mardi 25 septembre 2012

Les caricatures refusées par les quotidiens francophones belges

Du site Libre Belgique.


Mercredi dernier, l'hebdomadaire Charlie Hebdo a publié des dessins satiriques représentant le prophète Mahomet, après une semaine de tensions et de violences dans le monde contre le film islamophobe "L'Innocence des musulmans".



Liberté d’expression ou provocation ?

LaLibre.be a posé la question à cinq caricaturistes de la presse francophone belge : Frédéric duBus (La Dernière Heure), Pierre Kroll (Le Soir), Christian Louis, alias Clou, (La Libre), Nicolas Vadot (L'Echo, Le Vif) et Cécile Bertrand, alias Les Poux, (La Libre).
Nos Invités du samedi nous parlent de leurs dessins refusés, d’autocensure, des caricatures de Mahomet, des menaces dont certains font l’objet ou encore des réactions politiques.

Vous permettez-vous de tout caricaturer ?

duBus : Aucun sujet n'est tabou. C'est le boulot du caricaturiste.

Cécile Bertrand : Oui, tout ! Les gens reçoivent le dessin comme ils peuvent. Le rire prête à tout et on peut rire de tout.

Clou : La caricature dépend du public. Si je travaille pour un journal généraliste, je ne travaille pas pour un satirique. Le public n'achète pas La Libre pour être choqué par des dessins très expressifs.

Vadot : Non, il y a une part d'autocensure chez chacun de nous. Mais on a le droit de blasphémer, de caricaturer énormément de choses. Personnellement, j'essaie de ne jamais sombrer dans la méchanceté pure, juste pour faire mal. Tomber dans la provoc' pour la provoc', c'est rater complètement sa cible.



Pratiquez-vous l’autocensure ?

duBus : Dix fois par jour, parce que ce n'est pas drôle ou que ça va trop loin. Le sujet n’est pas tabou, c'est la manière de le traiter qui l'est. Après, si des enfants meurent dans un accident de car ou que des gens décèdent, on est tenté de faire autre chose ou de se lancer malgré tout, en faisant quand même son métier.


Vadot : Au moment de l'affaire Dutroux, je n'allais pas me moquer des familles, de leurs souffrances. Je ne me moque pas non plus des enfants ou de ceux qui ne peuvent pas vraiment répondre.

Cécile Bertrand : Le fait d’être une experte en actualité générale, cela me rend prudente. C’est une forme d’autocensure.


Dans le cas de Charlie Hebdo, s'agit-il de simple provocation ?

Kroll : La Une de Charlie Hebdo m’a beaucoup fait rire. Ils sont dans la logique de ce qu’ils font et ont toujours fait. Je n’y vois rien à redire.

Maintenant, on aime ou on n’aime pas. Et ça choquera ceux que ça veut choquer.

Je me demande si les vrais incendiaires ne sont pas les médias qui ont immédiatement relayé cette édition en annonçant que cela allait mal se passer...


Clou : Charlie Hebdo se sent investi d'une mission quasi sacrée qui est de préserver la liberté d'expression. Mais il y a un courage physique dans la démarche car un réel danger plane maintenant sur le magazine.

Vadot : Un peu. Je trouve le dessin de Une inoffensif et le côté blasphématoire pas dérangeant. Ce n'était même pas Mahomet, mais un imam. Si on ne peut plus dessiner un musulman, où est-ce qu'on va ?

Par contre, le timing choisi n'est pas très heureux...

Je me trouve actuellement en Turquie. Qu'est-ce qui se serait passé si ce truc-là avait incité quelques "barbus bas du front" à mettre une bombinette dans l'endroit où j'expose, juste parce que les mecs de Charlie Hebdo ont voulu faire dans la provoc' ?

Ils ont manqué de vista et de maturité. En sortant ce numéro avec caricatures, d'une certaine manière, et à leur corps défendant, ils légitiment ce film crétin et haineux.


duBus : J'approuve le principe mais pas la forme. J'ai vu les dessins... ce n'est pas à mourir de rire.

Vos dessins sont-ils parfois refusés ou censurés ?

duBus : Une fois, un dessin sur la pédophilie au sein de l'Eglise a été refusé par La Dernière Heure. Mais le journal l'a finalement publié trois mois après...



Cécile Bertrand : Je suis tout le temps censurée, moi. Or, je ne suis pas hard. C’est peut-être le fait d’être une femme. En un an, j’ai fait face à 30 refus. (NDLR: A ce sujet, nous vous invitons à découvrir le dessin de Cécile Bertrand de ce samedi 22 septembre dans La Libre)



Vous parlez de censure, mais le refus n’est-il pas plutôt lié au fait que vos dessins ne sont pas toujours compréhensibles de tous ?

Cécile Bertrand : Oui, c’est peut-être cela. Mais pas toujours, car pour illustrer une fuite de gaz à Bruxelles, j’avais dessiné un Manneken Pis qui fait un petit prout adorable et non provocant.

Kroll : Contrairement à Cécile Bertrand, je n’estime pas qu’un dessin "refusé" soit un dessin "censuré". Il est normal de refuser un article et donc aussi un dessin, du moment qu’on m’explique pourquoi. On peut se tromper et ne pas être compris. Franchement, des dessins refusés, il n’y en a pas beaucoup. Je dirais 2 à 3 par an. Je me venge souvent en les publiant dans un album...


Pourquoi sont-ils refusés ?

Kroll : Le refus est souvent lié à une peur de quelque chose ou à la lassitude devant les réactions outrées de certains. Ce sont plus souvent des associations juives que musulmanes d’ailleurs.

Ça finit par porter ses fruits, car le journal en a marre de devoir y répondre et se défendre.

Par exemple, après l’affaire des caricatures danoises de Mohamet, j’avais fait un dessin pour Pâques qui suivait ces évènements-là. On m’a dit que c’était fort drôle et subtil, mais qu’on n’allait pas jeter de l’huile sur le feu.



J’ai aussi rencontré deux refus pour des dessins de Bart De Wever. Vu qu’il a pris le journal en grippe, Le Soir m'a dit que si en plus on met des caricatures trop violentes de lui, il n’y a plus aucune chance qu’il réponde à nos questions. La seule fois où je l’ai croisé, il m’a engueulé.


Vadot : Lors de la catastrophe de Sierre, mon dessin a été considéré trop touchy. Il s'agissait d'un dessin qui ne cherchait nullement à se moquer de cette épouvantable tragédie, mais d'être le plus sobre possible.

Le dessin de presse a une vocation cathartique importante, surtout en période d'actualité "poisseuse". Finalement, Le Vif et L'Echo en ont pris des différents.



Sur la pédophilie au sein de l'Eglise, il m'a fallu des semaines pour passer des dessins sur Vangheluwe et les autres. Même si les faits étaient avérés, il y avait une chape de plomb sur ce sujet.

Si cette affaire avait eu lieu dans un autre corps constitué, ça aurait été déballé très vite.

Mais notre bonne culture judéo-chrétienne nous a empêché de le dire, jusqu'à un certain point.

Ensuite, l'affaire DSK a suivi, et là on a pu tous se lâcher. Ma rédactrice en chef au Vif m'a d'ailleurs demandé de me calmer parce qu'on allait loin.

Certains lecteurs se plaignaient de ne plus pouvoir montrer le magazine à leurs enfants parce que, graphiquement, on déballait des choses comme on n'avait jamais pu le faire auparavant.




Clou : Ça arrive très peu, et de moins en moins souvent. Parfois on va trop loin. A d'autres moments, la rédaction en chef a des tabous.

Lors du décès d'Annie Girardot, l'un de mes dessins a été refusé et je n'ai pas bien compris pourquoi.

Autre exemple, un dessin récent sur l'affaire Martin, qui a connu un véritable succès sur votre site et page Facebook, avait failli être refusé.



Lors de la première crise des caricatures, un dessin symbolique avait aussi été refusé. Je représentais une bombe avec la mention "autorisé" et un crayon avec "interdit".



Mais dessineriez-vous une caricature de Mahomet ?

Cécile Bertrand : En 2005, j’ai dessiné Mahomet qui se faisait entarter. Très belge et très violent comme dessin. La caricature est passée et j’ai eu peur pour ma sécurité. Mon fils m’a dit : "T’es folle de faire une telle provocation !".



Kroll : Moi, si je voulais vraiment dessiner le prophète à poil comme Charlie Hebdo, j’ignore où je le ferais, car Le Soir ou La Libre le refuseraient. Mais j’ai déjà reçu des menaces, donc ça m’a forcé à réfléchir à la question.


Des menaces ?

Kroll : Je ne vais pas donner de détails, car la police conseille de ne pas en parler afin d'éviter d'en susciter d’autres. Simplement, cela faisait suite à un faux testament de Ben Laden que j’avais mis dans un album. J’ai reçu du courrier m’avertissant que cela ne se faisait pas.


Faites-vous l'objet de pressions de la part de politiques belges ?

Vadot : Je ne les rencontre jamais. Je ne sais même pas s'ils aiment mes dessins.

Kroll : Les politiques adorent les dessins qui concernent les autres. Quand ça les concerne directement, ils ne comprennent pas ou n’aiment pas beaucoup. C’est par exemple le cas d’Elio Di Rupo ou de Joëlle Milquet, qui se vexent.

Clou : Les politiques sont très contents d'être caricaturés.


Cela dit, vous imposez-vous des règles en période électorale ?

duBus : Non, car l'actualité fait le sujet du jour. Je ne suis pas un dessinateur engagé politiquement donc je ne privilégie personne.

Vadot : Je ne vais pas taper sur un seul parti pendant les trois semaines qui précèdent le vote, sauf la N-VA... Mais je ne fais pas non plus dans le politiquement correct en essayant de trouver un équilibre entre les partis.

Kroll : En période électorale, il faut être le moins engagé possible. Mais, personnellement, c’est facile, car je n’ai aucune couleur de parti et ne sais pas pour qui je vais voter. En travaillant sur Mise au Point, j’ai eu cette obligation de neutralité. Je n’y serais plus si je tapais toujours sur les mêmes.


Entretiens croisés: Dorian de Meeûs et Jonas Legge

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