Un tribunal turc a condamné mercredi à des peines de prison plusieurs collaborateurs du quotidien d'opposition Cumhuriyet pour aide à des organisations "terroristes", un verdict qualifié de "honte" par le journal qui dénonce un "rude coup" contre la liberté de la presse.
À l'issue de neuf longs mois de ce procès considéré comme un test pour la liberté de la presse en Turquie, un tribunal de Silivri, près d'Istanbul, a condamné 14 collaborateurs de Cumhuriyet à des peines de prison comprises entre deux ans et demi et plus de huit ans.
Parmi eux, figurent le patron du journal, Akin Atalay, son rédacteur en chef, Murat Sabuncu, ainsi que de célèbres journalistes turcs comme Ahmet Sik et Kadri Gürsel, ou encore le caricaturiste Musa Kart, selon une correspondante de l'AFP présente au tribunal.
Ils ont été reconnus coupables d'avoir aidé plusieurs organisations "terroristes", des accusations qualifiées d'"absurdes" par Cumhuriyet qui a dénoncé tout au long du procès une manoeuvre visant à réduire au silence l'un des derniers médias critiques en Turquie.
"Ce n'est pas moi, mais la Turquie et la liberté de la presse en Turquie qui ont été condamnées", a déclaré à l'AFP le rédacteur en chef, M. Sabuncu, devant le tribunal de Silivri.
"Les condamnations sont très lourdes et inacceptables", a ajouté M. Gürsel.
"On va continuer"
Le tribunal a par ailleurs acquitté mercredi trois collaborateurs du journal et ordonné la remise en liberté conditionnelle de M. Atalay, le seul accusé qui comparaissait encore en détention provisoire. Il était écroué depuis 542 jours.
M. Atalay est sorti de prison quelques heures après le verdict, accusant les autorités d'avoir pris les journalistes de Cumhuriyet "en otages".
Les journalistes condamnés ne seront pas écroués en attendant la procédure d'appel, ayant déjà bénéficié au cours du procès d'une mesure de remise en liberté conditionnelle, comme celle accordée mercredi à M. Atalay.
Ils sont en revanche soumis à un contrôle judiciaire et à une interdiction de quitter le territoire.
Le tribunal a aussi séparé le dossier du prédécesseur de M. Sabuncu, Can Dündar, qui vit aujourd'hui en exil en Allemagne et était jugé dans le cadre du même procès.
Farouchement hostile au président Recep Tayyip Erdogan, Cumhuriyet ("République", en turc), fondé en 1924, s'est attiré les foudres de l'homme fort de la Turquie en raison de sa couverture corrosive.
Le journal a notamment affirmé de manière retentissante en 2015, vidéo à l'appui, que les services secrets turcs avaient fourni des armes à des rebelles islamistes en Syrie. M. Erdogan avait alors averti M. Dündar qu'il allait "payer le prix fort".
Après l'énoncé du verdict, les journalistes ont toutefois promis de ne pas se laisser intimider. "Vous aurez honte devant l'Histoire", clamait Cumhuriyet sur son site internet mercredi soir.
"Aucune condamnation ne nous empêchera de faire du journalisme", a déclaré M. Sabuncu. "S'il le faut, on retournera en prison, mais on va continuer de faire du journalisme. Du journalisme honnête et honorable".
"Instiller la peur"
Au total, 17 collaborateurs de Cumhuriyet étaient jugés dans le cadre de ce procès. Ils étaient notamment accusés d'avoir aider le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le prédicateur Fethullah Gülen, qu'Ankara accuse d'être le cerveau du putsch manqué du 15 juillet 2016, ce que dément l'intéressé.
Ouvert en juillet dernier, le procès Cumhuriyet est devenu pour les défenseurs des droits de l'Homme le symbole de l'érosion de la liberté de la presse en Turquie, notamment depuis cette tentative de coup d'Etat.
Des opposants au président Erdogan et des ONG accusent les autorités turques de se servir de l'état d'urgence instauré après le putsch manqué pour étouffer toute critique.
Après le verdict, Amnesty International a fustigé "des condamnations à caractère politique (qui) visent clairement à instiller la peur et à faire taire toute forme de critique".
Les autorités turques nient pour leur part toute atteinte à la liberté de la presse et affirment que les seuls journalistes arrêtés sont ceux liés à des "organisations terroristes".
D'après le site P24, spécialisé dans la liberté de la presse, 165 journalistes sont écroués en Turquie, pays qui occupe la 157e place sur 180 au dernier classement de la liberté de la presse établi cette semaine par l'ONG Reporters sans frontières (RSF).
Fulya Ozerkan pour l'AFP
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