Après 38 ans de bons et loyaux services à 24 heures, Burki range ses crayons. Chaque jour ou presque, il décortique l'actualité. Avec un humour mordant, mais sans méchanceté.
Dans son petit bureau - presque un bout de couloir - de la tour Edipresse à Lausanne, Raymond Burki a déjà commencé à rassembler quelques affaires. Après environ 8000 dessins, l'heure de la retraite a sonné pour l'homme à l'éternelle casquette vissée sur la tête - « les gens m'engueulent lorsque je ne l'ai pas », s'amuse-t-il.
L'ancien retoucheur photo en imprimerie est tombé à 27 ans dans la marmite du dessin de presse. « J'aimais le dessin et m'intéressais énormément à la politique. Je me suis dit: pourquoi pas moi », a-t-il raconté.
Susan Boyle (pastiche de Toulouse-Lautrec) |
Le noir-blanc, puis la couleur
Au départ, il croque l'actualité en noir et blanc, dans un style très épuré. La couleur viendra plus tard, quelques touches d'abord - « du jaune le samedi, du rouge la semaine » - puis l'aquarelle aujourd'hui. Mais pratiquement toujours sans texte, pour ne pas alourdir un dessin, qui se suffit à lui-même.
Ce « vieux soixante-huitard » - comme il se décrit - a-t-il subi la censure ? Pas vraiment, même si certains dessins ont été refusés, comme celui où un cortège de « petits papas Noël » suit le cercueil de Tino Rossi, à la mort du chanteur en 1983.
La mort, le pape, l'armée étaient autrefois des tabous. Aujourd'hui, l'islam et le conflit israélo-palestinien constituent des sujets extrêmement sensibles. Il a reçu, une fois, des menaces, après un dessin sur les réfugiés.
Pas d'objectivité
« Un dessinateur ne peut pas être objectif. J'étais pro-Européen à fond et le suis toujours même si on a pris de sacrées claques », sourit-il. Il a souvent brocardé Christoph Blocher qu'il n'apprécie guère.
Une de ses caricatures montre le leader UDC dans un chalet filant de la laine avec, par la fenêtre, des moutons paissant dans un pré. Dans le dos de son rédacteur en chef - qui avait dit non - il a ajouté une croix gammée au centre du rouet.
L'affaire lui vaudra des remontrances. « Je trouvais scandaleuse et raciste l'affiche des moutons noirs », explique-t-il. Sous son air gentil et discret, l'artiste a ses convictions. Et il rappelle que « la caricature, c'est l'exagération. On peut exagérer ».
Pastiche de Magritte |
Victimes et fans
Parmi ses « victimes », Burki compte de nombreux fans comme les anciens conseillers fédéraux Adolf Ogi, Otto Stich, Ruth Dreifuss - « elle avait des habits pas tristes » - et Pascal Couchepin - « c'était trop facile avec un nez pareil » - ou encore Daniel Brélaz, le syndic de Lausanne dont il dessine désormais « à la règle, et plus au compas » la silhouette spectaculairement amaigrie.
« Pour que le crayon ne soit pas moins aiguisé », le maître évite de trop fréquenter ses sujets. Mais il ne rechigne pas à leur vendre sur internet certains de ses originaux, qu'il crée en format A3. Les conseillers d'Etat vaudois Jacqueline de Quattro, Anne-Catherine Lyon et Pascal Broulis en décorent les murs de leur bureau.
Sur son propre mur, Burki affiche un peloton du Tour de France en forme de seringue, un de ses dessins préférés. Récemment, il a campé un petit garçon qui appelle « Où t'es papa où t'es » devant une foule qui suit le concert de Stromae au Paléo Festival de Nyon.
Beau livre en préparation
Cette institution vaudoise, qui fêtera ses 65 ans début septembre, prépare un beau livre, intitulé « Grands crus » qui devrait sortir vers la fin du mois d'août. « J'ai dû trier 38 ans de dessins. A la maison, j'en ai jusqu'au plafond », explique-t-il. « Cela m'a donné un coup de blues ». Sur les 8000, il en a retenu environ 200.
La suite ? Burki continuera à dessiner, mais pas pour un quotidien. Il se verrait bien imaginer des étiquettes pour des bouteilles de vin ou faire autre chose que des dessins d'humour. Il ne veut pas savoir qui lui succédera à « 24 Heures » et le découvrira à la maison. « Je sais qu'ils ont quelqu'un ».
AJOUT
Pour son dernier dessin, Burki se rend un petit hommage détourné. Ce sera donc la une de 24 Heures, titrant : Burki c'est fini. Apprenant la nouvelle, personnalités suisses et internationales, politiques, sportives ou religieuses sont en deuil.
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