Nous apprenons, par Réjean Beaucage, le décès du dessinateur Henriette Valium, de son vrai nom Patrick Henley, l'une des figures marquantes du milieu du 9e art underground montréalais des années 1980 et 1990.
Depuis plus de trente ans, il repoussait les limites du médium avec son style provocateur et hallucinogène qui l'a gardé à l'écart de l'industrie de la bande dessinée conventionnelle.
Signes d'un talent reconnu internationalement, il a vu son œuvre diffusée à de nombreuses reprises en Europe et en Amérique du nord et il a su influencer de nombreux créateurs d'ici et d'ailleurs.
En 2018, Henriette Valium recevait le prix Albert-Chartier en hommage à un individu ayant marqué le monde de la bande dessinée francophone au Québec.
MISES À JOUR
Moelle Graphik
C’est avec stupéfaction et avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de Patrick Henley, dit Henriette Valium, une des plus grandes figures de la bande dessinée et des arts visuels des dernières décennies, pilier de la culture alternative montréalaise et au-delà.
Un personnage plus grand que nature, un défricheur, un ami, un artiste rare, sans concession, qui ne laissait personne indifférent.
Patrick Henley est né à Montréal le 4 mai 1959 et a grandi en banlieue, à Repentigny. S’y étant « fait chier en lettres majuscules en néon », ne se sentant pas chez lui au pays de la vie ordinaire et insignifiante, il reprend à 18 ans la direction de sa ville natale. Il étudie en arts et en graphisme au Cégep du Vieux-Montréal, mais est avant tout un autodidacte.
S’étendant sur plus de trois décennies et reconnue en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs, l’œuvre de Valium a repoussé les limites de la bande dessinée, avec son style provocateur et hallucinogène, son univers apocalyptique, absurde et déjanté, et sa méticulosité aussi démesurée que les enluminures du Moyen-Âge.
Influencé aussi bien par Hans Bellmer et George Grosz que par Robert Crumb, Benito Jacovitti et Willem, il a aussi été marqué par Hergé (auquel il a rendu un hommage percutant avec Nitnit), et été une source d’inspiration pour de nombreux créateurs d'ici et d'ailleurs. On l’a aussi surnommé le Jérôme Bosch de la BD québécoise.
S’étant d’abord fait connaître dans les années 1980 par plusieurs albums conçus de façon artisanale, il livrait 1000 Rectums, c’t'un album Valium, en 1987, sa première anthologie, autoéditée. Le début des années 1990 est une période prolifique, culminant avec une autre anthologie, Primitive crétin!, en 1996.
Il entre dans les années 2000 avec la publication de Cœur de Maman, une bande dessinée sérigraphiée et autoéditée, et poursuivra de façon obsessive son travail exploratoire en BD aussi bien qu’en collage et en peinture jusqu’à la fin de sa vie.
Reste que pour qui voudrait parcourir la production de Valium, il n’est a priori pas simple de circuler dans son œuvre. Non seulement exige-t-elle des lecteurs attentifs comme ceux qui ont le courage de se plonger dans Ulysses de James Joyce, mais de plus son corpus a longtemps été éparpillé dans de multiples fanzines, revues et anthologies difficiles à dénicher. Mais les choses commençaient à bouger.
En 2007, les éditions de L’Association, en France, faisaient paraître un recueil de l’essentiel de son œuvre. Puis, Dernier Cri, un éditeur marseillais, publiait nombre de ses estampes et de ses livres.
En 2016, son Palace of Champions, fruit d’une dizaine d’années de travail, sortait chez Conundrum Press. En 2019, Moelle Graphique, dont la mission est de publier des ouvrages à tirage limité soigneusement confectionnés à la main, a eu le privilège d’en publier l’édition en français, Le Palais dé champions.
Nous étions loin de nous douter qu’il s’agirait de son dernier livre, tant Patrick apparaissait vibrant et chargé d’énergie créatrice au cours des dernières années. Il devait même bientôt exposer de récents tableaux en Serbie.
Valium a aussi été une figure majeure de la vie et de la culture punk et alternative montréalaise, entre autres comme chanteur du groupe Valium et les Dépressifs (de 1988 à 1994), et comme concepteur et imprimeur d’affiches pour de multiples bands, artistes, compagnies de disques, etc.
Il a signé ainsi la plupart des affiches de spectacles du mythique bar Les Foufounes Électriques, dont il fut l’un des personnages les plus illustres, au même titre qu’Armand Vaillancourt.
En 2018, à l’occasion du Festival Québec BD, Henriette Valium recevait le prix Albert-Chartier en hommage à sa contribution inestimable au monde de la bande dessinée au Québec. En recevant ce prix ce soir-là, il livra un discours d’anthologie qui à la fois nous émut, nous fit rire aux éclats et était une brillante défense de la liberté de création.
On l’oublie, mais au moment de sa publication en 1948, le manifeste Refus global, vivement condamné par les élites en place et ayant eu de lourdes conséquences pour ses signataires, n’a pas eu de succès en librairie et ne fut redécouvert que beaucoup plus tard.
Un peu de la même façon, de son vivant, on peut dire que le travail de Valium a été trop mal connu et surtout boudé des institutions muséales officielles. Il faudra un jour que son histoire soit racontée.
Enfin, laissons la parole à Hélène Fleury, qui fut de l’équipage de Croc et de Titanic, avant que Valium et les siens n’érigent un Iceberg : « La vie est laide, oui ! Mais avec Henriette Valium, elle vaut la peine d’être vécue ! »
L’équipe des éditions Moelle Graphik salue la mémoire de cet artiste immense et fou. Nous offrons nos condoléances et notre plus profonde sympathie à sa famille et à ses proches, et en particulier à ses enfants et à Silvia.
Un hommage lui sera rendu le jeudi 9 septembre 2021, de 14h à 20h :
Alfred Dallaire Mémoria
12145, Sherbrooke Est
Pointe-aux-Trembles
H1B 1C8
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