mardi 10 juin 2014

Expo «Gustave Doré: l'imaginaire au pouvoir» à Ottawa

Valérie Lessard dans Le Droit.



Gustave Doré. La majorité des gens ont déjà vu ses oeuvres, que ce soit ses illustrations de la Bible, des Fables de Lafontaine, du Gargantua de Rabelais ; ou L'Enfer de Dante, l'un de ses magistraux paysages ; ou encore le saisissant résultat de son pèlerinage à Londres, par lequel il témoigne du sort réservé aux laissés pour compte de la révolution industrielle du XIXe siècle. Sans pour autant savoir qui se cache derrière ces images.

C'est justement pour cette raison que l'exposition estivale du MBAC lui sera consacrée : présentée à Ottawa en exclusivité nord-américaine du 13 juin au 15 septembre, Gustave Doré (1832-1883). L'imaginaire au pouvoir vise à « rendre compte des multiples facettes de cet artiste totalement singulier et complexe afin de le réhabiliter », fait valoir le conservateur en chef du Musée, Paul Lang.

Bien avant d'être embauché par Charles Philipon pour le Journal pour rire en tant que dessinateur de presse et caricaturiste à... 15 ans, Gustave Doré dessine déjà abondamment dans ses cahiers d'écolier. Il joue aussi du violon et pratique la gymnastique (d'où sa fascination pour les saltimbanques, qui deviendront ultérieurement sujets de tableaux).

« C'est un autodidacte, fondamentalement indépendant d'esprit, qui s'avère par ailleurs très conscient de la hiérarchie des médiums. Il sait qu'il doit réussir aussi en peinture et en sculpture s'il veut goûter à la reconnaissance qu'il considère mériter. D'ailleurs, il a beaucoup souffert d'avoir obtenu la notoriété en tant qu'illustrateur, mais non en tant que peintre et sculpteur », souligne M. Lang.

Tout au long de sa carrière, Gustave Doré entretient une relation trouble avec la gloire. Prolifique, il la cherche en multipliant les expositions pour convaincre critiques et public de son talent, allant même jusqu'à ouvrir une galerie portant son nom à Londres, où il est mieux perçu qu'en France.


Le triomphe du christianisme sur le paganisme, 1868


Cette gloire, il l'évoque aussi métaphoriquement dans son oeuvre, notamment par la récurrence du mouvement vertical, « ascendant et descendant, pour rendre compte de la quête du sommet et de la chute », explique Paul Lang. Le public sent cette forme de vertige, autant dans ses illustrations (comme celle, littérale, de Frollo, selon Notre-Dame de Paris de Victor Hugo), que dans ses tableaux (Cirque de Gavarnie) et sculptures (Le poème de la vigne).

L'artiste l'évoque également de manière plus directe, comme le clame son plâtre intitulé La Gloire étouffant le Génie.


La Gloire étouffant le Génie, 1878. Plâtre

Cette quête de reconnaissance des autres, Gustave Doré la transpose incidemment dans le regard qu'il jette sur les laissés pour compte : outre les saltimbanques et les Titans (« les vaincus des dieux de l'Olympe », rappelle M. Lang), il peint les pauvres de Londres, d'Espagne et de la Commune de 1870.


Scène de la rue à Londres, 1870

« Il était un genre de documentariste de son temps et donc, dans cette optique, plus un peintre d'actualité que d'histoire », soutient le conservateur en chef du MBAC.

Cela dit, et bien qu'il témoigne de ce qu'il voit et vit à partir de ses valeurs civiques et humaines, entre autres lors de la guerre franco-prussienne (1870-1871), Gustave Doré « n'est pas un opposant ».

« Il n'a pas de conscience politique comme certains de ses contemporains, tels Victor Hugo ou Honoré Daumier, par exemple », tient à préciser Paul Lang.

Divisée en sept sections, Gustave Doré (1832-1883). L'imaginaire au pouvoir réunit une centaine d'estampes, dessins, tableaux et sculptures, incluant quelques-uns de ses paysages écossais les plus impressionnants. Dans ces derniers, il allie la sensibilité à la lumière d'un Corot à la matérialité d'un Courbet, proposant des décors à couper le souffle.

Cette exposition est le fruit d'une collaboration avec le Musée d'Orsay de Paris et représente la plus importante rétrospective consacrée à Gustave Doré depuis plus de 30 ans.

En exclusivité

Si l'exposition a d'abord été présentée au Musée d'Orsay de Paris, au printemps, elle n'en réserve pas moins quelques exclusivités au MBAC.


La poème de la vigne, 1877-1882. Bronze



Ainsi, l'impressionnant vase de bronze Le poème de la vigne - qui mesure près de 4 m de hauteur et est habituellement sis parc Golden Gate près du Musée de Young, à San Francisco - accueillera les visiteurs à Ottawa. Il en va de même pour l'une de ses rares marines, Les Océanides (ou Naïades de la mer), une huile sur toile de 127 x 185,4 cm appartenant à un collectionneur de New York.




Une source d'inspiration constante
Gustave Doré est décédé bien avant l'émergence d'un nouveau médium : le cinéma. Ce qui ne l'a pas empêché de marquer l'imaginaire de plus d'un artisan du septième art, de Georges Méliès (Le Voyage dans la lune, 1902) à Roman Polanski (Oliver Twist, 2005).

Des extraits d'une vingtaine des longs métrages qui ont ainsi fait un clin d'oeil à l'oeuvre de Gustave Doré au fil des ans seront partie prenante de l'exposition et projetés sur trois écrans. Dont un du Nom de la rose, l'adaptation cinématographique de 1986 du roman d'Umberto Eco, qui fait écho au Néophyte (lithographie, 1868).

Van Gogh et Picasso...

Pendant que Doré lui-même renvoie à moult reprises à la sculpture L'esclave mourant de Michel-Ange (notamment dans La Gloire étouffant le Génie, 1878), Van Gogh et Picasso ont pour leur part presque décalqué ses tableaux. Le premier a fait de La cour de la prison de Newgate de Doré sa propre Ronde des prisonniers quelque 20 ans plus tard (incluant les deux petites touches de blanc pour évoquer des oiseaux se détachant sur le haut mur de briques). Le second a puisé dans ses Saltimbanques (1874) l'essence des siens, peints en 1905.


Les Saltimbanques, dit aussi L'enfant blessé, 1874


L’exposition Gustave Doré (1832–1883). L’imaginaire au pouvoir 
se poursuit jusqu’au 14 septembre 2014 au Musée des beaux-arts du Canada. 

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