samedi 20 octobre 2012

Comment va le dessin de presse en Belgique ?

Du site Caricatures et caricature.


Week-end de la presse indépendante organisé les 26 et 27 octobre 2012 à La Louvière et à Mons en Belgique
Decressac, organisateur du Week-end de la presse indépendante (Belgique) : interview



Tu organises un week end de la presse indépendante à La Louvière et à Mons en Belgique, quelle est la philosophie générale ?

 À l'occasion de la sortie belge du livre "Klomp!", j'ai eu la possibilité d'inviter mes amis et collégues avec qui je dessine. Sergio, Flavien, Giemsi ainsi que Marc Large et Mael Nonet qui publie ce livre. L'occasion était belle de réunir l'espace d'un week-end les différents acteurs de la presse indépendante avec lesquels je suis en contact, et avec lesquels je travail également. Il s'agit d'associations et revues hétéroclites qui ont pour point commun de publier des ouvrages, des livres, des fanzines et autres journaux libres, qui fonctionnent sans patron et sans autres revenus que la vente de leur travail. Chacun à leur manière, ils font vivre en Wallonie et à Bruxelles, ainsi qu'en France la presse indépendante.
Seront donc rassemblés tout ce beau monde dans le but d'établir des contacts que la situation géographique de chacun rend parfois difficile. Échanger, se rencontrer et s'amuser bien sur ! Un joyeux bordel où, j'espère, nous partagerons nos expériences, de la bonne bière mousseuse et de la bonne humeur ! J'espère que se tisseront les liens utiles pour que cette presse continue d'exister. Tout le monde est le bienvenu pour présenter son travail dans des stands qu'on propose modestement.

À l’occasion de ce week end, vous fêterez le 68e numéro d’une revue satirique au nom improbable Batia moûrt sou. Peux tu décrire l’esprit et le contenu de la revue ?

 "El Batia mourt sou", c'est le journal de Serge Poliart. Serge est actif dans la presse indépendante et satirique depuis plus de 15 ans. Fabriqué avec les moyens du bord, refusant toute intervention financière qui mettrait en péril la liberté du journal, Le Bateau Ivre (traduction française du titre original en wallon) vogue au rythme de parutions alléatoires, résultat d'une trésorerie bien pauvre. Annoncé trimestriel, il ne sort que quand il y a assez d'argent dans les caisses pour payer l'imprimeur. Ici, il n'est pas question de rétribuer qui que ce soit, c'est un projet qui vise à donner l'entière liberté à ses collaborateurs. Au fil des années, le journal s'est ouvert aux nouvelles rencontres, c'est ainsi qu'on a pu y voir Siné et Julie Le Boltzer à l'époque de Siné-Hebdo, qu'on peut y côtoyer Raoul Vanheigem, Noel Godin, André Stas, Fanchon Daemers, Laure Nouahlat mais aussi une foultitude de gens dont ce n'est pas le métier. Depuis quelques années, les amis français Hénin Liétard, Marc Large, Sergio, Flavien et Giemsi sont venus épaissir l'équipe.
Personnellement, j'ai toujours apprécié le côté foutraque du journal, j'ai rejoins Serge Poliart il y a plus de 10 ans ! L'esprit y est frondeur, jovial et outrecuidant !

En Belgique, le dessin de presse se porte bien ?

Non, pas mieux qu'ailleurs, malheureusement, au contraire même!
D'abord, le dessin de presse n'a pas énormément de place dans la presse classique belge et, hormi quelques pointures qui cannibalisent le tout et vérouillent les meilleures places (Kroll, Clou, Cécile Bertrand, Dubus, etc...), les possibilités sont très réduites pour les autres. Ensuite, la presse n'est pas traditionnellement tournée vers le dessin comme elle l'était et l'est encore un peu en France. S'il reste quelques ouvertures, elles sont très souvent mal mises en évidence. Il nous arrive régulièrement d'avoir un dessin qui saute au profit d'un espace publicitaire par exemple. Après plus de cinq ans à me débattre dans ces marécages, j'ai décidé de ne plus y perdre mon énergie. A contrario, quelques amis comme Sondron ou Samuel ont néanmoins réussi à tenir bon, et, avec leur talent en plus, ont fini par en vivre. Comme quoi...

Des dessins originaux de Flavien, Sergio, Giemsi et toi-même seront exposés. On les retrouve dans le recueil Klomp. Ces dessins visent globalement plus les « beaufs » que les puissants de ce monde. Pourquoi avoir choisi cet axe ?

Je suis moyennement d'accord avec cette analyse. Ce qui est vrai je pense, c'est que nous avons choisi cet axe sans vraiment nous consulter, la sélection s'est faite assez rapidement, comme une évidence. C'est notre premier livre. Nous avons en commun de nous amuser des choses sérieuses, des puissants et des arrogants, tout ça en ramenant souvent la sévèrité du sujet sur un plan absurde ou "banal". Disons qu'on se complait parfaitement dans la dérision pour se moquer du monde dans lequel on vit. Par contre, les "beaufs" qu'on représente par exemple, sont selon moi l'image de la masse qui acquiesse sans broncher, résignée, plus interessée à débattre du maillot de l'équipe de foot que des traités européens qui nous spolient. Nous sommes tous dans le troupeau à chercher notre place et tenter d'en survivre, et nous, modestement, nous cherchons à en rire. Seul Flavien oriente beaucoup plus son travail sur de grands dessins politiques au sens premier du terme.
Une cinquantaine d'originaux seront donc présentés à l'exposition, mais nous avons tenu à ce qu'il n'y ait pas que ceux qui figurent dans le livre. Les futurs acheteurs de Klomp! pourront découvrir ainsi bon nombre d'autres dessins et l'exposition en sera encore plus complète.

Tu participes aux journaux Zélium et Z-minus. La structure associative qui fait vivre ces titres est pour le moins originale

Oui, ce sont tous les deux de beaux projets portés par Mael Nonet, un gars bourré d'énergie qui ne veut pas se résigner. Il a pris de gros risques financiers pour monter ces journaux et ça, c'est déjà remarquable! Sur le plan humain, c'est génial. Ensuite, tout est transparent dans les comptes comme dans les intentions dujournal, on reçoit régulièrement les informations sur la situation du projet. Il faut reconnaitre que c'est très rare ce genre d'initiative. Tout le monde connait parfaitement les enjeux, ainsi que le public. Si le journal venait à dégager des milliards de bénéfices, tous les collaborateurs palperont! Personnellement, j'y retrouve une ambiance et l'énergie déglinguée des fanzines de gamins!

Ces deux numéros traversent une période difficile. Après la mort de Siné Hebdo et La Mèche auxquels tu as participé, tu penses qu’il reste encore une place pour le dessin satirique ?

Je ne suis pas optimiste non. Si Siné hebdo était rentable jusqu'à presque la fin, La Mèche a été un échec financier. Tous les journaux semblent vivre ce phénomène. La presse satirique n'échappe pas au lois du marché dès que l'argent est au centre du projet. Siné mensuel tient encore le coup, mais pour combien de temps? Charlie Hebdo plafonne avec une trentaine de milliers de vente mais compte sur le soutien général de la presse traditionnelle et du gouvernement pour régulièrement faire parler de lui avec des coups fumants relayés par tous. Curieux paradoxe pour une presse "satirique" non?. Le Canard enchainé est une institution et navigue dans d'autres eaux. Ils sont sur une autre planète. Zélium et Z-Minus ne bénéficient de rien, d'aucune aide, d'aucune promotion de masse, et plus difficile encore, d'aucun coup de main de ses pairs. Malgré ça, il continue de vivoter, c'est déjà pas mal... Je ne sais pas combien de temps ces journaux tiendront, mais avec l'énergie déployée, j'espère vraiment qu'on va s'en sortir.
Malheureusement, le temps semble venu où la vraie presse satirique ne se fera qu'avec seulement des bénévoles, sans argent. Pour preuve, le Batia mourt sou sort son 68ème numéro sans avoir vu le temps passer. Et pourtant, on compte les moindres centimes.

Pour toi, quel doit être le rôle du dessinateur de presse ?

C'est très difficile à dire... Je dirais que dans la presse classique en Belgique, j'avais le rôle du gentil bouffon. Je tentais d'y glisser quelques opinions personnelles, mais la réalité voulait souvent que je me limite à divertir sans faire de vague. Au mieux, la rédaction tolérait l'absurde. En fonction des orientations politiques du journal, nous nous trouvons souvent limités à ce rôle. Dans la presse satirique, les appétits grandissent. Bien que j'aime autant le gag absurde que le dessin politique, la relative liberté de ces journaux (et souvent la confidentialité de leur distribution) permet plus d'audace. Le dessinateur peut dans ce cas devenir journaliste, sarcastique et impertinent. Mon expérience avec Siné a été très marquante sur ce point. Le seul mot d'ordre était: "frappez fort!"
Depuis, pour ceux qui y ont travaillé, c'est souvent difficile de faire marche arrière...

Les dessinateurs dont on a pu lire l’opinion dans la presse se sont montrés très divisés sur les caricatures de Mahomet publiés par Charlie Hebdo. Et toi, qu’en penses-tu ? Mets tu des limites à la caricature des religions ?

C'est en effet assez complexe comme phénomène.
Pour moi, dans un premier temps, il n'y a pas à transiger, nous devons rester unis autour de la liberté d'expression. Encore plus quand il s'agit de la presse satirique. En théorie, nous ne pouvons pas céder à la peur et aux menaces.
Me moquer des religions, comme du reste, ne doit pas souffrir de limites. Le seul risque qu'il faut assumer, c'est de rater un dessin. Là où je ne rejoins pas la bande à Charlie, c'est justement sur ce point.
Si le dessinateur Charb réussit un bon dessin de UNE, avec provoc et intelligence, le directeur Charb décide de publier des dessins ratés sur Mahomet. Ni drôles, ni pertinents. Pourquoi?
Publier des caricatures devient rentable.
C'est là où je commence à douter.
Dés lors, tout sonne faux. La presse généraliste s'empare de l'affaire et la relaie abondemment. L'extrême droite se frotte les mains, l'opinion publique se forge à coups de déclarations politiques au 20h.
Charlie Hebdo devient la voix commune: "L'Islam est un danger pour nos sociétés occidentales"!
Soutenus par l'ensemble des médias, Libération et France Inter, Val en tête, Charlie Hebdo, journal satirique, se décrédibilise.


Propos recueillis par Guillaume Doizy

octobre 2012

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