mercredi 30 septembre 2020

Quino (1932-2020)

 Sur le site du Monde.


L’auteur et dessinateur argentin Quino, de son vrai nom Juan Salvador Lavado Tejón, est décédé des suites d’un accident cérébro-vasculaire à l’âge de 88 ans, à Mendoza, a révélé son éditeur, Daniel Divinsky.

« Toutes les bonnes personnes du pays et du monde entier le pleureront », a-t-il écrit sur Twitter. 

« Je dessine parce que je m’exprime mal », confiait l’Argentin, auteur pour l’essentiel de courtes BD et de dessins d’humour quasi muets, qui combinait un sens aigu de l’absurde et la finesse politique des grands dessinateurs d’actualité.

Ce fils d’Andalous, né au pied des Andes dans la région de Mendoza en Argentine, le 17 juillet 1932, découvre très jeune la puissance du dessin. 

« À trois ans, je dessinais avec mon oncle. J’ai compris alors que d’un objet si simple pouvaient naître des personnes, des chevaux, des trains, des montagnes… Un crayon est une chose merveilleuse », aimait-il à raconter.



A 13 ans, il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts de Mendoza, mais en 1949, « lassé de dessiner des amphores et des plâtres », il arrête ses études et ne pense plus qu’à une seule chose : devenir illustrateur d’humour. 

Il se lance alors dans la BD muette. À 18 ans, il se rend dans la capitale Buenos Aires mais en revient bredouille. Il connaît alors trois années de disette jusqu’au « jour le plus heureux de [sa]vie », en 1954, lorsque l’hebdomadaire argentin Esto Es publie sa première page.

« Je dessinais très mal. Le dessinateur Garaycochea me disait : “Tu as de bonnes idées mais tu dessines comme un cochon”. » 

Puis c’est le dessinateur Divito qui le corrige. 

« Avant, je dessinais sans ombres, tout en ligne claire. Divito disait qu’il ne fallait pas laisser autant de blanc, que les lecteurs voulaient en avoir pour leur argent. Puis il m’a demandé de lui apporter des dessins avec du texte. »




Un « pessimiste »

En 1963, son premier livre Mundo Quino (Le Monde de Quino) paraît. 



Et c’est la même année qu’il imagine sa petite héroïne effrontée, Mafalda, dont il a dessiné les aventures entre 1964 et 1973 et avec laquelle il marquera des générations entières. 

La fillette est pourtant née d’un étrange concours de circonstance. 

C’est pour faire la promotion des aspirateurs et robots de cuisine Mansfiel, éphémère marque d’électroménager argentine des années 1960, qu’il fut demandé à Quino de créer une bande dessinée combinant les univers des Peanuts et de Blondie.


La campagne publicitaire ne se fit jamais, mais le personnage demeura dans les cartons du dessinateur. 

Ce n’est que le 29 septembre 1964, sous l’impulsion de son épouse Alicia Colombo, que la petite fille sortira d’un tiroir pour être publiée par l’hebdomadaire Primera Plana de Buenos Aires. 

« Ma femme a été l’élément-clé dans la reconnaissance de Mafalda », avait-il assuré en 2014 lors de la remise du prix Prince des Asturies.

On connaît la suite : l’un des comic strips le plus diffusé dans le monde et un petit bijou de critique sociale à travers les saillies d’une gamine issue de la classe moyenne révoltée contre le monde des adultes.

Si les problèmes sur terre ont bien changé depuis l’époque où fut publiée la série, Mafalda reste à jamais la garante et l’incarnation d’un droit universel : celui de « rester une petite fille qui ne veut pas assumer l’univers frelaté de ses parents », comme l’écrivit l’Italien Umberto Eco dans une préface reprise dans une intégrale anniversaire.

« Le problème de notre monde est que les enfants perdent l’usage de la raison à mesure qu’ils grandissent. Ils oublient à l’école ce qu’ils savaient à la naissance. Ils se marient sans amour. 

Ils travaillent pour l’argent et, entrés à l’âge adulte, se noient non pas dans un verre d’eau mais dans un bol de soupe », regrettait Quino dans un entretien au Monde, en 2014.

Même s’il n’a jamais renié la popularité de Mafalda, Quino n’y était pas plus attaché que cela. 

Le 25 juin 1973, il décide subitement d’arrêter sa série par peur de « trop se répéter ». « On s’est alors mis à me traiter comme si j’étais un assassin ! », confiait-il, « agréablement surpris » par ce succès.

À l’opposé de la fillette révoltée, il s’était alors remis à dessiner des « Monsieur Tout-le-monde » interchangeables, médiocres et à la stupidité universelle. 



Dans son dernier volume en français, Manger, quelle aventure !, réédité en 2016, il s’est attaqué à l’alimentation.

Atteint de problèmes de vue, il avait définitivement posé son crayon en 2006. 

En 2014, Quino a été fait officier de la Légion d'honneur, peu après que Mafalda ait reçu la même décoration, ce qui était du jamais vu pour un personnage de bande dessinée.

C’est après l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo que le dessinateur, proche de Wolinski, a fait l’une de ses dernières apparitions publiques en janvier 2015 : « Mafalda aurait ressenti une peine terrible », avait-il dit, tenant dans son fauteuil roulant une pancarte « Je suis Charlie ».

Quino se décrivait ainsi : « Un pessimiste qui a, malgré tout, l’illusion que son travail peut faire changer les choses. »


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