mercredi 7 février 2024

Pérou: le dessinateur Carlín intimidé par la police

Sur le site de Cartooning for Peace.

« Apprendre à les différencier (ne pas confondre) »
De gauche à droite : « Délinquant dans une tenue de policier », « Policier délinquant », 
« Policier qui accomplit son devoir »

La Police Nationale du Pérou (PNP) a annoncé, dans un communiqué publié le 30 janvier 2024, qu’elle allait engager une action en justice contre le dessinateur Carlín et son journal La República pour le dessin de presse ci-dessus.

Le dessin, publié le 30 janvier 2024 dans le journal La República, propose une représentation critique de la police nationale péruvienne. 

Il s’inscrit dans un contexte de médiatisation d’informations mettant en cause des membres de la police dans des activités criminelles.

La direction de la communication de la police a réagi le jour même dans un communiqué (en espagnol)

Affirmant que le dessin « ridiculise » la police, elle a annoncé vouloir engager une action en justice contre le dessinateur et le journal La República.

Carlín, qui souligne que son dessin décrit une situation quotidienne au Pérou, déplore cette attaque contre sa liberté d’expression. 

En 2020, il avait déjà reçu insultes et menaces pour un dessin publié dans le même journal, pour lequel il travaille depuis plus de vingt ans. Cette-fois, l’atteinte dépasse le stade des menaces.

Le vendredi 2 février, le dessinateur et le journal La República se sont vus notifier une lettre notariée émanant de la police, qui les somme de s’excuser et de rectifier leur publication dans les 48 heures sous peine de poursuites pénales en diffamation. 

Selon l’article 132 du code pénal péruvien, ce délit est passible d’un à trois ans de prison, en méconnaissance de la jurisprudence interaméricaine excluant toute peine de prison pour les délits de presse.

Très rapidement, plusieurs dessinateurs et des organisations syndicales de défense des journalistes, telles que l’Association nationale des journalistes (ANP), l’Instituto Prensa y Sociedad (IPYS) et le Conseil de presse péruvien (CPP) se sont mobilisés en soutien du dessinateur et de son journal, dénonçant une atteinte à la liberté d’expression.

Dans son communiqué, l’ANP rappelle que « l’humour bénéficie d’une protection privilégiée en tant qu’expression légitime de la liberté d’expression/d’opinion » et qu’un « système véritablement démocratique est fondé sur la tolérance de l’expression artistique critique, tolérance manifestement étrangère à la personne qui a rédigé la déclaration de la police. » 

L’avocat de l’IPYS, Roberto Peirera, souligne quant à lui que « le dessin contient un contenu critique de l’institution policière qui a été sévèrement mise en cause pour des faits objectifs et vérifiables ».

Le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, l’avocat colombien Pedro Vaca Villarreal, a réagi sur X – anciennement Twitter (en espagnol) : « une caricature n’affecte pas « l’image institutionnelle » d’une entité. Éroder l’espace pour l’humour visant une autorité porte sérieusement atteinte à la liberté d’expression. 

Lorsque l’humour inquiète les autorités, c’est parce que la réflexion qu’il cherche à susciter est pertinente ».


Les soutiens dépassent ainsi largement le cadre national. 

L’Association mondiale des éditeurs de presse (WAN-IFRA) condamne (article en anglais) ce harcèlement juridique et apporte son soutien, tout comme la Société interaméricaine de presse (SIP).

Les implications de cette affaire sur le travail des médias, dessinateurs et artistes suscitent une inquiétude grandissante dans un pays où les atteintes à la liberté de la presse se multiplient. 

L’ANP fait état de 206 attaques contre la presse en 2021 et de 303 attaques au cours de l’année 2022 dans un contexte de crise politique marquée. 

Classé 77 sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) en 2022, le Pérou a rétrogradé à la 110e place en 2023.

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