lundi 5 février 2024

«Angoulême BD : une contre-histoire (1974-2024)»

Sur le site de la 5e Couche.


Une enquête de Nicolas Finet et Philippe Capart nous dévoile le parcours de la plus grande manifestation francophone de la bande dessinée.

Le salon d’Angoulême est la queue de comète d’une longue campagne de valorisation de la bande dessinée en Europe francophone, amorcée en 1962 avec le Club des Bandes Dessinées. 

Le Club était une association Loi de 1901 (association sans but lucratif) née des lecteurs de la revue Fiction, composée de nombreuses sommités comme Alain Resnais, Francis Lacassin ou Evelyne Sullerot, qui avait des antennes en Suisse, en Belgique et en Espagne.

Par « valorisation », il faut entendre la dimension immatérielle et matérielle, culturelle et commerciale, de ce moyen d’expression artistique. 

En janvier 1974, la bande dessinée est déjà reconnue comme un art à part entière, le 9e, et elle représente un important marché dans le domaine du livre. 

Le salon d’Angoulême émerge en fin de ce long cycle.

Malgré l’adjectif «international» affiché par les organisateurs dès sa naissance, il s’agit en réalité d’une version francophone du Salon italien de Lucca, qui existait depuis déjà huit années et dont les organisateurs avaient servi de parrains. 

C’est aussi la dernière action promotionnelle de la SOCERLID du Parisien d’origine corse Claude Moliterni. 

Cette société avait doublé puis enterré le Club des Bandes Dessinées. 

Moliterni, en charge de la Convention de (bande dessinée de) Paris depuis 1969, livre son carnet d’adresses à l’équipe du nouvel événement réunie autour de l’attaché culturel d’Angoulême, sans regret, car il a perdu toute apparence de neutralité en vendant sa revue Phénix à l’éditeur Georges Dargaud et en devenant son salarié.

«Est-ce que le terme de «Salon» utilisé pour la bande dessinée ne fait pas un peu trop «installé» ?… Dans quel esprit avez-vous organisé ce salon?»

– «Le nom?! Vous savez, c'est toujours un peu pareil quand il s'agit de désigner quelque chose… Convention était déjà pris (nda: la Convention de Paris), Congrès et tout… on a pris Salon parce que ça ne veut rien dire et c'est parfait!»
(Francis Groux au micro de la télévision nationale française (ORTF), lors du Salon d'Angoulême 1, Janvier 1974.)

«Aujourd'hui, le groupe ICON (International Comics Organisation) est devenu une maffia, rien ne peut se faire sans nous. Ce n'était pas du tout l'objectif de départ, mais ce sont les faits, certains l'ont compris à leurs dépens...»

(Claude Moliterni, extrait de La Charente Libre du 28 janvier 1974, au lendemain du salon Angoulême.)

Si une équipe de bénévoles, chapeautée par Francis Groux, a bien attiré cet événement public au sein de sa ville, le terreau politique local était propice: la cité souffrait en effet d’un long complexe d’enclavement: isolée dans les terres, loin du littoral, coincée sur son plateau entre ses murailles, sans autoroute et hors des circuits touristiques.

Les élus d’Angoulême n’ont eu de cesse, année après année, de revendiquer une place à l’échelle nationale. 

Ils vont s’agripper à la campagne de régionalisation qui, à la fin des années soixante, marque la fin du gaullisme : Angoulême sera nommée « ville moyenne pilote »

C’est dans le cadre de cette dynamique que s’inscrit la campagne «Angoulême Art Vivant» dont sont issues les rencontres liées à la bd, en 1972. 

Angoulême bénéficiera ensuite de la montée en puissance d’un natif du cru : le Charentais François Mitterrand.

Un demi-siècle plus tard, comme toutes les institutions tentées de maîtriser le récit de leur propre histoire, le Salon, devenu Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême, a entrepris de réécrire son narratif, son « storytelling », pour être plus conforme à la légende qu’il a entrepris d’édifier.

Maintes fois retouchée, aménagée, tronquée, embellie, caviardée, l’histoire « officielle » de cet événement tel qu’il cherche à se raconter de la main même de ses promoteurs, le FIBD et son opérateur privé 9eArt+, est pleine d’oublis, de trous, de vides, d’escamotages et d’absences. 

Et il ne faut guère compter sur les médiateurs et les médias, majoritairement complaisants, amnésiques, approximatifs ou en affaires avec la manifestation – quand ils ne sont pas d’une servilité qui, elle aussi, interroge – pour poser les questions qui gênent, ou qui fâchent.

Pourtant, le fil rouge qui traverse toute l’histoire de l’événement est éminemment politique – au sens le plus large et le plus générique du terme. 

Car ce qui se noue à Angoulême depuis un demi-siècle, autour d’un thème en apparence dénué d’enjeux d’envergure, c’est une intense, féroce et perpétuelle comédie du pouvoir – toutes les formes de pouvoir. 

Les personnes intéressées par la bande dessinée, donc par les politiques éditoriales des maisons d’édition, ne peuvent faire l’impasse sur ces cycles de rencontres entre amateurs et professionnels.

Pour illustrer les propos de cet ouvrage, les auteurs iront puiser dans la riche iconographie de l’artiste Alain Saint-Ogan (1895-1974). 

Un homme qui a longtemps symbolisé «le dessin français» et qui ne s’est jamais reconnu comme un auteur de bande dessinée, mais bien comme un homme de presse. 

Il a œuvré dans la presse pour enfants et pour adultes. 

Son personnage de manchot, Alfred, l’ami de gamins Zig et Puce, a longtemps personnifié les prix délivrés aux salons de bande dessinée d’Angoulême.


Angoulême BD : une contre-histoire (1974-2024)
Nicolas Finet et Philippe Capart
5e Couche
Collection Écritures
200 pages
140 x 180 mm
20,00 €
Quadrichromie
Broché
ISBN 978-2-39008-098-5


À lire également:

Angoulême 2024 : une « contre-histoire » du Festival ? sur le site ActuaBD.

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