dimanche 31 janvier 2016

Angoulême : une remise des prix sur fond de canular

Frédéric Potet sur le site du Monde.

Une partie des (vrais) lauréats samedi soir à Angoulême. Photo Georges Gobet. AFP

Il était dit que le 43e Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême n’échapperait pas à une énième polémique… Alors que des accusations de sexisme s’étaient concentrées autour de la manifestation après l’annonce, début janvier, d’une liste de 30 nominés tous masculins en vue de l’élection du grand prix (liste qui disparut finalement pour laisser la possibilité aux professionnels du secteur de voter pour qui ils voulaient), de nouveaux remous ont agité le milieu du 9e art, sur fond, cette fois, d’humour mal compris ou de mauvais goût, selon le camp où on se trouve.

Tout est parti d’un magistral « fake » mis en scène par l’animateur de Radio Nova Richard Gaitet, chargé de coordonner la soirée de remise des prix, samedi au théâtre de la ville. « Nous allons faire la cérémonie la plus courte de l’histoire du festival », lance-t-il sitôt arrivé sur scène, avant d’égrener, à toute vitesse, le palmarès des meilleurs albums de l’année écoulée. Prix de la meilleure série à Saga (Urban Comics) de Fiona Staples et Brian K. Vaughan, prix du polar à Inspecteur Kurokôchi (Komikku) de Kôji Kôno et Takashi Nagasaki, Fauve d’or du meilleur album à Arsène Schrauwen (L’Association) d’Olivier Schrauwen

Une certaine crispation dans les rangs

Stupeur dans la salle où des applaudissements fusent néanmoins à l’énoncé des lauréats. Au bout de huit minutes, le pot-aux-roses est découvert : tout ceci n’était qu’un canular. La véritable cérémonie, avec les vrais vainqueurs – différents des autres, à une exception près – peut commencer alors qu’une certaine crispation s’est installée dans les rangs où ont pris place les éditeurs. Tweets et textos ont été envoyés dans l’intervalle afin de féliciter les heureux « élus », qui ne comprendront que plus tard la fumisterie.

La colère va alors vite s’emparer du milieu, dont une partie s’est sentie humiliée. « C’est vraiment un canular de mauvais goût. La perception à l’internationale du festival, qui n’était pas terrible jusque-là après l’affaire de la liste des nominés uniquement masculins, relève du folklore ! », n’en décolère pas Pol Scorteccia, le directeur d’Urban Comics qui, après avoir envoyé un message de félicitations à Brian K. Vaughan, a dû le rappeler pour lui expliquer la supercherie. Auteur-producteur dans Under the Dome, Brian K. Vaughan est aussi l’un des scénaristes de la série Lost.

« Les bras vous en tombent », déclare de son côté Patrice Killofer, l’une des chevilles ouvrières de L’Association qui, en guise de réplique, a imaginé ceindre les exemplaires d’Arsène Schrauwen d’un faux bandeau « Fauve d’or ». « Le pire, c’est qu’aujourd’hui [dimanche] sur le stand, pas mal de gens croyaient qu’on avait effectivement remporté le prix », se désole-t-il. « C’est la chose la plus honteuse que j’ai vue en trente ans de fréquentation du festival. L’humour c’est un métier », indique pour sa part Jean-Louis Gauthey, le patron de Cornélius qui a dû, lui, expliquer à l’éditeur canadien Drawn & Quaterly que Les Intrus d’Adrian Tomine n’avait finalement pas été récompensé., contrairement à ce qu’il lui avait annoncé dans un premier temps.

Interrogé par Le Monde, le délégué général du festival, Franck Bondoux, a souhaité « recontextualiser » ce qu’il considère être un non-événement : « Nous savons tous qu’il n’y a pas une cérémonie de remise des prix aujourd’hui, des Oscars aux Golden Globes, qui ne soit pas animée par un humoriste. Le présentateur est arrivé déguisé en Fantasio, en clown ; il était clairement là pour plaisanter. Aucun visuel des albums faussement primés n’a par ailleurs été montré à l’écran et les statuettes n’ont pas été données aux lauréats, vu qu’ils n’ont pas été invités à monter sur scène. Permettez-moi de rappeler, enfin, que nous étions dans le cadre d’un festival de bande dessinée qui est un art qui aime se moquer du monde mais aussi de lui-même. »


Le palmarès officiel ici.

AJOUT

« BD: Le festival lâche l’animateur Richard Gaitet » sur le site de La Charente Libre.

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