samedi 6 juillet 2019

La dessin de presse est-il en danger?

Sur le site de ICI Radio-Canada.



Plusieurs événements ont secoué le milieu de la caricature dernièrement. Ce n’est pas d’hier que les dessins satiriques dérangent, mais c’est assez nouveau qu’on remette en question leur existence. Si certaines personnes parlent de censure, d’autres craignent l’effet domino.

La semaine dernière, le caricaturiste Michael de Adder a affirmé que Brunswick News l’avait congédié à cause de la publication sur Twitter d’un dessin sur Donald Trump.


Mais le groupe de presse néo-brunswickois assure que ce n’est pas le cas et affirme l’avoir renvoyé après une longue réflexion.

Par ailleurs, depuis le 1er juillet, le New York Times ne publie plus de caricature dans son édition internationale. Au Québec, cet hiver, le caricaturiste de The Gazette, Terry Mosher, a publié sur les réseaux sociaux un dessin que le quotidien anglophone a refusé de publier.


De tels événements qui ciblent des caricaturistes ne sont pas nouveaux. Au Québec, les caricaturistes soutiennent recevoir de nombreuses critiques après certaines publications.

De la censure?

L’historienne et coauteure de L’histoire de la caricature au Québec Mira Falardeau est catégorique : elle affirme que ces récents cas sont de la censure. Elle estime que la caricature du New York Times n’était pas antisémite. C’était un symbole, et on l’attaque. Le problème est que ça crée un précédent, affirme-t-elle.

L'inquiétude du milieu est multipliée par le fait que les controverses prennent un tournant international. Tous les caricaturistes sont inquiets. Ils sont entre la fureur et la peur, soutient Mira Falardeau, qui ajoute qu’ils démontrent une grande solidarité.

D’ailleurs, Greg Perry, le caricaturiste pressenti par Brunswick News pour remplacer Michael de Adder, s’est désisté.

La peur de l'effet domino

Ce qui inquiète le plus le caricaturiste du Droit Guy Badeaux, connu sous le nom de Bado, c’est l’effet cumulatif des décisions du New York Times et de Brunswick News.

Ce sont les dominos qui commencent à tomber. C’est la paranoïa des dessinateurs. C’est récurrent. Aux États-Unis, on est habitué, car un caricaturiste par mois perd son emploi. 
Bado


« La caricature est un art qui est fragile, beaucoup de pays où les caricaturistes ne peuvent s’exprimer ne sont pas des démocraties. La caricature est le thermomètre de la démocratie », ajoute Mira Falardeau.

Si cet art a connu son âge d’or au 20e siècle avec « une euphorie caricaturale », notamment avec la popularité des revues Croc et Safarir, qui ont été des écoles pour les dessinateurs et dessinatrices d'aujourd'hui, l'historienne et bédéiste soutient qu’il y a maintenant un repli très inquiétant, à cause de plusieurs facteurs, dont les réseaux sociaux.

De nos jours, les dessins font le tour du monde à la vitesse de l’éclair et sont vus dans des pays qui ne partagent pas les mêmes valeurs et la même liberté de presse.

Le système du journal qui protégeait son caricaturiste s’écroule. Maintenant, avec les réseaux sociaux, le dessin devient viral et le caricaturiste se retrouve sans défense. 
Mira Falardeau

La religion versus la politique

Les premières attaques sérieuses envers ces spécialistes de la satire sont survenues en 2005 avec l’histoire des dessins de Mahomet de 12 caricaturistes parus le 30 septembre 2005 dans le quotidien danois Jyllands-Posten, puis republiés en 2006 dans Charlie Hebdo.

Ces caricatures nous ont montré combien les religieux manquent d’humour. 
Mira Falardeau 

Mira Falardeau parle ensuite de l’escalade avec les attentats de Charlie Hebdo, en 2015, qui ont fait 12 morts.

Dessiner le Prophète... Ne fais pas son nez trop long... (Dale Cummings)

Elle soutient que les récents événements sont très inquiétants puisque ce sont des caricatures politiques et non religieuses qui ont engendré les controverses.

« Coup sur coup, les deux dessins en question [du New York Times et de Michael de Adder] attaquent la figure de Trump. Ça m’interroge. Assiste-t-on à la montée d’une dictature sournoise? », se demande-t-elle.

Elle ajoute que les caricatures en question ne sont pas semblables à la récente couverture de Charlie Hebdo sur la Coupe du monde de soccer féminin qui a déplu à de nombreuses personnes. Ce n’est pas le même humour.


Pour sa part, Bado est moins inquiet que Mira Falardeau du congédiement de Michael de Adder. 

Il pense que le problème est intimement lié à la compagnie pétrolière Irving, propriétaire de Brunswick News au Nouveau-Brunswick, et une récente caricature de Michael de Adder sur le danger des bateaux pour les baleines qui meurent.

On se demande ce qui peut bien tuer les baleines?

«Je ne pense pas que la caricature est en danger, sauf au Nouveau-Brunswick. Irving est propriétaire de tous les journaux et ils sont dans le pétrole. Le caricaturiste ne pouvait pas dessiner les Irving et il avait fait ce dessin d’une baleine », soutient-il.

La précarité des caricaturistes

Un autre problème est le statut de plus en plus précaire des caricaturistes. Les trois quarts ne sont pas syndiqués. Il est très facile d’annuler un contrat, souligne Mira Falardeau.

Bado pense que les agences de presse (syndicates) sont un plus grand danger pour les caricaturistes. Elles offrent les mêmes caricatures à de nombreux médias dans le monde entier.

Les journaux paient des tarifs dérisoires pour avoir une caricature. Au Québec, on n’a pas ce partage, on est protégé par l’aspect local. Une caricature de Régis Labeaume ne passera pas à Montréal et une de Valérie Plante à Québec. 
Bado

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