Photo: Pierre Duffour / AFP |
Dans le petit monde de la bande dessinée, quelques séries connues cachent une réalité méconnue :
les contrats précaires et les fins de mois difficiles sont devenus le lot quotidien d’une grande majorité
des auteurs. Une précarité « insupportable », aujourd’hui dénoncée par une profession mobilisée.
Auteur de bande dessinée, un métier qui fait rêver ? À voir les fans qui se pressent par dizaines pour se faire dédicacer un album au Festival d’Angoulême, on pourrait le croire. Mais la réalité est bien différente, bien moins glorieuse. Seule une poignée d’entre eux, une cinquantaine environ sur 1 300 auteurs professionnels, vivent correctement quand tous les autres peinent à se faire un Smic.
Auteur de bande dessinée, un métier qui fait rêver ? À voir les fans qui se pressent par dizaines pour se faire dédicacer un album au Festival d’Angoulême, on pourrait le croire. Mais la réalité est bien différente, bien moins glorieuse. Seule une poignée d’entre eux, une cinquantaine environ sur 1 300 auteurs professionnels, vivent correctement quand tous les autres peinent à se faire un Smic.
« Le métier d’auteur de bande dessinée bénéficie d’une aura sympathique, voire d’un énorme attachement, comme l’a révélé l’affaire Charlie Hebdo », note Benoît Peeters, scénariste et président des états généraux de la bande dessinée. Mais « il y a un paradoxe absolu dans la situation actuelle, souligne Fabien Vehlmann, scénariste et membre du Syndicat national des auteurs compositeurs, section bande dessinée (Snac-BD), car notre profession se porte mal. »
Éditée chez Delcourt ou encore Soleil, Anne Rouvin se définit comme un «petit auteur » Elle aussi a fait le choix d’arrêter. « Dix heures par jour, six jours sur sept pour un Smic… Même quand on est passionné, ce n’est pas une vie. J’ai fait ça pendant cinq ans. Pas de vacances, pas de chômage, un rythme de travail effréné. Ce n’était pas vivable. Ayant fondé une famille, je ne me voyais pas continuer comme ça. Désormais, je fais de la pub. En une semaine de travail, je gagne ce que je me faisais en un mois avec la BD. »
Rarement plus payés que le Smic
Réputé individualiste, le petit monde de la BD se mobilise depuis le printemps dernier, quand les auteurs ont découvert un projet d’augmentation de leur cotisation de retraite complémentaire. Le statut d’auteur de BD oblige tous les professionnels gagnant plus de 8 577 euros par an à cotiser au régime de retraite complémentaire des artistes et auteurs professionnels (Raap).
Réputé individualiste, le petit monde de la BD se mobilise depuis le printemps dernier, quand les auteurs ont découvert un projet d’augmentation de leur cotisation de retraite complémentaire. Le statut d’auteur de BD oblige tous les professionnels gagnant plus de 8 577 euros par an à cotiser au régime de retraite complémentaire des artistes et auteurs professionnels (Raap).
Jusqu’à présent, les auteurs payaient une cotisation de 219 euros. La réforme, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2016, prévoit une cotisation de 8 % des revenus bruts. « C’est l’équivalent d’un mois de salaire, alors que, chaque mois, on se demande comment on va payer son loyer et sa facture EDF, s’emporte Ronan Le Breton, scénariste, rappelant que les auteurs n’ont ni chômage, ni congés payés, ni congés maladie… On ne peut pas travailler quand on est à poil ! ».
« Il faut être très régulier, pas tomber malade, pas compter ses heures… C’est un boulot de galérien, résume Khaled Afif, dessinateur depuis quinze ans, qui commence à envisager sérieusement une reconversion. Derrière une poignée d’auteurs qui gagnent très bien, le niveau de vie est plutôt au ras des pâquerettes. Quand tu décroches un contrat, c’est rarement plus que le Smic… »
Après un an et demi passé au RSA (revenu de solidarité active), ponctué de petits boulots d’illustration et d’interventions scolaires, Christelle Pécout commence, elle, à sortir la tête de l’eau. « J’ai actuellement deux albums sous le coude. C’est bien de ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier », confie la jeune femme, qui s’est diversifiée pour s’en sortir. « Je n’étais que dessinatrice. Maintenant, je suis aussi scénariste et coloriste », explique-t-elle. Son quotidien ? Huit heures minimum par jour sur sa table à dessin, y compris le week-end, ce qui lui coûte un « sacré mal de dos ».
Coloriste, Christian Lerolle ferait presque partie des privilégiés. « J’ai la chance de bien en vivre, reconnaît le bonhomme, activement engagé au sein du Snac-BD pour la défense de la profession. Mais je travaille entre dix à quinze heures par jours, sept jours sur sept. Sans parler de la promotion des albums dans les festivals, les librairies. C’est ça, la réalité des auteurs de BD… Et malgré le succès, les trois quarts des auteurs ont du mal à vivre. Des collègues qui demandent le RSA, j’en connais plus d’un.
Pour s’en sortir, certains font aussi du jeu vidéo. Et plusieurs auteurs ont récemment jeté l’éponge ! »
À l’instar de Bruno Maïorana. Auteur de la série fantasy Garulfo, il a annoncé en mai 2014 son retrait de la BD, jugeant que ce n’était pas un travail viable eu égard à l’engagement nécessaire.
Éditée chez Delcourt ou encore Soleil, Anne Rouvin se définit comme un «petit auteur » Elle aussi a fait le choix d’arrêter. « Dix heures par jour, six jours sur sept pour un Smic… Même quand on est passionné, ce n’est pas une vie. J’ai fait ça pendant cinq ans. Pas de vacances, pas de chômage, un rythme de travail effréné. Ce n’était pas vivable. Ayant fondé une famille, je ne me voyais pas continuer comme ça. Désormais, je fais de la pub. En une semaine de travail, je gagne ce que je me faisais en un mois avec la BD. »
Elle continue tout de même, à côté, à faire des histoires courtes, « sans que mon salaire en dépende », précise-t-elle. En février 2015, la jeune femme a néanmoins participé à la marche des auteurs de BD contre la précarité, organisée en marge du Festival international de la BD d’Angoulême.
« Il y a des gens qui ont des emprunts. Vous imaginez un mois de salaire en moins ? On nous dit que c’est pour notre bien, pour plus tard… Il faudrait qu’on survive aujourd’hui pour une retraite hypothétique demain ? Non, ce n’est pas possible », s’emporte l’auteure. « La logique libérale à outrance est en train de prendre le pas sur le bon sens. Il y a une volonté officieuse d’aller vers le modèle économique du livre, où on écrirait sur notre temps libre. Sauf que le temps du dessin, de la bande dessinée, c’est neuf à douze mois. Impossible de le faire comme un à-côté. Et c’est oublier que les petits auteurs d’aujourd’hui sont les grands dessinateurs de demain », insiste Anne Rouvin.
Inespérés droits d’auteur
Si la profession se paupérise, le nombre de nouveautés qui paraît chaque année est, lui, en hausse alors que le nombre de lecteurs n’a qu’à peine augmenté. Selon Gilles Ratier, secrétaire national de l’Association des journalistes et critiques de bande dessinée (ACBD), il y avait environ 800 albums par an dans les années 1980. En 2013, plus de 5 000 albums sont parus…
Si la profession se paupérise, le nombre de nouveautés qui paraît chaque année est, lui, en hausse alors que le nombre de lecteurs n’a qu’à peine augmenté. Selon Gilles Ratier, secrétaire national de l’Association des journalistes et critiques de bande dessinée (ACBD), il y avait environ 800 albums par an dans les années 1980. En 2013, plus de 5 000 albums sont parus…
Sauf que l’essentiel du chiffre d’affaires est réalisé par quelques titres, majoritairement des séries. En 2014, seulement 98 albums ont été tirés à plus de 50 000 exemplaires (Blake et Mortimer, le Chat). Parmi les autres succès, l’Arabe du futur, de Riad Sattouf, a ainsi été tiré à 150 000 exemplaires et le tome II de Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag 2B, de Jacques Tardi à 120 000 exemplaires.
« Avec nos 2 000 à 3 000 exemplaires vendus, on est loin de Lucky Luke ou Astérix », ironise Khaled Afif. Il y a vingt ans, une bonne vente était de 10 000 exemplaires. Aujourd’hui, elle est tombée à 3 000. Du coup, les auteurs remboursent à peine l’avance sur droits qu’ils perçoivent pendant la réalisation de l’album. Celle-ci représente 8 % du prix hors taxe d’un album (12 % pour les « vedettes »), pourcentage qui peut être divisé en cas de plusieurs contributeurs (dessinateur, scénariste, coloriste).
« Cette avance n’a fait que diminuer. La planche est payée 250 euros chez les gros éditeurs, mais cette somme peut être divisée par quatre ou cinq chez les petits éditeurs, explique Christelle Pécout. Et elle a même tendance à se transformer en forfait (entre 5 000 euros et 15 000 euros selon la notoriété de l’auteur) pour des récits représentant un an de travail. » Il faut savoir aussi, poursuit la jeune femme, « que pour créer une histoire, il faut faire un story-board. Cela prend du temps, de la documentation, de la recherche. Et tant que tu n’as pas signé de contrat, tu travailles dans le vide »…
L’éditeur se paie ensuite sur la vente des albums, jusqu’à ce que l’avance sur droits soit remboursée. Sachant qu’il faut à peu près 15 000 albums vendus pour espérer toucher des droits d’auteur, la prolifération des parutions a chamboulé la question des droits d’auteur. « Un peu comme un rêve, on espère toujours vivre de ses droits d’auteur », témoigne Khaled Afif.
« À ventes égales, nous gagnons moins bien notre vie, car les à-valoir baissent, de même que les pourcentages et il y a de plus en plus de cessions de droits. En choisissant ce métier, on assumait la précarité du statut, mais on ne pensait pas que ce serait aussi dur », confie Mathieu Gabella, scénariste. « D’autant, précise ce dernier, qu’on subit des attaques simultanées : en plus des retraites complémentaires, nous devons faire face à une réforme violente de l’Union européenne sur les droits d’auteur, qui prévoit une vingtaine d’exceptions où on ne serait pas payé. »
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