mardi 27 juillet 2021

Mario Lacroix, l’homme aux 10 000 caricatures

 Sur le site du Quotidien.


Le style artistique et humoristique de Mario Lacroix pimente la lecture des abonnés du Quotidien et du Progrès depuis plus de trois décennies. 

Le caricaturiste illustre avec humour les événements et personnalités qui font l’actualité du Saguenay-Lac-Saint-Jean jour après jour. 

Aujourd’hui, il cumule plus de 30 000 dessins. Au fil des décennies, la façon de travailler du dessinateur qui doit aussi analyser l’actualité a bien évolué, autant en ce qui concerne les technologies utilisées que les sujets dont il peut traiter. 

Le Progrès donne aujourd’hui la parole à celui qui a l’habitude de s’exprimer en peu de mots, mais en beaucoup d’images.

Propos recueillis par Anne-Marie Gravel.

Mario Lacroix, vous créez des caricatures pour les journaux Le Quotidien et Le Progrès depuis plus de 30 ans. Qu’est-ce qui vous a amené là? Quel est votre parcours?

J’ai toujours dessiné, depuis l’enfance et même dans mes temps libres, je dessine sur des projets personnels. J’ai commencé à faire des caricatures en sixième année pour le journal de l’école. 

Au secondaire, je dessinais mes professeurs ou compagnons de classe dans mes cahiers. J’ai participé à quelques reprises au journal du cégep ou pour des compagnies pour lesquelles je travaillais. 

Dans les années 80, j’ai publié quelques caricatures dans le journal La Rive-Nord de Chicoutimi. 

J’ai fait quelques illustrations pour les éditions Jean-Claude Larouche, le Carnaval Souvenir de Chicoutimi et différentes compagnies. 

En 1989, j’ai lu dans Le Quotidien que le poste de caricaturiste serait libre dans quelque temps. J’ai constitué un porte-folio de mon travail récent et je l’ai apporté au journal. 

Il y avait quelques candidats et après une entrevue avec M. Bertrand Tremblay et M. Bertrand Genest, je suis devenu caricaturiste du Quotidien

Cela n’a pas été facile au début : trouver la ressemblance, imaginer des scénarios ou des situations, mais avec le temps, j’ai pris de l’expérience.



Avez-vous une idée du nombre de caricatures que vous avez réalisées? Avez-vous déjà connu des périodes où l’inspiration manquait?

J’ai fait plus de 10 000 caricatures en 32 ans, j’en compte près de 9000 dans mes archives du Quotidien incluant les caricatures du jour et celles de fin d’année et il en manque plusieurs. 

Pendant quelques années, je produisais une caricature en première page trois fois par semaine, sans compter les projets personnels ou celles des clients, organismes ou compagnies de publicité. 

L’inspiration n’est généralement pas un problème, sauf durant les vacances d’été où les débats politiques sont au ralenti, nous privant des cabrioles de nos politiciens.

Est-ce qu’au fil du temps, des personnalités publiques ou des événements vous ont particulièrement inspiré?

Il y en a eu beaucoup. En ce qui concerne les événements, on se souvient du déluge. 

Il y a eu aussi la fusion des villes du Saguenay, le dossier du site d’enfouissement, le champ de tir, la fermeture de l’usine Port-Alfred, l’autoroute Alma-La Baie, qui n’est toujours pas terminée d’ailleurs. 

Plus récemment, le dossier GNL Québec, les bacs bruns, le nouvel amphithéâtre de Saguenay, les berges du lac Saint-Jean, l’industrie forestière et l’industrie de l’aluminium m’ont beaucoup inspiré.

...

Pour parvenir à créer des dessins amusants, mordants, satiriques jour après jour, il faut non seulement être au fait de l’actualité, mais aussi être capable de l’analyser. Quel est le processus derrière une caricature?

Tout d’abord, il faut suivre l’actualité régionale. Je rédige donc tous les jours une revue de l’actualité en commençant par Le Quotidien et son site Web. 

Viennent ensuite CBJ, SRC et TVA. Souvent, les gros titres rédigés par l’équipe du journal vont faire apparaître une idée sur-le-champ. 

Je développe des scénarios sur les différents sujets que j’ai retenus. Ensuite, je communique avec le rédacteur en chef ou la personne responsable de l’information pour discuter des sujets susceptibles d’être intéressants pour une caricature. 

S’il s’agit de politiciens, il y a souvent un événement ou des faits qui ont marqué leurs carrières, un historique dont on peut se servir pour les caricaturer.



Le métier a inévitablement évolué au cours des trois dernières décennies. De quelle façon?

Lorsque j’ai commencé à produire des caricatures pour Le Quotidien en 1989, je travaillais avec une plume, de l’encre et des pinceaux. 

Après avoir réalisé le brouillon sur un carton, je traçais le dessin final à l’encre de Chine, ensuite j’effaçais le brouillon avec une gomme. Le lettrage était également fait à la plume. 

C’était compliqué lorsque je faisais une faute d’orthographe. Il fallait repeindre à l’encre blanche pour retracer à nouveau. La livraison du dessin se faisait en auto, tous les jours, j’allais porter mon illustration au pupitre. La caricature était photographiée et envoyée au montage.

Plus tard, les compagnies de matériel pour artistes se sont mises à produire des crayons à l’encre indélébile. 

À ce moment, j’ai pu laisser tomber la plume et l’encrier pour ces nouveaux outils. Il y avait également une série de marqueurs pour graphisme dans les teintes de gris afin de faire le remplissage ou les ombres des personnages. J’utilisais aussi des trames détachables pour créer des textures dans le dessin ou du lettrage.

Vint ensuite l’ère des ordinateurs. En 1996 furent lancés sur le marché les premiers ordinateurs avec système d’exploitation Windows. 

Produire une illustration avec un ordinateur de l’époque était pour le moins épique. Il fallait faire le brouillon sur papier, ajouter une feuille de papier à tracer, refaire le dessin à l’encre pour le numériser afin de le terminer avec un logiciel de dessin.

Il fallait aussi apprendre à utiliser les logiciels de dessin. Ils étaient livrés avec des manuels d’instructions comptant souvent plus de 600 pages.

Une fois la caricature terminée, la livraison se faisait sur disquette et toujours en voiture. C’était le début d’Internet et les transferts de fichiers via le WWW étaient plutôt longs et incertains.

Le bond technologique le plus important pour moi fut l’avènement des écrans tactiles, aux environs de 2012. 

Ils étaient disponibles seulement en provenance des États-Unis. Aujourd’hui, je dessine directement sur l’écran avec un stylet, la couleur, le lettrage, les corrections, tout est beaucoup plus facile à réaliser et enfin la livraison se fait par Internet.

Ce qui est acceptable ou non en humour a complètement changé au cours des dernières années. Est-ce de plus en plus difficile de faire des caricatures de façon quotidienne?

Fini les images avec des armes à feu, de la dynamite, des couteaux ou celles montrant des situations violentes, des bagarres, des duels. 

Il faut aussi, et avec raison, user de la plus grande prudence concernant les personnalités publiques féminines. Il est inimaginable de publier la caricature d’une femme politique arborant un œil au beurre noir ou un bras en écharpe illustrant le fait d’une défaite électorale. 

Je ne compte pas, pour ma part, le nombre de dessins montrant les Chrétien, Mulroney, Bourrassa ou Parizeau en camisole de force ou le dos couvert de poignards en signe de trahison!

Les différentes religions, l’orientation sexuelle, les nombreuses ethnies, les Premières Nations sont des sujets avec lesquels il faut faire preuve de discernement. Heureusement qu’il reste la politique!

Quel est le principal défi d’un caricaturiste en 2021?

En 2021, il faut composer avec la suite de la pandémie de COVID-19. J’ai fait tout près de 150 dessins sur cette fameuse pandémie. C’est un événement historique. 

Durant cette période, la vie politique s’est effondrée: pas de débats à la Chambre des communes ni à l’Assemblée nationale, même plus de séances du conseil de ville. J’essaie pour ma part de trouver un côté amusant ou bon enfant aux situations que cela provoque pour nous tous.

Il y aura aussi les élections municipales et fédérales qui nous promettent leurs lots de pirouettes savoureuses. 

La politique et la vie publique sont vraiment le sujet de prédilection des caricaturistes. L’opportunisme des politiciens et des personnages publics est légendaire. 

Le caricaturiste fait office de grain de sable dans l’engrenage politique.

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