La Monnaie de Paris a demandé au grand dessinateur d'illustrer quatorze pièces d'argent et une d'or.
Sempé (Sipa)
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Pas besoin de sortir de l'euro pour entrer dans le Sempé. Les deux monnaies sont compatibles. A partir du 2 juin, vous pourrez en effet, afin de régler un achat de 10 euros, utiliser aussi bien le traditionnel billet rouge représentant une arche romane que la pièce dessinée par le père du «Petit Nicolas». Du moins en théorie. Car le premier s'échange alors que la seconde se collectionne - même en argent, elle vaudra demain de l'or. Qu'on se le dise.
L'antédiluvienne Monnaie de Paris (la plus vieille institution française est née en 864, sous le règne de Charles II) a eu en effet la bonne idée de demander à l'immarcescible Jean- Jacques Sempé (le meilleur dessinateur d'humour français est né en 1932, sous Albert Lebrun) de représenter les valeurs de la République: Liberté, Egalité, Fraternité, et de les décliner au fil des quatre saisons.
Soit douze pièces de 10 euros en argent. A quoi s'ajoutent, sur le thème universel de la paix, deux pièces de 50 euros en argent. Et enfin, pour les plus fortunés, une pièce exceptionnelle de 500 euros en or pur à l'effigie de la République. Car le Sempé est une monnaie forte.
Dans sa cantine du boulevard Montparnasse, en face de chez lui, Sempé découvre les pièces qu'il a dessinées et que la Monnaie a frappées. Éclairées par le soleil, elles brillent sur la table, et il jubile. En tirant sur sa cigarette électronique, l'auteur de «Tout se complique» se demande bien s'il pourra dorénavant payer en Sempé ses réserves d'e-liquide. A 81 ans, il n'en revient pas.
Ses dessins, de plus en plus grands et picturaux, ont pourtant connu des vies mémorables: ils ont traversé l'Atlantique jusqu'au légendaire New Yorker ont été rassemblés en albums, exposés à l'Hôtel de Ville de Paris, ils sont devenus des décors de théâtre, ont illustré des couvertures d'écrivains et même inspiré des films, mais jamais encore ils ne s'étaient retrouvés gravés sur des pièces. Il ne cache pas sa fierté, elle est un peu enfantine.
Lorsque la Monnaie lui a lancé ce défi, il n'a pas hésité un instant. Et quand elle lui a proposé la thématique républicaine, il a sauté de joie.
Pensez donc qu'il faut des années à un pubard pour réfléchir à un visuel et inventer un concept ! Moi, j'ai eu l'idée en trente secondes. Pas une idée, d'ailleurs, mais une évidence : la France, c'est le vélo. La République, c'est la petite reine. Toute ma vie, j'en ai fait. Dans ma jeunesse, à Bordeaux, j'étais livreur cycliste pour un courtier en vins. Ensuite, je n'ai pas cessé de pédaler. Même à Paris. La bicyclette a enchanté ma vie et notre pays. J'ai encore la nostalgie du Tour de France, lorsqu'il était une fête populaire et qu'on jouait de l'accordéon aux étapes. Et comme les roues du vélo ont la rondeur parfaite des pièces, j'ai décliné ce moyen de transport pour les trois valeurs de la République.
Le vélo comme instrument de la félicité. La Liberté ? Un homme, les bras en croix, pédale dans la campagne: « Vous lâchez les mains du guidon, ajoute Sempé, et vous voilà libre d'aller où bon vous semble! » L'Égalité ? Un couple sur un tandem, uni dans un même effort. La Fraternité ? Une course frontale de quatre enfants en équilibre sur leurs bécanes qui se tiennent par les épaules.
Pour la Paix, en revanche, le vélo ne fonctionnait plus, alors j'ai repris le symbole classique de la colombe. Elle marche ici sur un fil avec, dans le bec, un rameau d'olivier.
"Je suis devenu lent, je m'agace"
Chaque pièce est présentée dans un petit livret cartonné dont l'aquarelliste Sempé a dessiné, selon les saisons, les paysages champêtres qui sentent la noisette, comme dans les chansons de Mireille et les films de Tati. C'est ravissant, et tellement poétique. On dirait le tableau changeant d'un monde disparu, révolu, et dévolu uniquement aux deux-roues. Au point qu'on se demande si, en fait d'euros, l'auteur de De bon matin n'a pas cru plutôt dessiner des francs, des anciens francs, sonnants et trébuchants.
Avec un art de miniaturiste auquel il n'est guère habitué, Sempé s'est appliqué à dessiner chaque saynète, rageant contre la fatigue qui, parfois, le saisissait:
C'est que je n'ai plus la facilité de mes 20 ans. J'ai maintenant besoin d'une loupe. Il arrive à ma main gauche de devoir soutenir la droite. Je suis devenu lent. Je m'agace. Si vous saviez...
Jamais, pourtant, il ne s'est plus rapproché de l'enfance qu'en dessinant des gens heureux sur des pièces qui roulent, en chantant, vers le passé.
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