jeudi 7 mai 2015

Les deux camps de l'après Charlie

Sur le site de Courrier international.


Quatre mois après les attentats du 7 janvier, la polémique Charlie Hebdo est ravivée par la sortie du livre d'Emmanuel Todd "Qui est Charlie ?" ainsi que par le boycott, par plusieurs auteurs anglo-saxons, de la remise du prestigieux prix littéraire américain PEN au journal français. 

Brendan O'Neill, rédacteur en chef du site britannique Spiked nous donne son point de vue.

Que pensez-vous de la polémique suscitée par l’historien Emmanuel Todd pour qui la manif  “Je suis Charlie” du 11 janvier a exclu la minorité musulmane ?

A mon sens, beaucoup de musulmans se sont exclus eux-mêmes du rassemblement. Ils ont dit ouvertement qu’ils n’avaient pas d’affinités avec Charlie. Cela révèle l’échec de la République française à intégrer les communautés minoritaires et à partager ses valeurs fondamentales. 

La France a de plus en plus de mal à articuler ces valeurs. Voilà pourquoi Charlie Hebdo a été “sanctifié” ces derniers mois : dire “Je suis Charlie” est devenu un raccourci pour atteindre une sorte de supériorité morale, une posture facile adoptée par ceux qui ne peuvent plus défendre de façon convaincante la liberté.

Aux Etats-Unis, de célèbres auteurs se sont opposés à la remise du prix littéraire PEN à Charlie Hebdo. Une contestation justifiée ?

Dans “l’après-Charlie”, il y a deux camps, et aucun ne fait du bien. Les écrivains qui critiquent PEN pour avoir primé Charlie font preuve de la lâcheté morale de l’élite littéraire anglo-saxonne. Ils semblent croire que les sentiments des gens, et dans cette affaire les sentiments de musulmans, sont au-dessus de la liberté d’expression. Si l’autocensure primait sur la liberté d’expression, ce serait la mort de la littérature, de l’art et du journalisme, qui devraient jouir de la liberté d’explorer toutes les idées. 

Mais l’autre camp, les pro-Charlie, a transformé “Je suis Charlie” en dogme. Ils disent effectivement : “Vous êtes avec nous ou contre nous.” Or le dogme est l’ennemi de la pensée libre. Charlie ne doit être ni diabolisé ni béatifié, il doit être défendu – c’est le cas pour toute personne dont la liberté d’expression est menacée.

La liberté d’expression existe-t-elle vraiment en Occident ?

Elle n’existe plus depuis de nombreuses années, bien avant le massacre à Charlie. Cette attaque peut être considérée comme le fruit de l’institutionnalisation en Europe du droit à ne pas être offensé, de l’adoption des lois contre les discours haineux. Les attaquants de Charlie étaient essentiellement le bras armé de cette nouvelle ère de censure politiquement correcte. 

C’est ce qui rend la phrase dogmatique “Je suis Charlie” si énervante : si les pro-Charlie avaient contesté la propagation ces dernières années de la censure et de l’autocensure, peut-être ne vivrions-nous pas dans un tel climat, où les gens pensent qu’ils ont le pouvoir de faire taire les autres ou même de tuer ceux qui les offensent.

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