mardi 19 avril 2016

Casterman lance la revue « Pandora »

Sur le site de Télérama.


Le directeur éditorial de Casterman lance la revue Pandora. Au programme, des fictions brèves dessinées par quelques-unes des plus grandes pointures de la BD mondiale (d'Art Spiegelman à Blutch) et de talentueux nouveaux.

100% bande dessinée ! À une époque où les bulles sont volontiers bavardes et le propos souvent sérieux, voire didactique, la revue Pandora joue le contrepied. Tout juste lancé par les éditions Casterman, ce semestriel entièrement dédié à la fiction propose un bouquet d'histoires aussi courtes qu'inédites. 

Éclectique, international, transgénérationnel, ce premier numéro affiche un générique exceptionnel : quelques-unes des plus grandes figures de la BD mondiale (!) ainsi que de nouveaux venus prometteurs. En vrac : Art Spiegelman, BilalLoustalMattottiTardi, Jean-Louis Tripp...

Soit un joli bébé de près de trois cent pages en couleurs et noir et blanc, un bel objet destiné à être empoigné, feuilleté et pieusement conservé, et cela d'autant plus qu'il n'en existe pas de version numérique ! 

À l'initiative de ce projet atypique, Benoît Mouchart, le directeur éditorial de Casterman, décrit ce qui n'est pas un « mook » mais bien une revue, comme « un lieu de création où toutes les approches sont permises tant qu'elles respectent deux critères : la brièveté et l'imagination »

Le crédo est joli, mais la réalité autrement plus complexe. Lancer une revue de pure bande dessinée, l’installer dans le paysage et la faire durer dans le temps est un vieux rêve d’éditeur. 

Mais, à l’exception de La Revue dessinée, dans un registre très spécifique, aucune tentative « généraliste » ne s’est avérée viable, comme si le temps de Métal hurlant et d’(À suivre) était définitivement révolu.

Pourquoi vous lancer dans une telle aventure ?

D’abord, parce que depuis la disparition d’(À suivre) fin 1997, il y a toujours eu chez Casterman la volonté de le ressusciter. De nombreux projets de reprise ont été menés bien avant mon arrivée. Je crois cependant que la formule initiale, qui reposait sur le feuilleton, n’est plus adaptée. 

L’idée de proposer des histoires courtes m’est venue en parlant avec Tardi et Spiegelman. Tout deux m’ont confié à quelques mois d’intervalle qu’entre deux albums, ils avaient souvent envie de se lâcher.

Dessiner de petits récits, ou comme dirait l’auteur de Maus des « one page graphic novels » (des romans graphiques d’une page, NDT), très différents de leur registres habituels, pour expérimenter d’autres formes, se frotter à d’autres genres, casser la routine ou plus simplement pour s’aérer le cerveau. 

C’est une pratique assez répandue aux Etats-Unis où, depuis Will Eisner et Harvey Kurtzman, les « nouvelles graphiques » constituent un genre apprécié. Idem au Japon, mais pas en Europe. 

Je me suis aperçu que beaucoup d’auteurs français partageaient cette envie, mais que faute de pouvoir les publier quelque part et contraints de tenir d’autres engagements, leurs petites échappées n’allaient jamais très loin. L’idée de Pandora est née de ce constat.

“La force des nouvelles graphiques est de poser plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, de contenir une part d’ombre, de mystère, d’irrésolu.”

La revue est placée sous le double signe des formats courts et de la fiction. Pour quelles raisons ?

Pour lui donner une identité. Il n’y a pas de thème directeur, chaque auteur a carte blanche, seuls la brièveté des récits et leur nature imaginaire servent de points de repère. 

Spiegelman remarquait récemment, à juste titre, que le roman graphique est devenu une sorte d’académisme : les auteurs sont moins incités aujourd’hui à s’intéresser aux questions formelles qu’à la densité du propos. 

Ils s’interrogent moins sur le sens de l’ellipse, de la synthèse, de l’enchaînement des plans ; leur approche est souvent plus prosaïque, moins formelle…

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les premières cases des strips de Windsor McCay, des Idées noires de Franquin ou même d’Arzach de Moebius. La volonté de concision et d’évocation en très peu d’images y est étonnante. 

La force des nouvelles graphiques est de poser plus de questions qu’elles n’apportent de réponses, de contenir une part d’ombre, de mystère, d’irrésolu. Comme dans les poèmes, il y a souvent plusieurs couches dans ces récits, plusieurs directions possibles, qui invitent à les relire.

Avec Pandora, il y avait aussi l’envie de retourner aux sources de la BD, de renouer avec l’humour, la légèreté, l’enfantin, l’onirique, la fantaisie. Je suis ravi que dans ce premier numéro, Killofer mette en scène les aventures d’un étron adultérin... 

Je n’ai rien évidemment contre la bande dessinée documentaire, didactique ou de reportages, mais il ne faut pas non plus perdre de vue la fiction. La BD n’a pas l’obligation d’être sérieuse, ni d’adopter des postures « arty ».

“L’imagination nous permet d‘envisager les choses pour le meilleur.”

Selon le mythe grec, Pandora n’est pas destinée à une existence heureuse. Il y a des boîtes qu’il vaut mieux ne pas ouvrir...

...

Lancer Pandora est évidemment une prise de risque, mais la revue ne sort pas en catimini, les moyens sont là et il n’y a pas l’obligation d’une rentabilité immédiate. 

Deux autres numéros sont déjà programmés et Casterman comme Gallimard jouent le jeu, sans doute parce que les revues d’auteurs font partie de leur ADN. 

Peut-être est-ce une utopie, mais l’époque est tellement nihiliste que je préfère prendre le risque d’essayer plutôt que regretter de ne pas l’avoir fait.


Pandora, éditions Casterman, 267 pages, 18 €

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