Aujourd’hui, de grands musées célèbrent des stars de la BD comme Crumb ou Spiegelman. Au cinéma, les adaptations font recette. Pourtant le marché a ses failles.
L’excellent site Du 9 publie « Numérologie » 2011, une analyse passionnante du marché de la BD. Paradoxal, ce dernier « recule tout en continuant sa progression ». Explications.
1—Des chiffres trompeurs
« On a toujours besoin de se montrer plus beau qu’on est »
La plupart des éditeurs rechignent à donner leurs vrais chiffres de vente, de peur de semer le doute sur la bonne santé de l’activité. « On ne saura finalement que ce que les éditeurs veulent bien laisser paraître », résume Xavier Guilbert, auteur de « Numérologie ».
« Les chiffres de tirage communiqués par la plupart des éditeurs sont évidemment assez gonflés », admet François Capuron, directeur marketing des éditions Delcourt.
« On a toujours besoin de se montrer plus beau qu’on est. Quand il y a des baisses de tirage, on n’a pas forcément envie de montrer que ses séries phares sont tirées à moins 10%, moins 20%. »
2—Celui qui lit de la BD lit de tout
« Je pensais que je serais lu par ceux qui ne lisaient pas de livre »
On voit souvent dans la BD une pratique culturelle populaire, qui touche selon la formule consacrée, « un public de 7 à 77 ans ».
Dans les faits, la BD concerne plutôt les « 7 à 34 ans ». Seulement 9% des Français sont des lecteurs réguliers et 40% considèrent que « les bandes dessinées sont surtout faites pour les enfants et les jeunes ».
Pour l’auteur de BD Fabien Vehlmann, (« Seuls », « Les Derniers jours d’un immortel »), « l’image populaire est liée à la facilité de lecture qu’offre la BD ».
De fait, le lecteur type est plutôt jeune, masculin et éduqué. Selon l’analyse, l’intéret grimpe avec le niveau d’étude. Un adepte sur deux est bac + 4 ou plus. L’amateur de BD est généralement un lecteur qui lit déjà de tout. « Moi, je pensais bêtement que je serais lu par des gens qui ne lisaient pas de livre », s’amuse Fabien Vehlmann.
« Ce qui compte, c’est de savoir quel public on ramène », poursuit Thomas Gabison, directeur de la collection Actes Sud BD. La BD se développe dans les librairies. Mais « les libraires généralistes ont souvent voulu aller trop vite » en ouvrant des rayons BD sans toujours connaître les acheteurs et les produits. « Du coup, on a souvent les “blockbusters” de la BD en rayon », constate Fabien Vehlmann.
De fait, le lecteur type est plutôt jeune, masculin et éduqué. Selon l’analyse, l’intéret grimpe avec le niveau d’étude. Un adepte sur deux est bac + 4 ou plus. L’amateur de BD est généralement un lecteur qui lit déjà de tout. « Moi, je pensais bêtement que je serais lu par des gens qui ne lisaient pas de livre », s’amuse Fabien Vehlmann.
« Ce qui compte, c’est de savoir quel public on ramène », poursuit Thomas Gabison, directeur de la collection Actes Sud BD. La BD se développe dans les librairies. Mais « les libraires généralistes ont souvent voulu aller trop vite » en ouvrant des rayons BD sans toujours connaître les acheteurs et les produits. « Du coup, on a souvent les “blockbusters” de la BD en rayon », constate Fabien Vehlmann.
3—Moins d’albums vendus... mais des BD plus chères
Après avoir culminé en 2007 (34 millions d’exemplaires selon Ipsos), les ventes d’albums de BD reculent. Elles sont souvent compensées par l’augmentation des prix de vente (20% depuis 2006). La hausse de la TVA, entrée en vigueur depuis le 1er avril, appuie cette augmentation.
Chez Delcourt, on confirme que « la première forme de compensation se fait sur l’augmentation des prix de vente ». Avec la hausse de la TVA, les résultats du secteur mesurés en chiffre d’affaires TTC, seront mécaniquement bons...
Cette année, l’éditeur affiche une croissance de 15% de son chiffre d’affaires par rapport à mars 2011. Pourtant, les derniers chiffres de GFK indiquaient, fin mars, un premier trismestre en recul de 6% par rapport au premier trimestre 2011.
4—Une surproduction de BD ?
« Beaucoup d’éditeurs disent “c’est pas moi, c’est les autres”. »
(Fichier PDF) |
Un récent rapport du ministère de la Culture rappelle qu’« en 2011, avec plus de 4 800 nouveautés et nouvelles éditions, le nombre de titres de bandes dessinées publiés en France a augmenté de 5% par rapport à 2010, et plus que triplé depuis 2000 ».
Alors que les ventes baissent et que le lectorat poursuit sa lente érosion, les maisons d’édition se multiplient. Le nombre d’éditeurs a presque doublé en dix ans.
Les grands groupes augmentent leur offre pour tenter de maintenir les ventes. Chez Delcourt, on reste sceptique :
« L’idée d’augmenter la production pour compenser une menace sur le chiffre d’affaires, j’y crois pas trop. C’est de la cavalerie. Au bout d’un moment, on se casse la figure. »
Fabien Vehlmann s’amuse du fait que « personne n’a envie de reconnaître cette surproduction » :
« Beaucoup d’éditeurs disent “c’est pas moi, c’est les autres”. Comme une patate chaude qu’il se refilent. Cela dit, la suproduction n’a pas que des effets néfastes. Elle a permis à beaucoup d’auteurs d’avoir un premier album édité. »
Tous ne multiplient pas leur offre. Sébastien Gnaedig, chez Futuropolis, a « entamé depuis deux ans une baisse du nombre de parutions pour atteindre un nombre de nouveautés qui se stabilise cette année à 35 titres et 5 intégrales ou nouvelles éditions, afin d’accompagner au mieux nos livres ». Les Requins Marteaux, symbole de l’édition indépendante menacé par la crise, ont également réduit leur nombre de sorties : 14 titres en 2010 et 12 en 2011.
5—Le marché du manga saturé
« Au Japon, il n’y a pas eu de renouvellement »
« Naruto » de Masashi Kishimoto, éd. Kana, mars 2002 |
Longtemps porteur, le segment du manga arrive à saturation (37% des bandes dessinées vendues en 2008, selon Ipsos). L’essentiel des ventes se concentre sur quelques best-sellers : la série « Naruto » représente 14% du volume des ventes en manga (sur 2007-11), notamment grâce à la grande distribution.
À la libraire Album, Hayedine installe « parfois jusqu’à 300 titres mangas par mois. On a à peine le temps de les installer sur la table, que de nouveaux arrivent. Depuis peu, ça se calme un peu ».
« Le manga est en train de se stabiliser et non de saturer. C’est logique. Ça fait aussi référence à une crise au Japon où il n’y a pas eu de renouvellement de grands mangas depuis des années. »
6—Feu la BD franco-belge
Un déclin dû au succès du comics ?
La bande dessiné a longtemps rayonné avec les grandes séries franco-belges classiques. Aujourd’hui, ces séries s’essoufflent. Les principaux groupes d’édition réagissent en augmentant le nombre de sorties, espérant compenser ces ventes défaillantes.
« Lâchez les chiens », XIII, de William Vance et Jean Van Hamme, éd. Dargaud Benelux, mars 2002 |
Pour Thomas Gabison, chez Actes Sud BD, « il y a plusieurs BD comme il y a plusieurs littératures. Il y a du Marc Levy de grande consommation dans la BD ».
« Dans la foulée des séries de Van Hamme (“ XIII ”, “ Largo Winch ”), paraissent une foule de copies, puis de copies de copies... . »
« Le format du livre de 40/ 60 pages est amené à disparaître », affirme Hayedine chez Album, convaincu qu’il faudrait que le franco-belge « passe le cap symbolique des 100 pages ».
« Aujourd’hui, les gens ont envie de BD plus épaisses, avec un début et une fin. »
La BD franco-belge est moins productive que le comics ou le manga. Mais elle représente souvent une rentrée d’argent non-négligeable pour ses auteurs.
« La série, une source de revenus réguliers »
« Le Maître des couteaux », Seuls, de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann, éd. Dupuis, avril 2007 |
Fabien Velhmann gagne sa vie en partie grâce à sa série « Seuls », qui se vend en moyenne à 70 000 exemplaires par épisode :
« Elle fait partie des séries qui continuent à se vendre malgré un format parfois vu comme démodé. »
Il constate pourtant que des séries qui s’émoussent jouent parfois les prolongations :
« Une série, c’est souvent la garantie de revenus réguliers. »
Le libraire d’Album, lui, oppose le déclin des séries franco-belges à la montée du comics « dans les boutiques généralistes grâce à des adaptations et à des séries comme “Walking Dead” (l’histoire de quelques familles encerclées par les morts-vivants) ou aux éditions Vertigo “.
« Le comics a réussi à sortir du cliché du mec qui met son slip au-dessus de son pantalon. »
Extrait de Passé décomposé’, Walking Dead, de Charlie Adlard et Robert Kirkman, éd. Delcourt, février 2008 (Editions-Delcourt.fr) |
Delcourt, éditeur de ‘ Walking dead ’ (900 000 exemplaires vendus), affirme qu’‘ un tel succès n’était pas attendu. Vous avez beau regarder GFK, faire des courbes, vous êtes toujours surpris ’.
7—Le roman graphique a la cote
« C’est une mode, comme le manga »
En sept ans, le segment du roman graphique s’est imposé dans le paysage de la BD. Depuis 2004, le nombre de sorties annuelles a été quasi multiplié par trois. Aujourd’hui, le genre est encombré.
D’abord promu par les maisons indépendantes, le roman graphique a été renforcé par l’arrivée massive des grands éditeurs. Delcourt a maintenant sa collection Shampooing, dirigée par Lewis Trondheim. Gallimard a Bayou, dirigée par Joann Sfar. Les grands éditeurs représentent à présent la moitié de la production.
Extrait des ‘Chroniques de Jérusalem’ de Guy Delisle, coll. Shampoing, éd. Delcourt, novembre 2011 (Editions-Delcourt.fr) |
Thomas Gabison, chez Actes Sud BD, regrette cette dérive :
« Un projet que je reçois et que je refuse, je le vois publié six mois plus tard ailleurs. Beaucoup de choses ne devraient pas être éditées, elles manquent de travail. D’ailleurs, le roman graphique est né du travail de petits éditeurs comme L’Association ou Frémok, qui ont donné du temps à leurs auteurs. »Le libraire d’Album est sceptique sur la solidité du secteur :
« J’aimerais bien voir les ventes, au final. C’est une mode et à mon avis, comme dans le manga, on se dirige vers la concentration : bientôt quatre ou cinq titres tiendront la branche. »
8—Le numérique, combat des auteurs
Cette histoire d’Internet...’
Flyer réalisé par le Snac (Pluttark/Snac) |
La révolution numérique de la BD, annoncée depuis quelques années, n’a toujours pas eu lieu. En revanche, le potentiel qu’elle représente crée des tensions entre auteurs et éditeurs.
Depuis 2008, la question des droits numériques est devenue l’une des priorités du Syndicat BD, groupe d’auteurs de BD de 700 adhérents, dont Etienne Davodeau, Dupuy & Berberian ou Lewis Trondheim.
Emmanuel de Rengervé est délégué général du Syndicat national des auteurs compositeurs (Snac) :
« Pour les auteurs, aujourd’hui, les droits numériques représentent des poussières de centimes. Les auteurs sont mécontents. On leur propose de signer des contrats où ils cèdent leurs droits numériques sur tout, pour toujours. Aujourd’hui, l’économie de la bande dessinée, c’est le papier. Mais demain, il est probable qu’une partie du papier migre vers le numérique. On ne sait pas de quoi demain sera fait et la raison serait d’attendre. »
Flyer réalisé par le Snac pour le Festival de BD d’Angoulême (Fabien Velhmann/Snac) |
Delcourt compte environ 150 références sur l’ebook store, et reconnaît qu’‘ aujourd’hui, le modèle économique n’existe pas ’. ‘Pourtant, un tas d’agents commerciaux nous appellent pour nous proposer des produits ’”, poursuit Thomas Gabison, chez Actes Sud BD.
Pour lui, la numérisation à l’identique des bandes dessinées présente peu d’intérêt.
« Utiliser le Web comme un nouvel outil d’écriture va prendre du temps. Nous, on a envie de trouver des narrations en bande, comme la frise interractive ‘127 rue la Garenne’, qui accompagne la sortie de ‘Demain, demain’ de Laurent Maffre. »
Des revues numériques s’émancipent du marché papier, comme la prochaine Revue dessinée.
Chez Les Requins Marteaux, Franck Baloney conclut :
« Nous avons pleinement conscience que quelque chose est en train de jouer avec cette histoire d’Internet. Mais faute de ressources humaines nous ne pouvons pas encore affronter ce futur enjeu culturel et économique. Ça a déjà été la croix et la bannière pour instaurer des tours de vaisselle, alors chaque chose en son temps. »
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