jeudi 12 décembre 2019

Entretien avec le caricaturiste algérien L’Andalou

Pierre Lepidi sur le site du Monde.


À la veille de l’élection présidentielle en Algérie, le caricaturiste L’Andalou constate une répression accrue des intellectuels et des artistes, dont certains ont été emprisonnés.

L’Andalou, de son vrai nom Youcef Koudil, est un dessinateur algérien formé à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger. 

Il a commencé sa carrière de dessinateur de presse lors des « printemps arabes » en 2011. Il a travaillé près de quatre ans pour l’hebdomadaire El Watan Week-End et a collaboré avec le quotidien Reporters

En 2016, le Festival international de la bande dessinée d’Alger lui a décerné son grand prix d’honneur. 

Auteur de trois albums, E = MCA, Welcome to Algeria et L’Opium et le Béton, celui dont le pseudo vient du nom du village kabyle de ses ancêtres, qui signifie « Séville », expose son travail en France, au Canada et aux Etats-Unis. 

On peut aussi retrouver ses dessins sur les réseaux sociaux.


En tant que citoyen algérien et dessinateur, que ressentez-vous à l’approche de la présidentielle ?

Franchement, ça craint. Si tu parles, tu vas en prison. Si tu dessines, tu vas en prison. 

On pensait qu’on avait dépassé cela. Mais maintenant, c’est l’armée qui détient le pouvoir. Certes, ça a toujours été le cas. 

Mais on se rend compte aujourd’hui qu’elle est pire que Bouteflika. Au début de sa présidence, mes dessins étaient publiés. 

Puis il est tombé malade [victime d’un grave accident vasculaire cérébral en 2013, sa santé n’a cessé de se dégrader ensuite]. 

J’ai été viré à cause d’un dessin qui ne plaisait pas à un actionnaire du journal. Faut-il préciser que le quatrième mandat de Bouteflika s’est fait sans lui ? 

Ce n’est pas lui qui était aux commandes du pays, mais son frère et des gens qui ne supportent pas l’humour. 

Ils considèrent que les dessins et les caricatures sont une insulte.

Aujourd’hui, l’armée ne veut pas lâcher et le peuple non plus. 

Selon les dirigeants, un des cinq candidats sera élu et le peuple devra fermer sa gueule. 

C’est ce qu’ils veulent. Mais le mouvement algérien ne le fera pas. C’est trop injuste et le peuple en a marre.

Quelle est la situation de la liberté d’expression aujourd’hui en Algérie ?

Des journalistes très connus ont perdu leur emploi ces dernières semaines. D’autres sont en prison. Ça fait peur. 

Où va t-on ? Personne, pas même l’armée, n’a envie de revivre une période de violence comme celle de la décennie noire [nom donné à la guerre civile qui opposa le régime algérien à différents groupes islamistes à partir de 1991]. 

Mais il faut bien comprendre que le peuple ne veut pas de ces élections, à part les gens qui ont des intérêts liés aux cinq candidats [Ali Benflis, Abdelmadjid Tebboune, Azzedine Mihoubi, Abdelaziz Belaïd et Abdelkader Bengrina]. 

Ils ont tous été au gouvernement et traînent des casseroles. 

Le peuple veut de nouvelles têtes. Azzedine Mihoubi, le favori, a déjà été ministre de la culture. Mais qu’a t-il fait pour les cinéastes, les réalisateurs ou les peintres ? Tout est cadenassé.



Pourquoi le Hirak n’a-t-il pas présenté un candidat ?

La pression était trop forte. En dix mois, nous n’avons pas eu assez de temps. 

Quelques personnalités ont émergé, mais aujourd’hui elles sont en prison. Il n’y a pas d’opposition et donc pas d’alternative qui se profile. 

Pour ma part, je pense à l’exil. 

J’avais une dizaine d’années pendant la décennie noire. J’en garde des images terribles et je n’ai pas du tout envie de revivre une période de troubles, encore moins de faire vivre ça à mes enfants.

Êtes-vous libre lorsque vous dessinez ?

Sur les réseaux sociaux, je suis libre pour l’instant, mais je ne travaille plus pour aucun journal. 

Je reçois des menaces, mais je ne les prends pas au sérieux. 

Le dessinateur Nime, que je ne connais pas personnellement car il est d’Oran, est en prison depuis le 26 novembre pour ses dessins [accusé d’« atteinte au moral de l’armée » et d’« atteinte à l’intégrité du territoire » pour deux dessins publiés sur Twitter, il a été condamné à un an de prison, dont trois mois ferme, mercredi 11 décembre]. 

C’est très grave ! Le régime aimerait probablement que tous les intellectuels et les artistes quittent le pays.

La situation s’est dégradée dès le début du Hirak ?

On ne peut pas dire les choses comme ça. 

Le Hirak a permis aux gens de se libérer, de prendre la parole alors qu’ils ne le faisaient pas. Il y a un élan de liberté et on sent que des gens qui n’avaient pas l’habitude de s’exprimer le font aujourd’hui. 

Avant, la rue ne nous appartenait pas. Désormais, c’est tout un peuple qui sort. 

Du coup, l’Etat panique et tente de le faire taire. 

Si le cinquième mandat de Bouteflika avait été accepté, nous serions devenus la risée du monde. J’ai eu honte d’être algérien à un moment donné. 

Nous avions un président qui était un mort-vivant. Vous vous rendez compte de l’image à l’étranger ? 

Comme tout le monde, j’ai envie de pouvoir dire que je suis fier d’être algérien.

Quel dessin vous inspire cette élection ?

Donnez-moi une feuille et je vais vous montrer… [Il sort ses stylos et, tout en continuant la conversation, se met à dessiner.] 


Cette élection est un ring. C’est le combat entre un homme pauvre et maigre, mais plein d’espoir. 

Face à lui, il y a un homme armé, très baraqué. C’est ce dernier qui devrait gagner, c’est évident. 

Mais le maigrelet n’est pas tout seul ! Il y en a beaucoup d’autres derrière lui. 

Il y a tout un peuple et ce peuple a envie d’aller au bout. La prison ne lui fait pas peur. Il n’a rien à perdre et il a la rage.

L’Algérie a une longue tradition de caricaturistes. D’où vient-elle ?

À la fin des années 1980, le peuple revendiquait plus de libertés et d’ouverture médiatique. On jalousait un peu la liberté des pays occidentaux. 

Des politiciens ont ouvert les vannes et on a pu avoir accès à plus de choses. 

Des journaux indépendants se sont aussi créés, même s’ils dépendaient de la manne financière de l’Etat. C’est là que les caricaturistes ont pu émerger.

Que vous apporte l’association Cartooning for Peace ?

Cette organisation est très importante car elle nous encourage à continuer. 

Même si je ne travaille plus pour un journal aujourd’hui, savoir que mes dessins sont montrés à la télévision ou publiés, et le fait d’organiser des rencontres avec d’autres dessinateurs, m’apporte beaucoup. 

Les dessinateurs de presse constituent un petit univers et ça fait du bien de se retrouver. 

Il devrait y avoir un petit pays où il n’y aurait que des artistes.

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