Marine Ernoult sur le site de Francopresse.
L’explosion des réseaux sociaux a également chamboulé un métier qui fait les frais de la situation budgétaire des journaux.
«Les caricaturistes sont en première ligne face à l’histoire, leurs dessins sont une première lecture des évènements d’actualité, la toute première réaction artistique», estime Dominic Hardy, professeur d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal.
Mais cet objet d’humour revendiqué, libre et insoumis, a-t-il une langue?
Les caricaturistes canadiens francophones ont-ils la même manière d’aborder la satire que leurs homologues anglophones?
Autrement dit, comme le comique et l’ironie, la caricature est compréhensible dans le cadre d’une communauté qui en partage les codes symboliques et les attendus idéologiques.
Des traditions satiriques qui s’ignorent
«Les références culturelles se traduisent dans le dessin, poursuit Guy Badeaux, dit Bado, caricaturiste de Francopresse et du journal Le Droit.
Je dirais que les anglophones font du cinéma avec des dessins assez fouillés, tandis que les francophones font plus du théâtre avec des images plus sobres, un trait plus économique.»
Dominic Hardy note un clivage historique dans la manière de faire du dessin satirique entre la presse francophone et anglophone.
«Les traditions satiriques ont toujours été foisonnantes, mais pendant longtemps elles ont semblé s’ignorer.
Ça renvoie à l’idée des deux solitudes. Les deux humours ne correspondaient pas», relève l’historien.
Les journaux francophones en milieu minoritaire comptent peu de caricaturistes.
Au Manitoba, Réal Bérard, alias Cayouche, travaille notamment pour La Liberté, tandis qu’au Nouveau-Brunswick, Marcel Boudreau croque pour L’Acadie Nouvelle.
«Il existe une tradition satirique très forte au sein de la Francophonie qui unit les francophones partout au pays», assure néanmoins Ersy Contogouris, professeure au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.
«Il existe une tradition satirique très forte au sein de la Francophonie qui unit les francophones partout au pays», assure néanmoins Ersy Contogouris, professeure au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.
«On se bat toujours pour nos idées»
Chaque caricaturiste a également sa propre grammaire visuelle humoristique.
«C’est un art de nature plurielle. Il y a autant de styles artistiques que de dessinateurs», confirme Ersy Contogouris.
À ses yeux, l’humour s’inscrit avant tout dans la ligne éditoriale du journal pour lequel travaille le caricaturiste.
À ses yeux, l’humour s’inscrit avant tout dans la ligne éditoriale du journal pour lequel travaille le caricaturiste.
«Les rédacteurs en chef ont tendance à être plus consensuels, car ils ne veulent pas effrayer les annonceurs.
Ils veulent éviter les procès, mais on se bat toujours pour nos idées», souligne Bado.
Vagues de disparition
Les caricaturistes, qu’ils soient francophones ou anglophones, paient le prix fort de la crise de la presse.
«C’est une hécatombe. Le nombre de dessinateurs permanents dans les quotidiens canadiens fond comme neige au soleil», déclare, amer, le caricaturiste Bado.
Seul le Québec, où chaque journal a encore son caricaturiste attitré, est épargné par cette tendance.
«Les voix de la caricature semblent de plus en plus diminuées, mais je ne crains pas la disparition du métier, tempère Dominic Hardy.
«Les voix de la caricature semblent de plus en plus diminuées, mais je ne crains pas la disparition du métier, tempère Dominic Hardy.
La relève existe, elle s’investit dans des formes de publication alternatives, comme le roman graphique.»
Bado reste, lui, pessimiste sur l’avenir de la profession : «C’est un art d’équilibriste qui ne semble plus susciter de vocations.
Bado reste, lui, pessimiste sur l’avenir de la profession : «C’est un art d’équilibriste qui ne semble plus susciter de vocations.
Il faut à la fois avoir le sens de l’humour, des talents de dessinateur et de journaliste.»
Choisir ses cibles
Quelle que soit leur langue, les dessinateurs de presse doivent tous s’adapter à un espace public bouleversé où les images circulent à la vitesse de la lumière.
Avec les journaux papier, le public était défini et prévisible, mais l’arrivée des réseaux sociaux a mondialisé le métier, explique Ersy Contogouris.
«Chacun a la possibilité d’exprimer ses colères, ses états d’âme et ses indignations. Les caricaturistes ont pris conscience de l’effet de leurs caricatures sur divers publics», constate la chercheuse.
Les flux d’informations mondiaux permettent aux caricatures de voyager en quelques secondes à l’autre bout de la planète, dans un monde qui ignore tout de l’environnement culturel et politique qui les a vues naitre.
«Aujourd’hui, on doit faire plus attention qu’avant aux stéréotypes», corrobore Bado.
L’arme critique doit plus que jamais se conjuguer avec le respect de la dignité, dans une société canadienne pluraliste et multi-ethnique qui ne partage pas toujours les mêmes repères culturels et religieux.
«À son meilleur, la satire défend l’intérêt public et dégonfle les prétentions du pouvoir», renchérit Dominic Hardy.
Où sont les femmes?
Bado à Francopresse, Cayouche à La Liberté, Jean-Claude Boudreau à L’Acadie Nouvelle, Godin au Devoir ou encore André-Philippe Côté au Soleil…
La grande majorité des caricaturistes canadiens sont des hommes.
Selon l’historienne de l’art Ersy Contogouris, la raison est liée aux stéréotypes sur la féminité.
«Pendant très longtemps, la société patriarcale a découragé le rire des femmes. Elles n’avaient soi-disant pas le sens de l’humour, observe la professeure à l’Université de Montréal.
Selon l’historienne de l’art Ersy Contogouris, la raison est liée aux stéréotypes sur la féminité.
«Pendant très longtemps, la société patriarcale a découragé le rire des femmes. Elles n’avaient soi-disant pas le sens de l’humour, observe la professeure à l’Université de Montréal.
La transgression était mal vue chez elles alors que c’est au cœur de la caricature.»
Les femmes n’ont pas voix au chapitre et cela se ressent dans les dessins.
Les femmes n’ont pas voix au chapitre et cela se ressent dans les dessins.
«L’humour de certaines caricatures misogynes contribue à banaliser la violence envers les femmes», regrette Ersy Contogouris.
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