel, tout ce qu’il y avait dans les coffres de la Fondation pouvait donc être vendu ?
Régulièrement, des planches de Jacobs ont été vendues en salles de ventes, donc publiquement ; jamais la Fondation n’a protesté ni ne les a fait saisir (comme d’autres auteurs l’ont fait), ce qui laisse conclure que ces planches sont légitimement dans le circuit de vente.
Dans l’état actuel des choses, si l’on présente des planches originales à un collectionneur, il n’a pas à se poser de questions, surtout si elles sont proposées par des marchands ayant pignon sur rue comme Daniel Maghen.
Ils ont obtenu des pièces remarquables. J’ai vu une farde contenant une trentaine de planches.
A une autre occasion, il s‘agissait de 40 ou 50 crayonnés.
D’où cela provenait-il et à quel prix tout cela avait-il été acquis ? Mystère, mais on m’a assuré qu’elles avaient été vendues avec des factures des propriétaires précédents. Inévitablement, on est amené à se poser la question de savoir si la Fondation Jacobs a bien fait son travail de protection du patrimoine…
Quand la provenance n’est pas claire, comment un collectionneur peut-il être sûr de la légalité de son achat ?
Pour ma part, je n’ai reçu aucun certificat d’authentification, sauf sur l’une des planches, celle que j’ai achetée à Artcurial en vente publique.
Dans ma collection, je possède des planches du Mystère de la Grande Pyramide, de La Marque jaune, de L’Enigme de l’Atlantide, du Piège diabolique et des 3 Formules du professeur Sato (celles du tome 2 dessiné par Bob De Moor).
J’en ai acquis deux il y a plus d’une quinzaine d’années, quand elles ne circulaient pas encore en quantité industrielle, et les suivantes au fil des ans, en vente publique ou chez des marchands dont Daniel Maghen.
Je l’ai interrogé et il m’a assuré les avoir acquises correctement sur factures. Il délivre d’ailleurs des factures d’achat. Et n’oubliez pas que « possession vaut titre », ce qui signifie que vous ne devez pas prouver que les lunettes posées sur votre nez vous appartiennent.
A la mort de Jacobs, une planche originale de Blake et Mortimer valait 150.000 FB (3.750 euros). Trente ans plus tard, la cote a grimpé entre 70 et 120.000 euros, selon la qualité des planches.
Mais il faut constater qu’il y a un flou autour de la cote, puisqu’on ne peut plus être certain de la rareté des planches sur le marché.
Quel est votre sentiment face à la dispersion de cette œuvre majeure du 9e Art belge ?
C’est un crève-cœur. Jacobs avait compris avant tous les autres l’importance de préserver son œuvre à travers une Fondation créée de son vivant.
Il est désolant de constater que sa volonté n’a pas été respectée par manque de rigueur juridique, manque d’inventaire, manque d’attention de ses responsables.
Un trésor, ça doit s’entretenir, se surveiller. Il faudrait que l’on se soucie davantage du patrimoine exceptionnel de la BD en Belgique.
On pourrait créer une Académie de la BD. Le Centre belge de la BD ou une autre institution devrait se donner pour mission d’inventorier les œuvres, de recommander aux auteurs et à leurs héritiers les canaux légaux et fiscaux afin d’éviter la dispersion des originaux.
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