vendredi 19 avril 2013

Reprise sur le site de Courrier international (19)

Du site de Courrier international.


La suite de l'article:

Les sénateurs déclarent craindre la National Rifle Association (NRA) et le lobby des armes à feu, mais je pense que cette peur n'est rien à côté de celle qu'ont éprouvée les enfants de l'école élémentaire Sandy Hook quand leur vie s'est achevée sous une pluie de balles le 14 décembre 2012. Cette peur n'est rien à côté de celle que les survivants du massacre doivent ressentir chaque fois qu'ils se rappellent leurs instituteurs les cachant dans des placards et dans les toilettes en chuchotant qu'ils les aimaient, de façon à ce que le mot aimer soit la dernière chose qu'ils entendent si le tueur les trouvait.

Le 17 avril, une minorité de sénateurs a cédé à la peur et bloqué un projet de loi de bon sens qui aurait compliqué les choses pour les criminels et les déséquilibrés mentaux cherchant à se procurer des armes à feu – une loi qui aurait pu empêcher des tragédies comme celles de Newtown, dans le Connecticut, d'Aurora, dans le Colorado, de Blacksburg, en Virginie, et bien d'autres tragédies trop nombreuses pour en faire le compte.

Les sénateurs savent, et pourtant...

Certains des sénateurs qui ont voté contre le renforcement des vérifications des antécédents des acheteurs d'armes ont rencontré des parents dont les enfants ont été assassinés à l'école Sandy Hook de Newtown. Certains des sénateurs qui ont voté non m'ont également regardée dans les yeux quand j'ai raconté comment je me suis fait tirer dans la tête à bout portant [lors d'un meeting] dans la banlieue de Tucson il y a deux ans, et ont exprimé leur sympathie pour les 18 personnes qui se sont fait tirer dessus à mes côtés, dont six ont trouvé la mort. Ces sénateurs ont entendu les électeurs – dont l'immense majorité est, d'après les sondages, favorable à un meilleur contrôle des antécédents des acquéreurs d'armes. Et ils ont quand même décidé de ne rien faire. Honte sur eux.

Je regarde la télévision et je lis les journaux, comme tout le monde. On sait ce qu'on va entendre : de vagues platitudes comme "vote difficile" et "question compliquée." J'ai été élue six fois pour représenter le sud de l'Arizona, à l'Assemblée de l'Etat puis au Congrès de Washington. Je sais ce que c'est qu'une question compliquée, je sais ce que c'est qu'un vote difficile. Celui-ci n'était ni l'un ni l'autre. Ces sénateurs ont pris leur décision en se fondant sur des craintes politiques et de froids calculs sur l'argent des lobbys, comme la NRA, qui lors des dernières élections a consacré 25 millions de dollars à des dons, pressions et dépenses diverses.

"Je ne voterai plus pour vous."

Il m'est physiquement difficile de parler mais mes sentiments sont clairs : je suis furieuse. Je n'aurai pas de repos tant que nous n'aurons pas rectifié le mal que ces sénateurs ont fait et tant que nous n'aurons pas changé notre législation de façon à pouvoir regarder les parents en face et leur dire : 'Nous essayons d'assurer la sécurité de vos enfants. Nous ne pouvons pas laisser se perpétuer le statu quo que protège désespérément le lobby des fabricants d'armes à feu pour pouvoir amasser encore plus d'argent en répandant la peur et la désinformation.'

Je demande à tous les Américains raisonnables de m'aider à dire la vérité sur la lâcheté dont ces sénateurs ont fait preuve. Je demande aux mères d'interpeller ces législateurs à l'épicerie et de leur dire : je ne voterai plus pour vous. Je demande aux militants de se désabonner de l'adresse e-mail de ces sénateurs et d'arrêter de leur donner de l'argent. Je demande aux citoyens de se rendre dans les bureaux de leurs élus et de leur dire : 'Vous m'avez déçu et il y aura des conséquences.'

Les gens me disent que je suis courageuse mais j'ai vu des gens plus courageux. Gabe Zimmerman, mon ami et assistant, m'a vue recevoir une balle dans la tête et a vu le tireur orienter son arme contre les autres. Il s'est précipité vers moi alors que je gisais en sang. Ce faisant, il s'est précipité dans le champ des balles et le tueur lui a tiré dessus. Gabe est mort. Son corps est resté sur le trottoir devant le supermarché Safeway pendant des heures.

L'intérêt propre des sénateurs

J'ai beaucoup réfléchi à la raison pour laquelle Gabe s'était précipité vers moi alors qu'il aurait pu s'enfuir. Servir, c'était sa vie mais c'était aussi son travail. Les sénateurs qui ont voté contre la vérification des antécédents judiciaires des personnes achetant des armes en ligne et dans les foires d'armes à feu, et ceux qui ont voté contre la mise en place de contrôles pour écarter les acheteurs d'armes potentiels atteints de maladie mentale n'ont pas fait leur travail.

Ils ont étudié ces solutions parfaitement anodines et pratiques, qui avaient été proposées par les modérés de chaque parti, puis ont regardé par-dessus leur épaule le puissant lobby des armes à feu qui se tenait dans l'ombre – et ont choisi de ne rien faire, se couvrant ainsi de honte et couvrant notre gouvernement de honte.

Ils souhaitent dissimuler leur décision derrière des propos grandiloquents, des considérations délibérément biaisées sur les conséquences qu'aurait pu avoir la loi – faites-moi confiance, je sais comment parlent les politiciens quand ils veulent détourner votre attention – mais leur décision repose sur une conception déplacée de leur propre intérêt. Je dis "déplacée" parce que, pour préserver leur dignité et leur héritage, ils auraient dû écouter leurs électeurs. Ils auraient dû honorer la mémoire des milliers de victimes de la violence par armes à feu et écouter leurs familles qui exigeaient que des mesures soient prises, non parce que cela leur ramènerait leurs proches mais pour que leur souffrance soit épargnée à d'autres.

Cette défaite n'est que le dernier chapitre de ce que j'ai toujours considéré comme une entreprise longue et difficile. L'histoire de notre démocratie est truffée de noms que nous avons oubliés – des gens qui se sont dressés contre le progrès tout en protégeant les puissants. Le mercredi 17 avril, un certain nombre de sénateurs se sont joints à cette liste.
Souvenez-vous de ce que je dis : si nous ne pouvons pas assurer la sécurité de notre population avec le Congrès, nous emploierons tous les moyens à notre disposition pour avoir un Congrès différent, un Congrès qui fait passer les intérêts de la population avant ceux du lobby des armes à feu. Ne rien faire quand les autres sont en danger, ce n'est pas américain.

Note :Ancienne députée démocrate de l'Arizona, Gabrielle Giffords a reçu une balle dans la tête, le 8 janvier 2011, lors d'un meeting politique à Tucson. Elle a choisi, le 22 janvier 2012, de se retirer de ses fonctions pour se consacrer à sa guérison. Suite à la tuerie de Newtown, elle a fondé avec son époux l'association Americans for Responsible Solutions [les Américains pour des solutions raisonnables] afin de lutter contre la violence des armes à feu.

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