Sur le site du Point.
Le Monde a fait paraître un dessin de Xavier Gorce qui a suscité un élan d'indignation sur les réseaux sociaux, notamment porté par le député Aurélien Taché, le rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité Nicolas Cadène et la journaliste militante Rokhaya Diallo.
Quelques heures plus tard, la directrice de la rédaction Caroline Monnot a publié un message aux lecteurs, précisant que « ce dessin signé Xavier Gorce n'aurait pas dû être publié », jugeant que ce dessin pouvait être lu « comme une relativisation de la gravité des faits d'inceste, en des termes déplacés vis-à-vis des victimes et des personnes transgenres. Le Monde tient à s'excuser de cette erreur auprès des lectrices et lecteurs qui ont pu en être choqués. »
Depuis les attentats contre Charlie Hebdo dans lesquels les caricatures ont joué un rôle central, de nombreux titres renoncent à publier des dessins qui pourraient heurter leurs lecteurs ou susciter des polémiques interminables.
Fait marquant, le New York Times a en effet renoncé en juin 2019 – après une caricature jugée antisémite – à publier des dessins dans son édition internationale, comme c'est le cas depuis longtemps dans son édition américaine.
Pour Xavier Gorce, « le rire n'a pas à répondre aux impératifs de la morale ».
Depuis la parution de cette interview, Xavier Gorce a annoncé sur Twitter qu'il quittait le Monde.
Entretien.
Le Point : Le quotidien Le Monde qui présente ses excuses en expliquant qu'un de vos dessins n'aurait pas dû être publié, c'est inédit ?
Xavier Gorce : Je travaille pour Le Monde depuis 18 ans, je n'ai jamais eu de dessin censuré et j'ai toujours bénéficié d'une grande liberté. Je suppose que ce dessin a dû être jugé correct avant sa publication, sinon il ne serait pas passé…
À l'heure qu'il est, le dessin est toujours sur le site et je refuse de parler de censure. En revanche, que le journal s'excuse pour l'un de mes dessins, c'est une première.
Ce dessin a été mal compris, il est pourtant clair. C'est une ironie sur les propos d'Alain Finkielkraut qui s'interrogeait sur le fait de savoir ce qu'était l'inceste, comme si cela pouvait amoindrir la faute morale…
Je rappelle, à travers ce dessin, que si les structures familiales contemporaines peuvent, certes, brouiller la notion d'inceste, les violences sexuelles et la pédocriminalité restent indiscutablement un crime.
C'est un contresens total que d'imaginer que mon dessin serait une quelconque légitimation de ces crimes…
Évidemment, non. D'abord, il peut y avoir des dessins mauvais, ça arrive. Il y a aussi des gens qui ne comprennent pas, d'autres qui n'ont pas de second degré, je n'y peux rien.
Il y a aussi des gens qui refusent de comprendre pour se consacrer entièrement à leur indignation, ce sont eux qui me posent problème.
Ils ont un agenda idéologique et cherchent à soulever l'indignation des masses plutôt qu'à rire ou réfléchir, cela leur permet, pensent-ils, de faire avancer leur cause.
Vous regrettez ce dessin ?
Je ne regrette jamais, sauf lorsque j'ai l'impression de me tromper. Et là, ça n'est pas le cas. J'ai l'impression que ce dessin est clair et sans ambiguïté.
C'est faux, rien ne peut laisser penser une chose pareille. Je vois surtout que la susceptibilité des réseaux sociaux a encore frappé !
Oui, il y a des communautés qui s'identifient comme victimes de la société, à tort ou à raison, et les communautés transgenres font partie de tous ceux qui n'acceptent pas que l'on fasse de l'humour sur des situations vécues douloureusement…
Mais si on ne doit plus rire des situations douloureuses, je ne vois pas de quoi on va pouvoir rire dans les dessins de presse des années à venir !
Le rire est une défense, une critique, jamais une moquerie ou une humiliation.
Je regrette d'avoir à le préciser, mais pour moi, le rire n'a pas à répondre aux impératifs de la morale ou de l'émotion, car la morale n'a rien à voir avec l'intelligence ou la compréhension des choses.
Aujourd'hui, les réseaux sociaux attendent que l'on s'indigne de tout.
Croire que l'humour consisterait à se moquer des victimes est un contresens, je fais ce que j'ai toujours fait, j'ironise sur des situations absurdes.
Le fait de s'interroger sur la filiation pour définir s'il y a inceste ou pas inceste évidemment est une ironie, comme si changer la définition de l'inceste pouvait excuser la pédocriminalité…
AJOUTS
- Natacha Polony dans Marianne:
Pour ce qui concerne le dessin de Xavier Gorce, on ose à peine faire remarquer que la phrase incriminée semble moquer ceux qui, sous prétexte de complexité de la structure d’une famille recomposée, ergotent sur la qualification d’inceste à propos de l’affaire Duhamel.
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L’humour, nous disent certains, doit s’attaquer aux puissants, pas porter sur les victimes. Vision moraliste du rire, qui serait une arme contre le Mal. Mais il est des sociétés – la nôtre en particulier – dans lesquelles s’attaquer au « pouvoir » ne réclame aucun courage, du moins si l’on s’en tient à une définition institutionnelle du pouvoir.
Si rire est avant tout l’exercice d’une liberté profonde, intime, essentielle, alors, il faut pouvoir rire, non forcément des « puissants », mais de ce qui nous est sacré, car c’est là que le rire nous délivre de nos propres enfermements et devient cette mise à distance qui rend véritablement libre.
Grand merci pour cette relation claire de la controverse et les explications de Xavier Gorce, parfaitement cohérentes contrairement à ce que l'on a pu lire ça ou là, y compris sous la plume de Jérôme Fenoglio qui, dans Le Temps, évoque l'ambiguïté de la tentative d'ironie du dessin. En soulignant que l'on doit pouvoir rire de tout, y compris de ce qui nous est sacré, Natacha Polony vise juste. Dans une société démocratique, c’est aux citoyens (lecteurs) d’exercer leur libre arbitre pour trancher sur l’intérêt des caricatures ou dessins de presse. Il serait désastreux que la crainte de susciter des incompréhensions aboutisse à une autocensure généralisée des illustrateurs de l’actualité. Dans sa magnifique plaidoirie au procès de Charlie Hebdo, R.MALKA a rappelé une exigence élémentaire et qui devrait être rappelée plus souvent : : « dans une démocratie, il faut accepter d’être heurté et offensé ».
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