jeudi 6 juin 2019

Hasard ou coïncidence (la suite)

Sur la page Facebook de Marilena Nardi.

Dessins de Marco Biassoni et de Marilena Nardi.

J'ai posté, il y a deux semaines, un article (« Hasard ou coïncidence ») qui signalait des similitudes entre des dessins d'Angel Boligán et André Carrilho, primés lors du concours World Press Cartoon 2019, et des œuvres qui avaient remporté des prix dans le passé.

La dessinatrice italienne Marilena Nardi y voit une campagne de dénigrement systématique et se porte à la défense des dessinateurs pointés du doigt.

Lettre ouverte à M. Alberto Morales Ajubel. 
Également porté à la connaissance d'Angel Boligán, Walter Toscan, Fadi ToOn, Antonio Antunes et André Carrilho. 
Très gentil Ajubel, tu m'as appelée à plusieurs reprises. 
Donc je t'écris cette lettre pour préciser, j'espère définitivement, mon avis. 
Et comme mon texte sera public, je commence par les faits. 
Depuis plusieurs mois, vous envoyez des lettres à des concours, des festivals, des revues, des journaux, ainsi qu'à des dessinateurs amis et collègues. 
L'objet de ces lettres: Angel Boligán Corbo. 
Tu l'accuses lourdement de plagiat répété et d'avoir obtenu des centaines de prix en volant les idées d'autrui et de collègues. 
Tu l'écris et le répètes de façon publique et privée depuis des mois, de sorte que je qualifierais cela d'obsessionnel. 

Avez-vous réussi à obtenir l'attention qui vous manquait et à semer la discorde entre amis et ceux qui avaient partagé, en harmonie, l'amitié et le pain. Mes félicitations ! 
L'affirmation de Joseph Goebbels est connue : "Répétez un mensonge cent, mille, un million de fois et deviendra une vérité". 
Après des mois de poison, dont nous étions tous au courant, je me suis décidée à parler parce que le silence autour de ces accusations répétées me semblait assourdissantes et, enfin, suspectes. 
J'ai donc décidé de consacrer quelques mots à la question. 
Pas tant pour défendre le travail de Boligán, qui est tellement solide et monumental qu'il peut se défendre par lui-même. 
Mais parce que le silence autour de lui m'a semblé incompréhensible. 
Parce que c'est un ami, parce que c'est un collègue que j'apprécie, parce que je suis convaincue de sa bonne foi, parce que je pense qu'il le mérite. 
Et enfin parce que je pense que l'amitié et l'honnêteté sont deux valeurs qui ne s'excluent pas mutuellement. 
Je n'ai pas la prétention de parler à sa place. 
Je voudrais juste essayer de prouver que votre thèse sur les prétendues copies et plagiats est humainement compréhensible, mais techniquement ridicule. 
Nous savons tous que les dessins similaires ou même qui se rejoignent dans l'idée sont fréquents dans notre profession, plus que vous pouvez l'imaginer. 
Carrilho vous en a fait une brève démonstration sur une autre page Facebook. 
Mais ça ne t'a pas servi à grand-chose. 
Nous savons bien que dessiner avec des métaphores visuelles, sans l'ajout de mots, implique l'utilisation d'éléments visuels communs, d'icônes, parfois de véritables symboles. 
Cette "utilisation partagée" d'éléments communs, nécessaire à la compréhension du message, fait partie des règles du langage. 
Si nous voulons que nos dessins soient compris, nous devons les rendre "déchiffrables". 
Le langage, entre autres choses, est précisément ceci : un code partagé. 
Pour me faire mieux comprendre, je vais donner un petit exemple. 
J'ai joint deux dessins : l'un du grand Marco Biassoni et l'autre un de mes dessins de jeunesse.  
Même concours, même thème, même idée, même date, 1998...! 
Le jury les a récompensés tous les deux. 
Les deux originaux sur papier, reçus au concours en même temps ! Pas de plagiat, mais une coïncidence simple et parfaite. 
J'ai choisi cet exemple, parmi les nombreux que j'aurais pu proposer, parce qu'il appartient à des temps non suspects, avant la diffusion de l'internet, avant la possibilité de "vérifier" rapidement sur le net la prétendue originalité d'une idée. 
Revenons à la question que vous avez soulevée. 
Vous soutenez le plagiat à partir de similitudes et de coïncidences suspectes dans l'œuvre de Boligán. 
Combien ? Vous prétendez que ce sont des centaines. 
Si tu permets, j'ai pris la peine de vérifier : les similitudes se comptent sur les doigts de deux mains, les coïncidences sur celles d'une seule. 
Trop ? Je ne dirais pas... 
Si nous pensons que dans plus de 20/25 ans de carrière, Boligán a peut-être dessiné quelques milliers de dessins (entre caricatures, dessins humoristiques, illustrations et affiches) alors, si vous êtes honnête, vous voudrez admettre que quelques coïncidences et quelques similitudes sont plausibles, même inévitables. 
En outre, ce que je voudrais souligner, c'est qu'une coïncidence n'est pas automatiquement synonyme ni de plagiat ni d'autre action incorrecte. 
Mais tu insistes avec les accusations. 
Pour appuyer votre théorie (je l'appelle théorie car vous pensez que c'est une vérité incontestable) vous vous référés à des images publiées sur le site Best Cartoons, où ont été catalogués, au fil des ans, des dessins similaires. 
Je l'ai vu, j'ai consacré beaucoup de temps aussi à cela et je peux le confirmer : il y a des similitudes et des coïncidences entre beaucoup de dessinateurs. 
Bizarrement, vous ne remarquez que celles qui sont liés à Boligán... 
Comme je l'ai déjà dit, et j'espère avoir montré clairement, des similitudes et des coïncidences sont possibles et, pour certains thèmes, même récurrents. 
J'ai aussi détecté autre chose. 
Que tellement de "dates" sont parfois imprécises. 
Je le sais bien car sur les pages de Best Cartoons il y a également de mes dessins. 
Les dates des catalogues dont ils ont été tirés sont souvent indiquées, mais il n'est pas dit que ces dates coïncident avec la première publication. 
Parfois, si le règlement le permet, il m'arrive d'envoyer le même dessin à plusieurs concours, à des époques différentes et dans des pays différents. 
Et si je le fais, ce qui n'est pas très original, il est plausible que d'autres le fassent aussi. 
Donc, non seulement celles qui sont liées à mes dessins, mais aussi d'autres dates pourraient être fausses. 
Par conséquent, ce n'est pas une preuve fiable. Fais-toi une raison ! 
À l'appui de vos accusations, vous y ajoutez des dessins, preuve irréfutable, selon vous, de la malhonnêteté de l'habituel Boligán. 
Cependant tu mets tellement de choses que cela crée une mosaïque d'images indiscernables ! 
Vous créez délibérément la confusion. 
Tu es tellement aveugle, dans ta croisade contre lui, que tu omets de dire qu'il a été plagié en série ! 
Postez les images du plagieur avec celles du plagié, ainsi ceux qui ne connaissent pas le sujet sont amenés à croire que le plagieur est honnête et vice-versa ! 
Une belle façon de rendre la clarté et la justice à notre profession ! 
Tu prétends vouloir démasquer les tricheurs et te transformer en policier et juge impitoyable. 
Sauf que jusqu'à présent, votre seule cible a été Boligán. 
Pour être un bon juge, je pense que tu devrais être plus impartial. Tu n'es pas d'accord ? 
Est-ce la rivalité ? La pathologie ? Je ne sais pas et, même si je penche pour la première, ce point n'est pas le plus important. 
Vous aurez probablement vos raisons, mais elles ne me semblent pas celles que vous déclarez. 
Ce que je pense fondamentalement, c'est de m'appuyer sur l'avis d'autres collègues et ceux qui ont reçu vos lettres. 
Dans ta course, dans ta fureur, presque un train hors de contrôle, tu aspire quelques-uns dans le tourbillon de ta colère et en renverse d'autres. 
La tant souhaitée et paisible réflexion sur le sujet du plagiat / similitudes est devenue impossible : ou vous êtes d'accord avec vous ou vous êtes contre. 
J'invite tout le monde à ne pas tomber dans le piège de vos accusations, à raisonner avec un esprit libre, allant au-delà de l'apparence facile. 
Les coïncidences et les similitudes sont une chose. 
Plus, bien plus grave si c'est le cas, c'est le plagiat. 
J'aurais beaucoup plus à ajouter. 
Par exemple, sur les diktats... Oups ! Je voulais dire sur les conseils que vous prodiguez à ceux qui veulent devenir de bons professionnels. 
Mais je suis fatiguée. Je t'ai consacré trop de temps ! Donc je ferme ici. 
Il reste un regret. 
J'avais une grande considération pour toi en tant qu'artiste. 
Maintenant, après toute ta hargne sur le net, il me restera de toi l'impression d'une personne dont la grandeur morale est inversement proportionnelle à son talent artistique. 
Patience. Je vais m'en faire une raison. 
Une dernière chose. Si tu penses à m'attaquer encore ou si tu veux inventer des accusations à mon égard : Assieds-toi, je ne te crains pas. 
Je te salue. Je salue ceux qui ont eu la patience de lire jusqu'ici. 
Avec le souhait que cette désagréable affaire se termine bientôt et que tu puisses redevenir l'artiste, en donnant de toi le meilleur. 
Venise, 6 juin 2019. 
Marilena Nardi

2 commentaires:

  1. Bien que n'étant pas dessinateur, mais m'occupant de la promotion de la satire politique depuis de nombreuses années, je suis entièrement d'accord avec l'argumentation de Marilena Nardi et j'irai même plus loin. Comme le dit Marilena, la satire pour être compréhensible nécessite de s'appuyer sur des codes communs, sur des raccourcis, qui ne sont pas si nombreux. leur utilisation peut poser problème d'interprétation comme le prouve la triste affaire d'Antonio Antunes avec la New York Times. Attaquer cet usage (qui peut conduire à des similitudes inévitables entre dessins traitant des même thèmes et non à des plagiats) est aussi dangereux pour la liberté d'expression et surtout pour le droit à la satire, qui par définition doit être immédiate. Autre exemple, si vous prenez le thème de TienAn Men (l'homme devant les chars) cette image a été interprétée des dizaines de fois sur un mode ou autre, est-ce une série de plagiats? ou la force de cette photographie est telle qu'elle peut donner lieu à une multitude de déclinaisons, idem pour le fameux tableau de Munch "le cri".

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  2. J. L. Borges correctamente llama a estos "criticos" con su elegante acidez: "La policia de las pequeñas distracciones"....;Yo prefiero llamarlos "comadres de feria"

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