lundi 11 mars 2013

Princesses, préparez un plan B

Émilie Folie-Boivin dans Le Devoir.


Avec la série Fallen Princesses de la photographe canadienne Dina Goldstein, le Musée de la femme délivre le conte de fées de ses clichés tenaces.

Le seul Musée de la femme au Canada célèbre la féminité à travers des expositions temporaires éclatées. La nouvelle, Contes défaits, met les métaphores du conte de fées et les rêves brisés sous la lentille de la photographe Dina Goldstein. Du gros calibre pour ce grand petit musée.

Dina Goldstein s’est imaginé ce qui se passait dans les contes après la conclusion plaquée : « Ils vécurent heureux. » Balancées au XXIe siècle, ses Fallen Princesses affrontent la vraie vie. Et en arrachent. Blanche-Neige et le prince eurent en effet beaucoup d’enfants. Quatre. Des mômes collés à la jupe de soie d’une Blanche-Neige atone, pendant que le prince regarde un match de polo en calant une Bitburger et en pigeant des chips à même le sac.

Dans son salon ténébreux rempli de félins, Pocahontas est devenue cette « folle madame aux chats ». Cendrillon noie sa rupture à la brasserie, Jasmine donne dans la résistance armée, Raiponce subit de la chimio tandis que des chirurgiens plastiques rembourrent de Botox la plantureuse Belle et lui raccommodent une éternelle jeunesse.








« De génération en génération, on nous a appris à attendre que le prince nous délivre. Je suis maman, ça me fait réaliser que c’est fou à quel point je perpétue les stéréotypes de ces contes », s’emballe Lydie-Olga Ntap. Pour Contes défaits, la directrice du Musée de la femme a revu chacune des histoires gentilles de Disney, épluché maints documents et oeuvres d’artistes qui ont critiqué de façon cynique le monde merveilleux de Disney.

Pour remarquer qu’en plus de 300 ans de contes, bien peu de choses ont changé dans notre façon de les raconter. C’est d’ailleurs à une femme - Mme d’Aulnoy, en 1697 - que nous devons l’expression « conte de fées ».

L’origine du conte

Le conte a été en vogue dans la littérature française pendant la période entre 1690 et 1715. C’était le seul genre littéraire où il était permis aux femmes de s’exprimer par la plume. À cette époque, les deux tiers des contes de fées ont été écrits par ces dames de la haute société, explique par courriel William Gray, directeur du Sussex Centre for Folklore, Fairy Tales and Fantasy de l’Université de Chichester, au Royaume-Uni. « Par la suite, les frères Grimm les ont mis à leur main en injectant plus de morale et de misogynie. Et Hans Christian Andersen en a badigeonné davantage, allant jusqu’au sadomasochisme. »

Tel que montré dans Contes défaits, ces hommes qui ont popularisé le conte ont fait des princesses des héroïnes battantes, truffées de vilains défauts : égoïstes, superficielles, futiles et surtout naïves. Même la curiosité de la femme de Barbe Bleue est montrée comme un travers, qui finit toutefois par la sauver.

« Malheureusement, Disney semble avoir emprunté les contes de fées des Grimm/Andersen, et les a adoucis. Dans ses films, Disney transmet un monde patriarcal dominé par les hommes, dans lequel les femmes attendent d’être délivrées de sorcières malveillantes, explique M. Gray, aussi professeur d’histoire littéraire. « Or, les films qui prétendent explicitement résister aux vieux stéréotypes tombent dans le piège qu’ils tentent d’éviter. Dans Blanche-Neige et le chasseur (2012), Kristen Stewart tient peut-être de Jeanne-d’Arc, mais Charlize Theron reste une sorcière vindicative et le prince est macho. Même Shrek, dans son scénario hétérosexuel, se termine sur une note gentille à la “ Ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps ”. »
Expo intergénérationnelle

Après avoir montré un court extrait doublé d’une critique sous-titrée du Blanche-Neige animé de 1937, où, loin du joug de sa belle-mère, la princesse reprend, tout sourire, son tablier de ménagère pour les sept nains, Lydie-Olga Ntap avoue être fière de voir sa fille courir dans le musée avec Merida, sa nouvelle poupée fétiche.

La rouquine héroïne du film d’animation Rebelle - le premier conte féministe de Disney - est la première princesse à afficher une indomptable tignasse bouclée. Détail esthétique, certes, mais qui révèle sa force de caractère. Aussi, Merida ne cherche pas le prince charmant.

« Tu vois la Blanche-Neige de Dina Goldstein ? J’ai déjà été à sa place. Ç’a été moi ! On ne peut pas toujours dire que les hommes sont responsables de nos malheurs », exprime Lydie-Olga Ntap. Cette exposition intergénérationnelle est une façon de remettre entre les mains des femmes le contrôle de leur vie. Et de la fin de l’histoire.

« Il y a plusieurs façons de présenter les contes de fées. Ce n’est pas mauvais de rêver, là. Il faut juste prévoir un plan B ! »

Contes défaits
Musée de la femme
460, rue Saint-Charles Ouest
Longueuil, 450 748-1600

http://museedelafemme.qc.ca

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire