Affiche d'Yvan Adam |
Isabelle Paré dans Le Devoir:
25 ans de vie artistique aux couleurs de Publicité Sauvage
L'organisme prépare 15 expositions anniversaires
Isabelle Paré 17 janvier 2012
Elles sont partout, squattent notre champ visuel, colorent les chantiers de construction et les murs ingrats. En 25 ans, Publicité Sauvage a placardé plus de 40 000 affiches culturelles sur les murs de Montréal, façonnant le paysage graphique de la métropole. Pour son quart de siècle et demi, l'organisme organise 15 expositions plutôt qu'une en 2012. Gros plan sur l'histoire d'un art qui se perd.
Début des années 80: le milieu culturel underground montréalais est en pleine ébullition. L'artiste Baudoin Wart s'improvise poseur d'affiches illégales pour ses amis danseurs de La La La Human Steps, Louise Lecavalier et Édouard Lock. Il tapisse aussi le centre-ville des affiches du tout jeune performeur Michel Lemieux et ne soupçonne pas l'ampleur du mouvement qu'il vient de semer. Le milieu artistique parallèle, en manque de visibilité, vient de se trouver une nouvelle voix.
Ainsi naît Publicité Sauvage (PS). Armés de pinceaux et de pots de colle, Wart et ses escadrons d'étudiants jouent à cache-cache avec la police (les règlements municipaux interdisent alors «l'affichage sauvage»). Ils tapissent avec leurs affiches bigarrées les murs placardés d'une ville plongée en pleine récession.
Un quart de siècle plus tard, PS a gagné sa bataille judiciaire (en 1994, Montréal a légalisé l'affichage culturel), et son p.-d.g., Baudoin Wart, affiche au compteur 40 000 campagnes d'affichage et 30 employés. «Baudoin a conservé toutes les affiches depuis les débuts, d'où le potentiel énorme qui s'est présenté pour créer ces expositions qui posent un regard sur 25 ans de vie artistique au Québec», explique Isabelle Jalbert, directrice générale.
Passionné d'affiches, Marc H. Choko, professeur de design graphique à l'UQAM et commissaire des 15 expositions, a passé en revue les dizaines de milliers d'affiches pour n'en retenir que 700, représentatives des époques, des styles, mais aussi d'événements marquants du dernier quart de siècle culturel au Québec. «Il fallait choisir des affiches exceptionnelles, mais aussi certaines, moins réussies, qui témoignent de moments ou d'acteurs clés dans l'histoire culturelle récente», dit-il.
Et qu'est-ce qui fait donc l'essence d'une bonne affiche? «L'affiche n'est pas une couverture de livre ni une pub. Il y a de belles affiches dont le message ne passe pas. Il faut un équilibre entre créativité et efficacité. En fait, c'est un casse-tête très difficile à réussir!», reconnaît Marc H. Choko.
Aux côtés de mille autres publicités, l'affiche doit émerger du lot, accrocher l'oeil du piéton qui marche à vive allure. Avant 1994, les affiches ne survivaient souvent qu'une heure, une journée tout au plus. «En une journée, on voyait nos affiches apparaître, disparaître puis apparaître de nouveau», raconte la chorégraphe Marie Chouinard, une amie de Wart, dans le catalogue publié par PS, pour marquer ses 25 ans.
Affiche de Vittorio Fiorucci |
Affiche de Vittorio Fiorucci |
Même si Vittorio, auteur du diablotin vert de Juste pour rire, avait créé une petite secousse dans le monde de l'affiche dans les années 70, il faudra attendre le milieu des années 80 pour que de nouveaux créateurs audacieux émergent. Soudain, les affiches d'Yvan Adam, saturées de couleurs vives, apparaissent dans l'horizon urbain. Le bleu pétrole de l'affiche La Passion selon Louise, et même avant, l'énigmatique Tanzi, instillent au support publicitaire un souffle nouveau.
Les années 90, marquées par le dessin à l'ordinateur, voient émerger un style plus graphique. «Aujourd'hui, on retourne au dessin fait à la main, en réaction au style international suisse, très épuré, qui a dominé l'affichage jusque dans les années 80», explique Marc Choko.
Le graffiti et la bande dessinée font même incursion dans le monde de l'affiche, où l'on voit poindre un style plus «sale», moins formaté.
Affiche de Lino |
Selon le commissaire, parmi les affiches marquantes des 25 dernières années, on doit notamment compter celles de Lino, affichiste reconnaissable entre tous grâce à son trait de crayon brut et à ses grands aplats de couleur (affiche de théâtre pour Wajdi Mouawad et le Festival d'Avignon).
Affiche de Mieczyslaw Gorowski |
Le commissaire retient aussi le style riche de Mieczyslaw Gorowski, un artiste d'origine polonaise, décédé en août, directement inspiré du grand courant artistique polonais, qui a connu son apogée dans les années 50. De nouvelles générations suivent, avec notamment Tomasz Walenta, qui a signé nombre d'affiches pour les Zapartistes et réalisé plusieurs illustrations pour le New York Times, le Washington Post et Courrier international. Le travail d'agences comme OrangeTango et Paprika est aussi massivement représenté dans les expositions à venir, dont la première sera inaugurée demain aux Foufounes électriques.
Affiche de Tomasz Walenta |
Si certains affichistes québécois se démarquent par leur audace, certains milieux artistiques font toujours preuve de conservatisme dans leurs affiches, estime le commissaire. «Le cirque et les grands festivals qui jouent pourtant un rôle majeur à Montréal sont paradoxalement les moins bien représentés avec des affiches souvent moches», dit-il. Même chose dans le milieu du cinéma, où les recettes convenues tiennent bon et laissent peu de place à l'innovation. On verra tout de même à la Cinémathèque québécoise (4 au 29 avril) le travail unique d'Alexandre Renzo (Les 7 jours du Talion, La face cachée de la lune) et d'Yvan Adam (15 février 1839, Le party), et d'autres affichistes qui tentent de sortir des codes convenus.
Affiche de Renzo |
Si l'Internet n'a pas sonné le glas de l'affiche, un mal bien plus inattendu pourrait signer sa disparition: la rareté des terrains vacants et des palissades au centre-ville, au profit de panneaux-réclames traditionnels, affirme Marc Choko.
«En Amérique, l'affiche n'est plus un support prisé, c'est moins de 10 % des budgets», précise le mordu d'affiche. «Il faut préserver des modes d'affichage accessibles au milieu culturel et, s'il n'y a plus de panneaux, il faut prévoir des lieux. Des villes comme Lausanne et La Havane offrent depuis longtemps des surfaces gratuites aux organismes culturels», précise-t-il.
Une ville sans affiches? Marc Choko préfère ne pas y penser. «Une ville sans affiches est tout simplement impensable. Ce serait une ville grise et froide. L'affiche est un art démocratique par nature, à préserver pour le bien d'une vie urbaine animée, vivante.»
Affiches d'Yvan Adam:
Le choix d'un peuple (Hugues Mignault / 1985) |
Caffè Italia Montréal (Paul Tana / 1985) |
Cruising bar (Robert Ménard / 1989) |
Léolo (Jean-Claude Lauzon / 1992) |
La programmation complète sera consultable d'ici quelques jours sur le site de publicite-sauvage.com
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