lundi 9 janvier 2023

Coco, sa collègue à Charlie Hebdo, rend hommage à Cabu

Sur le site de France Info.


Coco, dessinatrice de presse, caricaturiste pour le journal Libération et toujours pour Charlie Hebdo a bien connu le châlonnais, dessinateur et caricaturiste de presse, Cabu

Plus qu’un collègue, ce fut un exemple. Un mentor presque. La plume de Cabu laisse un trait indélébile dans la mémoire et la carrière de Coco.

"C’est donc vous" ? C’est ainsi que Coco s’adresse à nous lorsqu’elle entre dans ce bistrot du 13e arrondissement. 

Large sourire, habillée d’un long manteau, sa chevelure brune bouclée, elle porte un grand cabas. "Je vous ai apporté des Charlie de l’époque, nous dit-elle. Cela pourra peut-être vous servir".

Coco, dessinatrice "survivante" de Charlie Hebdo a accepté de nous parler de Cabu. 

Dessinateur et caricaturiste de presse, assassiné lors de l’attaque terroriste du 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo, Cabu était originaire de Châlons-en-Champagne dans la Marne. 

Le 7 janvier, cette date, a jamais gravé dans la mémoire collective. 

"L’hommage se prépare", nous dit-elle. 

Cette rencontre, Coco l'a voulu dans un lieu emblématique : la rédaction de Libération

Emblématique puisque, même si les locaux ce ne sont plus les mêmes, le journal a été, par deux fois le refuge des journalistes de la rédaction de Charlie Hebdo

En novembre 2011, lors de l’incendie criminel, puis en 2015 après l’attentat.

Parler de Cabu, c’est se souvenir de son rire

Aujourd’hui, Coco a ses habitudes à Libé

Elle est devenue, en 2021, la caricaturiste attitrée du journal, après le départ à la retraite de Willem

Parler de Cabu au sein d’une salle de rédaction était essentiel. Cabu était "un dessinateur qui travaillait au Canard, à Charlie, pour énormément de gens. Qui aimait l’ambiance d’une rédaction. Je suis contente que l’on soit aussi dans cette ambiance-là aujourd’hui."

Coco nous fait visiter les lieux. Très soucieuse et attentive à nos demandes. Pour que l’on puisse, ainsi, s’installer dans un lieu propice.

Dans chacun des services de la rédaction que nous traversons, nous sentons, plus qu’une bienveillance à son égard. 

Un respect, voire une admiration. Une envie de protection aussi. 

À 40 ans, la dessinatrice de presse a gardé un physique de jeune fille, presque fragile… 

Sa voix douce, lorsqu’elle commence à parler de Cabu, renforce ce sentiment. Comme Cabu finalement. 

"C’était vraiment quelqu’un sur la même ligne, doux, plutôt heureux avec ses chansons de Trenet dans la tête. Parfois, il chantonnait en dessinant. 

Et un amoureux du dessin comme j’ai rarement vu. Il dessinait à tout moment. J’ai rarement vu quelqu’un d’humeur si égale et de si bonne humeur.

Cabu évoque pour moi, quelqu’un qui m’a initié, qui m’a appris énormément dans ce métier. Ça m’évoque sa générosité, immédiatement, et son rire. 

Ce sont les premières choses qui me viennent à l’esprit. C’était quelqu’un d’extrêmement chaleureux. 

Des petits repas qu’il faisait le midi en écoutant Les auditeurs ont la parole, où il se marrait tout seul à entendre les gens qui racontaient leurs vies à la radio. 

Ou alors le choix des couvertures avec tous les dessins accrochés au mur et les discussions qui s’entamaient. 

Chercher une idée ensemble parfois, suscitait des fou-rire incroyables. 

Luz, Charb et Riss en particulier savaient très bien où appuyer pour faire rire Cabu. 

Il y avait des espèces de mots et de sujets qui étaient immédiatement des déclencheurs de rire. C’était un rire solaire et communicatif. 

Quand on l’entendait rire, tout le monde souriait ou riait. Aux conneries de Charb aussi, mais le rire de Cabu vivifiait énormément la salle".


Cabu aimait transmettre

Coco débute à Charlie Hebdo. Puis, elle y fait ses armes et le dessinateur châlonnais est alors essentiel.

"C’était quelqu’un d’extrêmement attentif aux jeunes qui venaient frapper à la rédaction de Charlie et qui prenait du temps. 

Là où beaucoup d’autres pouvaient avoir un regard sur ce que l’on faisait mais un peu plus distant, Cabu, lui, prenait le temps d’expliquer ce que c’est une caricature. 

Comment on commence. Comment ça fait sur le papier, la plume, le dessin. Comment on comprend un visage finalement. Ça a été presque fondateur".

"Je ne venais pas de ce milieu du dessin de presse. Quand j’ai fait mon stage à
Charlie, ça a été comme une révélation. 

J’avais adressé mon courrier à Cabu et à Philippe Val qui était là à l’époque. 

Je n’avais qu’une envie, c’était dessiner, sans connaitre le milieu du dessin de presse, même si je dessinais sur la société, les rapports hommes-femmes. 

Quand je suis arrivée dans cette rédaction, voir toute cette émulation autour de l’actualité qui partait loin dans la déconnade et le sérieux, ça m’a plu immédiatement. 

Cabu s’est démarqué immédiatement parce qu’il avait l’approche facile, parce que gentil, généreux. Et puis ce petit côté pédagogue sans être cucul, sans être prof, c’était vraiment naturel. 

Je n’osais pas trop, j’étais même un peu coincée à l’époque. C’était hyper impressionnant d’être avec tous ces dessinateurs géniaux avec des tempéraments affirmés. 

Quand on est jeune et qu’on arrive dans une rédaction, on n’a pas confiance en soi. Tout ce que l’on fait c’est de la daube, faut se le dire. 

Mais quand on va voir Cabu, il donne ce petit truc positif qui vous fait croire un peu en ce que vous faites et croire que vous pouvez y arriver aussi. Ça, ça a été extrêmement important.

Et puis petite anecdote, il aimait bien qu’il y ait des femmes qui féminisent le métier. Honoré aussi était attaché à cela. 

Moi, ça m’a donné un peu des ailes, ça m’a poussé à m’accrocher parce que parfois, j’en ai chié à faire des dessins. C’était dur. 

Très contente d’avoir pu évoluer autour d’eux tous. C’est important de rappeler cela".


Le marqueur qui pue de Cabu

Une plume, de l’encre de chine, un bloc de papier à dessin. Voir Coco dessiner Cabu sur un bureau de la rédaction de Libération, c’est aussi se plonger dans la technique que le dessinateur châlonnais utilisait et lui a transmis. 

"Moi, je travaille à la méthode Cabu. J’ai gardé la plume comme outil. Il utilisait aussi ces fameux marqueurs qui puent très célèbres. 

J’en ai pris, j’en avais à la maison, dit-elle en se levant pour attraper son sac. Nous, on les appelait comme ça. 

Ils ont marqué notre table en U à la rédaction. Et puis les plumes… Le dessin de Cabu est rendu très singulier par l’utilisation de cette plume par les fameux pleins et déliés. Quand le trait est fin et parfois se fait plus épais. 

Et ce qu’il faut retenir de Cabu, c’est que c’est essentiellement un dessin en noir et blanc. Ça lui arrivait de faire des dessins au pastel sec. On ne peut pas dire que c’est un immense coloriste. 

Tignous ou Luz utilisaient beaucoup plus la couleur. 

Cabu c’était souvent ce pastel qui passait comme quelque chose de très léger comme pour ne pas contrarier le contraste très fort du noir et du blanc sur ses dessins. 

Le noir et blanc, c’est un moyen d’affirmer le dessin fortement. Avec les contrastes, l’impact est très fort. 

C’est une immédiateté qui vient s’ajouter à l’immédiateté de l’idée ou le côté coup poing dans la gueule du dessin".

Une référence

Coco se sent privilégiée d’avoir appris aux côtés de Cabu et de tous ceux qui formaient la rédaction de Charlie Hebdo. Le sentiment fort aussi d’avoir travaillé aux côtés des meilleurs, des références dans le milieu.

"Lors de ces années passées à Charlie, j’ai pu constater que les caricatures de Cabu, c’était la référence. 

Parfois, les autres dessinateurs attendaient que Cabu ait dessiné un nouveau personnage politique pour pouvoir se positionner par rapport au dessin qu’avait fait Cabu. 

En cela, je trouve que c’est une référence". Et puis, il y avait son coup de crayon.

"Dans la caricature de Cabu, il y a quelque chose de très particulier et de vraiment génial. 

En un minimum de traits, il arrivait à trouver la singularité d’un visage à interpréter aussi le tempérament. Savoir si c’est quelqu’un qui est aigre ou méprisant.

Il y a des moyens de le traduire en dessin et Cabu était particulièrement sensible et intelligent pour pouvoir traduire cela dans ses dessins.

Que ce soit les paysages dans ses reportages
Cabu New York ou ses personnages. 

Il y a une palette immense dans l’œuvre de Cabu sur tous les sujets que ce soit les dessins de presse, les BD, les reportages, les personnages, la poésie aussi. 

Il y a des dessins très cruels chez Cabu, il y en a aussi des beaucoup plus doux, plus poétiques. 

Cabu c’était vraiment toutes les facettes du dessin. Il avait repris cette expression de Cavana en disant, le dessin de presse c’est un coup de poing dans la gueule mais parfois avec un gant de velours. 

J’avais trouvé cette synthèse très belle. Cela veut dire aussi que dans ce dessin de presse, dans ce côté impactant, il y a parfois des nuances. 

L’important est de pouvoir aller dans tous les champs possibles pour pouvoir s’exprimer. C’était lui aussi : une immense liberté de ton et de parole dans ses dessins".

Garder la mémoire vive

Pendant plus de 60 ans, Jean Maurice Jules Cabut dessine et inscrit son nom d’artiste Cabu en bas de milliers de dessins de presse et de caricatures.

"Cabu c’est une œuvre considérable et je dirais même intemporelle. 

Quand on voit des dessins aujourd’hui sur Houellebecq, Zemmour, les Le Pen, ou sur les fameux boat people qui rappellent la crise des migrants aujourd’hui, on a l’impression que cela a été fait hier. 

C’est une référence incontestée et incontestable dans le dessin. 

Tous les dessinateurs connaissent Cabu. C’est un pilier de la culture française. Je pense qu’il est toujours là par ses dessins. 

Il y a eu cette phrase après l’attentat qui disait : "Ils n’ont pas tué Charlie, ils l’ont rendu immortel"

Immortel dans le sens où les dessins aujourd’hui demeurent et posent toujours les questions. L’actualité est cyclique et quand on voit un dessin de Cabu, c’est saisissant, on a l’impression que cela a été fait il y a deux heures. 

Évidemment c’est important de rappeler qui était Cabu, de parler de son travail et de parler de la mémoire de tous ceux qui sont morts plus largement dans l’attentat du 7 janvier. 

Nous, cela nous importe, c’est dans notre cœur, mais c’est important nationalement aussi."

Quand on demande à Coco de dessiner ce jour-là, elle choisit de dessiner celui dont elle nous parle depuis une heure. 

Aux premiers coups de crayon, "je me dis qu’il ne faut pas que je le foire parce qu’il ne serait pas content", dit-elle avec un sourire amusé. 

Ce même sourire éclaire son visage lorsqu’elle nous propose une description de Cabu.

"Cabu c’était un personnage physiquement intéressant. Il a gardé la même coupe à peu près toute sa vie. 

Et puis souvent un pull bleu ou alors cette chemise bariolée à carreaux, j’aimais bien quand il la portait, je trouvais que ça lui ressemblait bien. 

Souvent j’ai pensé à lui dans cette chemise ou dans son pull bleu. Titeuf ou Gaston Lagaffe avaient toujours les mêmes fringues et bien Cabu c’était un peu son style avec la fameuse pochette verte et noire dans la main. 

Et puis ce côté dans la lune, un peu ailleurs. Ces lunettes rondes. Ce regard à la fois ailleurs et très présent, très observateur et méticuleux. 

C’est à la fois tout cela Cabu. Précis dans l’approche mais aussi lunaire. 

Un personnage un peu magique qui sort de l’ordinaire capable de parler d’énormément de choses, de politique, de dessins, d’histoire et qui aime à transmettre. 

Une immense liberté aussi, que l’on ne peut pas tellement représenter dans le personnage de Cabu quand on le dessine, mais moi je pense à cela quand je pense à lui".

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