mercredi 8 février 2012

Élisabeth II en caricature

Dessin de Gerald Scarfe, 1986  
Le Temps, de Genève, se penche sur l'exposition Her Maj au Cartoon Museum de Londres.
D’habitude féroces, les caricaturistes britanniques font preuve d’un étonnant respect quand il s’agit de leur reine, qui fête ses soixante ans sur le trône.
Une exposition revient sur ces gentils dessins

La reine Elisabeth II a fêté lundi ses soixante ans de règne. Sujet de Sa Majesté et à peine plus âgé qu’elle, Wally Fawkes, 88 ans, est une espèce rare au Royaume-Uni: un républicain octogénaire. Dave Brown, qui est deux fois plus jeune, éprouve le même dédain pour la monarchie: «La guillotine a été une formidable invention», lance-t-il les yeux rieurs. Ken Pyne et Martin Honeysett, la soixantaine, se disent également républicains, quoique ce dernier n’y mette guère d’enthousiasme. Ces trois générations de Britanniques représentent une minorité à peine audible en ces jours anniversaires: à en croire les sondages, moins du quart des habitants s’opposent à la monarchie. Tous les quatre sont des caricaturistes de renom, qui distillent depuis longtemps leur vitriol dans les grands journaux du pays. Ils figurent dans l’exposition Her Maj, hommage satirique rendu par le Cartoon Museum de Londres à l’occasion du jubilé de diamant d’Elisabeth II.

Sûrement, la reine d’Angleterre, symbole de cette institution qu’ils n’aiment pas, leur a permis quelques mordants dessins? Des attaques violentes contre un système désuet et anachronique? Silence gêné dans les rangs… L’exposition prouve le contraire. Elisabeth II, dont le père George VI est décédé le 6 février 1952, a été largement épargnée par les caricatures. L’omniprésente figure, des timbres-poste aux pièces de monnaie, est très respectée par les professionnels de la satire. «Elle est aimée dans le pays, et les caricatures reflètent cela, reconnaît Kenneth Baker, ancien ministre de Margaret Thatcher et vice-président du Cartoon Museum. Et plus elle est âgée, plus les dessins deviennent sympathiques.» A ce rythme, alors qu’elle va fêter ses 86 ans en avril, elle sera bientôt représentée en sainte, coupant héroïquement des rubans jusqu’à ce que mort s’en suive…

D’habitude, les dessins de presse sont pourtant féroces au Royaume-Uni. Le pays a été un précurseur en la matière, dès le XVIIIe siècle. Même la royauté en a longtemps pris pour son grade, comme le rappelle avec délectation Kenneth Baker. «Les rois ont été représentés crottant, urinant, forniquant… Il y a un dessin de George III déféquant sur le Royaume-Uni, un autre de George IV au lit avec l’une de ses – très nombreuses – maîtresses.»

Les souliers de la duchesse cédant à la magnitude du pied ducal- Gillray, 7 janvier 1792

Alors, quoi? Elisabeth II intimiderait-elle ses congénères? Cette vieille dame dont le principal succès est de n’avoir rien dit d’intéressant en soixante ans, serait-elle un symbole trop fort pour s’y attaquer? «Pas du tout, se défend Dave Brown, qui dessine pour The Independent, le quotidien de loin le plus républicain du Royaume-Uni. Je n’ai jamais retenu mes coups. Mais son rôle n’est que cérémonial. Elle n’a pas de pouvoir. De façon générale, elle n’a aucun intérêt par rapport à mon message politique (très à gauche).» Même son de cloche chez ses collègues: «Elle n’émet jamais d’opinion, ce qui nous complique la tâche», estime Ken Pyne, qui publie régulièrement dans Private Eye, un hebdomadaire satirique.

Il n’y aurait donc rien à dire… L’explication n’est qu’à moitié convaincante. Il semble bien qu’il existe un tabou vis-à-vis de la reine, installé depuis trop longtemps pour avoir été levé ensuite. Sa Majesté a longtemps été représentée comme un personnage presque mythique. La toute première image d’elle, âgée de 21 ans et alors simple princesse héritière, la peint en sorte de Blanche-Neige recevant les fées venant la bénir pour son entrée dans l’âge adulte. Ensuite, pendant deux décennies, elle n’a été montrée que de dos, ou éventuellement de profil, voire pas du tout: de nombreux dessins ne font que référence à la souveraine. Il faudra attendre 1967 pour enfin voir le visage – pourtant connu de tous – de la reine, dessiné par Wally Fawkes. «Je voulais simplement faire d’elle un être humain, montrer qu’elle était comme nous», se rappelle aujourd’hui l’octogénaire.

Preuve que le symbole est presque intouchable, il faudra attendre une décennie supplémentaire pour que les Sex Pistols, professionnels de la provoc, sortent leur fameux God Save the Queen, parlant dans leur chanson du «régime fasciste» que représente la monarchie.


Si la résidente de Buckingham Palace ne prête guère le flanc aux critiques, ses enfants, en revanche, font l’objet de railleries. Le prince Charles est moqué, pour son divorce ou pour ses prises de position iconoclastes sur l’architecture ou l’agriculture bio. Le prince Andrew ou la princesse Ann sont la risée générale.

Les véritables attaques commencent à la fin du XXe siècle et à la mort de Diana. Steve Bell, du Guardian, et Dave Brown font partie des plus méchants. Le premier réalise d’hilarants dessins où le couple royal se déguise en prolétaires, parlant avec un accent «working class» et installant au fond de leur jardin un logement social ô combien exotique, comme Marie Antoinette avait en son temps sa propre ferme reconstituée. Le principal angle d’attaque concerne les dépenses de la famille royale et son utilisation de l’argent public.

La famille royale dans l'émission Spitting Image de Fluck & Law.
Pourtant, même aujourd’hui, ces accusations demeurent rares. Le jubilé de diamant n’a pas été l’occasion d’un déchaînement de satires, bien au contraire. Ken Pyne prévient pourtant que ce n’est pas la monarchie qui est protégée, mais seulement Elisabeth II: «Ce sera beaucoup plus facile d’attaquer Charles quand il deviendra roi.»

Her Maj, Cartoon Museum de Londres, jusqu’au 8 avril. http://cartoonmuseum.org

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