mardi 14 février 2023

Un livre d'Elise Gravel censuré aux USA

Alexandre Sirois dans LaPresse+.


Elise Gravel mise à l’index. Non, décidément, on n’arrive pas à s’habituer à ces mots, qui n’auraient jamais dû se retrouver ensemble. C’est pourtant ce qui est en train de se produire aux États-Unis. 

Le livre que cette vedette québécoise de la littérature jeunesse a écrit et illustré (en collaboration avec Mykaell Blais), Pink, Blue, and You! a été la cible d’appels à la censure dans plusieurs États américains.
 
L’affaire a eu un tel retentissement que les élus de l’Assemblée nationale ont adopté, début février, une motion présentée par Manon Massé pour condamner le sort réservé à ce livre par nos voisins du Sud.

Ce qui s’est passé est profondément troublant.

Mais ce qui l’est encore plus, c’est que les attaques contre le livre d’Elise Gravel ne représentent que la pointe de l’iceberg.

Dans un pays réputé pour ses chasses aux sorcières, les censeurs n’ont jamais fait qu’affûter leurs couteaux. Ils passent à l’offensive régulièrement, depuis longtemps.

Mais ces dernières années, beaucoup constatent que la censure progresse plus rapidement, telle une tache d’huile qui souille un territoire littéraire de plus en plus grand.

C’est dramatique.

La situation est telle que certaines librairies ripostent en proposant une sélection des livres qui ont été censurés dans des établissements scolaires et bibliothèques publiques.

Lorsqu’on se retrouve devant un tel étalage, dans une grande ville américaine, on doit pratiquement se pincer pour être bien certain qu’on ne rêve pas.

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L’organisation PEN America a récemment fait le point sur la situation. 

Dans un rapport intitulé Banned in the USA, elle rapporte que plus de 2500 cas de censure ont été signalés en douze mois, de juillet 2021 à juin 2022.

On parle ici plus précisément de livres supprimés des bibliothèques scolaires ou des classes, ou encore retirés de la circulation le temps que durera une enquête menée à la suite de « contestations de parents, d’éducateurs, d’administrateurs, de membres de conseils d’administration ou en raison de lois adoptées par des assemblées législatives ».

Car, oui, de nombreux politiciens américains prennent maintenant un malin plaisir à se transformer en censeurs.

Les cas cités par PEN America touchent un grand total de 1648 œuvres. Et ce sont, il faut le dire, uniquement ceux qui ont été rapportés à l’organisation ou dont l’interdiction a généré une couverture médiatique.

Pas moins de 138 districts scolaires ont été affectés, dans 32 États. Ça représente 5049 écoles, où se trouvent près de 4 millions d’élèves.

Ce qui est tout aussi hallucinant, c’est qu’il y a des œuvres littéraires remarquables sur la liste des livres mis à l’index. 

Comme certains titres de Toni Morrison, à qui on a décerné le prix Nobel de littérature au début des années 1990 ; L’Attrape-cœurs de J. D. Salinger ; 1984 de George Orwell ou Maus, ce brillant roman graphique d’Art Spiegelman sur l’Holocauste.

Dans l’adversité, Elise Gravel est décidément… en bonne compagnie. 


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Penchons-nous un petit instant sur la teneur du livre Pink, Blue, and You ! d’Elise Gravel. C’est essentiellement un petit ouvrage à la fois didactique et ludique sur l’identité de genre.

On s’y questionne notamment sur les préjugés selon lesquels le rose est pour les filles et le bleu pour les garçons. Ou encore l’idée que « les filles jouent avec des poupées » et que « les pantalons, c’est pour les garçons ».

On insiste aussi sur le fait que « notre sexe ne définit pas ce que nous sommes », par le biais des personnages dessinés par Elise Gravel.

« À ma naissance on a déclaré que j’étais une fille, mais je suis un garçon », dit l’un d’eux. « Je ne me sens pas vraiment comme un garçon ni comme une fille. Je veux juste être moi », dit un autre. « Quand je suis né, on a dit que j’étais un garçon et je suis un garçon », dit un autre encore.

C’est en plein le genre de contenu qui irrite la frange la plus radicale des conservateurs aux États-Unis.

Les livres qui font l’objet d’appels à la censure sont, en majorité, des ouvrages qui abordent des « thèmes LGBTQ+ » ou des questions liées au racisme, ou encore qui contiennent des personnages centraux racisés ou LGBTQ+, selon PEN America.

C’est paradoxal, mais dans un pays qui attache autant d’importance à la liberté d’expression et pour qui le premier amendement à la Constitution – qui la protège – est quasiment sacré, la police de la pensée gagne du terrain.

Le délire américain s’accentue.

Il devrait pourtant être clair que « culture du bannissement » et « démocratie américaine » ne sont pas non plus des mots qui devaient se retrouver ensemble.

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