Le roman dessiné de la Shoah
DANIEL COUVREUR
vendredi 16 mars 2012, 10:00
Michel Kichka est né à Liège, en 1954. A 20 ans, le persifleur s'installe en Israël où il signe des dessins de presse et des livres pour enfants.
Ce disciple de Kroll joue aussi le cartooniste politique à la télévision israélienne. Il a été publié dans le Courrier international ou l'International Herald Tribune et fait partie de Cartooning for Peace. Dès aujourd'hui, vous le retrouverez tous les jours dans Le Soir. Nous publions en avant-première son autobiographie : Deuxième génération. Ce roman graphique est un vrai document historique où Michel Kichka raconte comment sa famille, d'origine juive polonaise, a fui les pogroms pour se réfugier en Belgique dans l'Entre-deux-guerres. Son père sera le seul à revenir des camps nazis. Son fils, « Mitchi » grandira dans l'ombre du souvenir de la Shoah, avant de dessiner cette saga familiale avec le sourire corrosif qui le caractérise. Ce témoignage bouleversant de sincérité voyage du côté de la face sombre de l'humanité dans une grande maestria graphique.
« La BD est le berceau de ma culture belge, nous dit Michel Kichka. Ce roman graphique a longtemps mûri dans ma tête. J'avais à la fois un besoin pressant de le livrer et une angoisse tenaillante de ne pas être à la hauteur de mon projet, enfoui profondément sous des couches de refoulement. Mais je sentais aussi que mon huis clos familial avait une portée universelle. Tous les peuples ont des traumatismes passés et présents que chaque génération doit affronter. »
Michel Kichka est une personnalité considérable du dessin d’humour et de la bande dessinée en Israël. Né en Belgique, il nous livre aujourd’hui son premier album "Deuxième Génération : Ce que je n’ai pas dit à mon père...", une réflexion profonde et sensible sur la mémoire de la Shoah.
Par un hasard du calendrier, cet album paraît 60 ans, quasi jour pour jour, après que les premiers trains remplis de juifs à Drancy aient pris la destination des camps de la mort. Il arrive aussi dans le contexte de l’assassinat d’enfants juifs à Toulouse pour des motivations antisémites...
Ce livre, Michel Kichka que je connais depuis près de 30 ans, le portait en lui depuis longtemps. J’avais fait sa connaissance lorsqu’il publiait ses premières pages dans Curiosity Magazine, la publication du libraire belge Michel Deligne. Comme chez beaucoup d’aspirants dessinateurs, son dessin louchait vers Gotlib. Il avait fait son "Alya" (littéralement sa "montée" vers Israël) quelques temps après. On s’est longtemps perdu de vue, il avait une carrière à construire...
Il est entretemps devenu un des caricaturistes les plus prisés du pays, intervenant notamment dansCourrier International ou sur la chaîne TV5. Éminente figure de l’association Cartooning For Peacequ’il anime avec Plantu, l’auteur de Dessins désarmants est une personnalité charismatique qui a reçu en novembre 2011 le titre de Chevalier des Arts et des Lettres des mains de l’ambassadeur de France en Israël.
- Michel Kichka avec son père et l’ambassadeur de France Christophe Bigot à Tel Aviv en novembre 2011.
- Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Cet album-là, c’est son "Maus" à lui. Comme Spiegelman, il est le fils d’un rescapé de la Shoah. Son père, Henri Kichka, a passé son adolescence dans 11 camps et a participé à la Marche de la mort. Son père, sa mère et ses deux sœurs y sont restés. Un passé qui pèse lourd pour le survivant, mais aussi sur sa famille.
Le jeune Kichka a vécu tout cela et si son "alya" peut être rétrospectivement comprise comme une volonté d’échapper à ce passé qui ne passe pas, son jeune frère Charly, quant à lui, a choisi la voie du suicide...
- L’impossible souvenir du suicide de son frère...
- "Deuxième Génération : Ce que je n’ai pas dit à mon père" par Kichka (C) Dargaud
C’est un des parallèles à faire avec le livre emblématique d’Art Spiegelman, mais l’essentiel est cette parole "d’après-Maus" dont Michel Kichka s’acquitte brillamment. Il n’élude aucun tabou : l’antisémitisme en Belgique, avant et après la guerre, la difficulté d’être juif et l’enfant d’un rescapé de la Shoah, sa condition de dessinateur de BD et la pesanteur de raconter cette histoire après celle du Prix Pulitzer. Ces choses-là, Michel Kichka ne les avait pas dites à son père, mais heureusement, il pourra les lire.
Ceux qui ont le chance de côtoyer Henri Kichka sont frappés par ce trait: il lui est impossible de produire la moindre phrase sans jeu de mots, sans une vanne, le plus souvent improbable. L’humour, au quotidien, à chaque instant, lui sert de bouclier contre l’horreur. Manifestement, il a transmis à son fils la recette de cette potion magique.
- Michel Kichka avec son père à Auschwitz.
- "Deuxième Génération : Ce que je n’ai pas dit à mon père" par Kichka (c) Dargaud
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