François Cardinal dans LaPresse+.
Voilà, hélas, comment on réagit en 2020 face à un élément gênant : on l’efface en espérant qu’on oublie son existence.
Heureusement, la SRC a reculé depuis en ajoutant plutôt un avertissement en ouverture d’épisode. Mais le mal était fait, disons-le.
***
Ce qui arrive à La petite vie peut sembler anecdotique. On parle après tout du manque de jugement d’une institution à la suite d’un seul commentaire (même pas une plainte !).
Mais il y a là un symbole fort, car on croyait le Québec plutôt épargné des dérives du mouvement woke jusqu’ici, sauf exception.
L’histoire du « mot commençant par n » a eu lieu à l’Université d’Ottawa.
Les hauts cris provoqués par un sketch du Bye bye 2018 qui mettait en scène Justin Trudeau dans une pièce de Bollywood pleine de clichés sont venus du Canada anglais.
Et l’animatrice (ndlr Wendy Mesley) qui a perdu son émission pour avoir cité Nègres blancs d’Amérique travaille à la CBC.
Or, dans le cas de La petite vie censurée par la Société Radio-Canada, l’histoire touche le Québec francophone au cœur.
***
Or, disons-le, ce vent de dénonciation provenant du monde anglo-saxon est glacial.
Il fige le droit de parole, la liberté d’enseignement, les voix qui ne font pas consensus. Il crée de nouveaux tabous, place des livres à l’index, impose la rectitude politique.
Bref, il fige une liberté d’expression au point que certains hésitent aujourd’hui à la défendre, comme l’a démontré le premier ministre Justin Trudeau.
Le problème, c’est qu’à trop vouloir ménager toutes les susceptibilités, à vouloir éviter toute « microagression », on en vient à franchir le pas entre empathie et censure.
On en vient à plier devant cette police morale qui cherche à transformer le monde en un safe space exempt de mots qui choquent, d’humour qui crée le malaise, d’œuvres d’une autre époque et d’idées qui dérangent.
On demande par exemple de modifier le titre d’un livre, de cesser d’utiliser tel mot ou d’éliminer une œuvre des rayons et des cursus.
On exige des excuses senties de l’un, le retrait d’une charge de cours à un autre ou carrément sa démission.
On réclame le retrait d’un film ici, l’annulation d’une conférence là-bas ou l’abandon d’une pièce de théâtre.
Et ainsi s’installe tranquillement une chape de plomb sur la culture, l’université, le débat public et les médias, comme Radio-Canada en a fait la preuve.
***
Le danger avec cette culture de la dénonciation, c’est qu’elle ratisse large en plus d’être pernicieuse.
Si le retrait d’un épisode de La petite vie et le déboulonnage d’une statue défraient les manchettes, il y a plus subtil : cette tendance croissante à écarter du débat public des opinions, des idées, des points de vue en s’en prenant à la légitimité de ceux qui les expriment.
Prenez le débat qui a secoué l’Université d’Ottawa. Qu’a répondu le recteur à sa professeure qui justifiait le recours au mot commençant par n dans un contexte d’enseignement ?
« Les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider de ce qui constitue une microagression. »
Et paf ! Il a ainsi mis fin à toute discussion en imposant le silence à sa professeure, simplement parce qu’elle est blanche.
Signe qu’on n’hésite plus, aujourd’hui, à accorder des droits de parole et à les retirer, selon le genre, la race et la couleur de la peau.
On s’en prend à la position d’un homme qui critique la BD publiée par la mairesse Valérie Plante, par exemple, en affirmant qu’il n’a pas la légitimité pour attaquer un projet qui traite des difficultés d’être femme en politique.
On demande aux hommes qui se disent féministes ou « non sexistes » de se taire sous prétexte que « ce combat ne leur appartient pas ».
On disqualifie la position de certains commentateurs sur la discrimination et le racisme systémique en précisant qu’ils sont blancs. Et ainsi de suite.
De cette façon, on ne s’attaque plus aux arguments avancés, mais à la légitimité de la personne qui les formule. On ne critique plus les propos, on discrédite celui qui les a exprimés.
Façon commode d’effacer de l’espace public tout ce qui peut ébranler.
***
Entendons-nous, il y a aussi du bon dans ce discours de dénonciation qui vise, après tout, l’émancipation des femmes, des minorités et des sans-voix, trop longtemps marginalisés.
Des réactions outrées à des blagues misogynes font avancer l’égalité hommes-femmes. De la même manière que des débats sur l’utilisation de mots chargés peuvent aider à comprendre ce que l’autre vit.
Mais encore faut-il avoir ces débats, justement. Ce qui commande le droit à la parole, aux voix discordantes, à la contextualisation d’enseignement, à la remise en question.
Ce qui arrive à La petite vie peut sembler anecdotique. On parle après tout du manque de jugement d’une institution à la suite d’un seul commentaire (même pas une plainte !).
Mais il y a là un symbole fort, car on croyait le Québec plutôt épargné des dérives du mouvement woke jusqu’ici, sauf exception.
L’histoire du « mot commençant par n » a eu lieu à l’Université d’Ottawa.
Les hauts cris provoqués par un sketch du Bye bye 2018 qui mettait en scène Justin Trudeau dans une pièce de Bollywood pleine de clichés sont venus du Canada anglais.
Et l’animatrice (ndlr Wendy Mesley) qui a perdu son émission pour avoir cité Nègres blancs d’Amérique travaille à la CBC.
Or, dans le cas de La petite vie censurée par la Société Radio-Canada, l’histoire touche le Québec francophone au cœur.
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Or, disons-le, ce vent de dénonciation provenant du monde anglo-saxon est glacial.
Il fige le droit de parole, la liberté d’enseignement, les voix qui ne font pas consensus. Il crée de nouveaux tabous, place des livres à l’index, impose la rectitude politique.
Bref, il fige une liberté d’expression au point que certains hésitent aujourd’hui à la défendre, comme l’a démontré le premier ministre Justin Trudeau.
Le problème, c’est qu’à trop vouloir ménager toutes les susceptibilités, à vouloir éviter toute « microagression », on en vient à franchir le pas entre empathie et censure.
On en vient à plier devant cette police morale qui cherche à transformer le monde en un safe space exempt de mots qui choquent, d’humour qui crée le malaise, d’œuvres d’une autre époque et d’idées qui dérangent.
On demande par exemple de modifier le titre d’un livre, de cesser d’utiliser tel mot ou d’éliminer une œuvre des rayons et des cursus.
On exige des excuses senties de l’un, le retrait d’une charge de cours à un autre ou carrément sa démission.
On réclame le retrait d’un film ici, l’annulation d’une conférence là-bas ou l’abandon d’une pièce de théâtre.
Et ainsi s’installe tranquillement une chape de plomb sur la culture, l’université, le débat public et les médias, comme Radio-Canada en a fait la preuve.
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Le danger avec cette culture de la dénonciation, c’est qu’elle ratisse large en plus d’être pernicieuse.
Si le retrait d’un épisode de La petite vie et le déboulonnage d’une statue défraient les manchettes, il y a plus subtil : cette tendance croissante à écarter du débat public des opinions, des idées, des points de vue en s’en prenant à la légitimité de ceux qui les expriment.
Prenez le débat qui a secoué l’Université d’Ottawa. Qu’a répondu le recteur à sa professeure qui justifiait le recours au mot commençant par n dans un contexte d’enseignement ?
« Les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider de ce qui constitue une microagression. »
Et paf ! Il a ainsi mis fin à toute discussion en imposant le silence à sa professeure, simplement parce qu’elle est blanche.
Signe qu’on n’hésite plus, aujourd’hui, à accorder des droits de parole et à les retirer, selon le genre, la race et la couleur de la peau.
On s’en prend à la position d’un homme qui critique la BD publiée par la mairesse Valérie Plante, par exemple, en affirmant qu’il n’a pas la légitimité pour attaquer un projet qui traite des difficultés d’être femme en politique.
On demande aux hommes qui se disent féministes ou « non sexistes » de se taire sous prétexte que « ce combat ne leur appartient pas ».
On disqualifie la position de certains commentateurs sur la discrimination et le racisme systémique en précisant qu’ils sont blancs. Et ainsi de suite.
De cette façon, on ne s’attaque plus aux arguments avancés, mais à la légitimité de la personne qui les formule. On ne critique plus les propos, on discrédite celui qui les a exprimés.
Façon commode d’effacer de l’espace public tout ce qui peut ébranler.
***
Entendons-nous, il y a aussi du bon dans ce discours de dénonciation qui vise, après tout, l’émancipation des femmes, des minorités et des sans-voix, trop longtemps marginalisés.
Des réactions outrées à des blagues misogynes font avancer l’égalité hommes-femmes. De la même manière que des débats sur l’utilisation de mots chargés peuvent aider à comprendre ce que l’autre vit.
Mais encore faut-il avoir ces débats, justement. Ce qui commande le droit à la parole, aux voix discordantes, à la contextualisation d’enseignement, à la remise en question.
Ce qui commande, bref, une liberté d’expression qui permet de nommer les choses et d’échanger plutôt que de condamner.
Le danger de cette culture woke, il est là : dans la certitude et la supériorité morale avec laquelle elle excommunie ceux qui ne rentrent pas dans le rang.
Un travers qui radicalise les dénonciations et les revendications, qui clive et mine le débat public, et qui finit par éloigner ceux qui sont habituellement des alliés naturels de cette quête de justice sociale.
Les nouveaux progressistes font ainsi fuir les progressistes modérés, les tenants d’une plus grande égalité hommes-femmes, les partisans de l’ouverture et d’un vivre-ensemble harmonieux, les gens qui croient en l’existence du racisme systémique et d’un besoin de contrer la discrimination aux plus hauts échelons de l’État.
« J’ai la nostalgie d’une gauche généreuse et inclusive, écrit en ce sens la journaliste Marie-France Bazzo dans son plus récent livre. Une gauche qui propose des solutions plutôt que de mesurer mesquinement les avantages de chacun. Une gauche de rêveurs pragmatiques plutôt que de comptables idéologiques. »
En se campant dans l’extrême, en dénonçant tout ce qui retrousse et en exigeant l’effacement de ce qu’elle juge contraire à sa ligne stricte de pensée, cette nouvelle gauche prêche la tolérance en usant d’intolérance.
Le danger de cette culture woke, il est là : dans la certitude et la supériorité morale avec laquelle elle excommunie ceux qui ne rentrent pas dans le rang.
Un travers qui radicalise les dénonciations et les revendications, qui clive et mine le débat public, et qui finit par éloigner ceux qui sont habituellement des alliés naturels de cette quête de justice sociale.
Les nouveaux progressistes font ainsi fuir les progressistes modérés, les tenants d’une plus grande égalité hommes-femmes, les partisans de l’ouverture et d’un vivre-ensemble harmonieux, les gens qui croient en l’existence du racisme systémique et d’un besoin de contrer la discrimination aux plus hauts échelons de l’État.
« J’ai la nostalgie d’une gauche généreuse et inclusive, écrit en ce sens la journaliste Marie-France Bazzo dans son plus récent livre. Une gauche qui propose des solutions plutôt que de mesurer mesquinement les avantages de chacun. Une gauche de rêveurs pragmatiques plutôt que de comptables idéologiques. »
En se campant dans l’extrême, en dénonçant tout ce qui retrousse et en exigeant l’effacement de ce qu’elle juge contraire à sa ligne stricte de pensée, cette nouvelle gauche prêche la tolérance en usant d’intolérance.
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