Tignous, Charlie Hebdo, 24 août 2011 |
La Corne de l’Afrique connaît depuis le début de l’année 2011 une sécheresse historique qu’aggrave une situation politique délétère en Somalie.
Depuis 20 ans le pays est en proie aux luttes armées internes, au point que la plupart des organisations d’aide internationales, menacées, ont du quitter les lieux.
La dégradation de la situation nutritionnelle des populations est connue depuis des mois, et a été soulignée à plusieurs reprises par les organisations humanitaires.
Le sujet n’a cependant commencé à intéresser les medias - et donc à exister aux yeux du grand public - que depuis le mois de juillet.
La presse s’est soudain mobilisée massivement pour parler de ce que l’ONU a récemment qualifié de "plus grave crise alimentaire" en Afrique depuis la famine somalienne des années 1991-1992.
Les dessinateurs ont un peu boudé cette actualité dans les premières semaines de couverture par leurs confrères journalistes, avant de commenter à leur tour l’insupportable, en particulier depuis fin juillet.
Cette période coïncide avec les annonces officielles de l’ONU classant au rang de « famine » la malnutrition sévère affectant une population estimée de 12 millions de personnes.
Comme souvent lorsqu’ils abordent les sujets tragiques, les dessinateurs se voient confrontés à une palette de discours sévèrement restreinte oscillant entre le registre pathétique qui fait long feu, et l’humour noir dont le maniement risque de frôler à tout moment les limites du bon goût.
Comme souvent lorsqu’ils abordent les sujets tragiques, les dessinateurs se voient confrontés à une palette de discours sévèrement restreinte oscillant entre le registre pathétique qui fait long feu, et l’humour noir dont le maniement risque de frôler à tout moment les limites du bon goût.
La famine est un sujet miné, la focalisation sur la figure de la victime risquant de réduire le champ du commentaire à un pathos larmoyant.
Heureusement les dessinateurs ont des trésors de créativité à revendre et si l’on peut se risquer à catégoriser leurs productions des dernières semaines, ce sera en en soulignant auparavant l’originalité et la grande diversité d’approches.
Les notes qui suivent ont été réalisées sur un échantillon de dessins publiés par la presse satirique française et sur des ressources disponibles en ligne : sites de dessinateurs, bases de données « political cartoons » de Daryl Cagle et du Courrier International.
Stéréotypes iconiques
Les dessinateurs brodent inévitablement autour des stéréotypes victimaires proposés par les medias et les campagnes de recherche de fonds des organisations caritatives : enfant émacié au ventre gonflé, environné de mouches, mère en pleurs, etc.
Les notes qui suivent ont été réalisées sur un échantillon de dessins publiés par la presse satirique française et sur des ressources disponibles en ligne : sites de dessinateurs, bases de données « political cartoons » de Daryl Cagle et du Courrier International.
Stéréotypes iconiques
Les dessinateurs brodent inévitablement autour des stéréotypes victimaires proposés par les medias et les campagnes de recherche de fonds des organisations caritatives : enfant émacié au ventre gonflé, environné de mouches, mère en pleurs, etc.
Clichés auxquels les dessinateurs ajoutent la figure du bureaucrate onusien, de l’américain obèse obnubilé par son propre confort et du rebelle somalien enturbanné. La mort et son emblème squelettique est aussi très présente, en particulier dans les dessins américains.
À côté de ces stéréotypes attendus et indispensables pour situer immédiatement l’événement et comprendre au plus vite les tenants et aboutissants de la caricature, certains dessinateurs jouent avec le graphisme de l’aire géographique concernée.
À côté de ces stéréotypes attendus et indispensables pour situer immédiatement l’événement et comprendre au plus vite les tenants et aboutissants de la caricature, certains dessinateurs jouent avec le graphisme de l’aire géographique concernée.
La Corne de l’Afrique devient ainsi, de par ses contours aigus une arme redoutable et meurtrière.
La région est aussi un cap, une impasse précipitant la chute de Somaliens poussés aux dernières extrémités par l’adversité.
Le nom même de la région incite aux jeux de mots : instrument de musique macabre pour Parash Nat, ou antonyme de Corne d’abondance pour Lasserpe.
Un autre mondeLa violence de l’actualité somalienne est telle que les images qui nous en parviennent nous apparaissent presque étrangères à force d’insoutenable, quasiment extra-terrestres.
Les somaliens vivent littéralement dans un autre monde, celui que leur concède l’hémisphère nord dans le dessin de Hajjaj : une moitié de monde dont ne reste que la partie concave, telle une coupelle vide.
Pendant que la Somalie contemple son bout de monde démuni, la soucoupe volante de l’Occident s’envole loin de la misère.
Plusieurs dessinateurs soulignent l’indécence des plaintes de l’occident comparée à l’étendue des souffrances des Somaliens, ou encore l’écart énorme existant entre les standards de vie de ces deux mondes que tout oppose.
Humour noir
En été les magazines grand public abondent en numéros spéciaux rivalisant de conseils pour que leurs lecteurs exploitent leur potentiel sensuel.
Emad Hajjaj, Cagle Cartoons |
Plusieurs dessinateurs soulignent l’indécence des plaintes de l’occident comparée à l’étendue des souffrances des Somaliens, ou encore l’écart énorme existant entre les standards de vie de ces deux mondes que tout oppose.
En été les magazines grand public abondent en numéros spéciaux rivalisant de conseils pour que leurs lecteurs exploitent leur potentiel sensuel.
Luz parodie ces titres estivaux « marronniers » dans la rubrique des « couvertures auxquelles vous avez échappé » de Charlie Hebdo : la métaphore sexuelle positionne clairement la Somalie comme victime, abusée, et souligne le fossé existant entre la tragédie africaine et les soucis narcissiques de nos contemporains.
On ne se nourrit pas avec des armes
Les dessinateurs ont bien compris que cette famine n’est pas uniquement naturelle, et qu’elle est aussi le fruit d’une situation politique désastreuse.
Déni et inaction de l’occident
La réponse décalée ou inadéquate des puissances occidentales proposée par Tignous et Wozniak semble justifier l’attentisme et le retard de l’arrivée de l’aide promise.
On ne se nourrit pas avec des armes
Les dessinateurs ont bien compris que cette famine n’est pas uniquement naturelle, et qu’elle est aussi le fruit d’une situation politique désastreuse.
Plusieurs évoquent l’emprise des combattants Shebab sur la Somalie. Ces derniers ont notamment imposé un embargo sur l’aide humanitaire en 2010 et contesté la réalité d’une quelconque famine sur leur territoire.
Mais on ne nourrit pas son peuple avec des armes…
La réponse décalée ou inadéquate des puissances occidentales proposée par Tignous et Wozniak semble justifier l’attentisme et le retard de l’arrivée de l’aide promise.
L’un relativise la gravité de la crise alimentaire en accusant un début de Ramadan excessif, l’autre suggère d’envoyer des coupe-faim aux affamés.
Tignous, Charlie Hebdo, 10 août 2011 |
Condensation, confrontation d’actualités
Ce registre décalé permet à plusieurs dessinateurs de confronter l’actualité grecque et l’actualité somalienne, et d’en mesurer tous les écarts.
Ce registre décalé permet à plusieurs dessinateurs de confronter l’actualité grecque et l’actualité somalienne, et d’en mesurer tous les écarts.
Car si la crise financière affectant la Grèce est bien réelle, elle ne génère pas pour autant une famine remettant en cause la survie de ses habitants, comme en Somalie.
À trop confronter des actualités dissemblables, le dessin sur un sujet apparemment aussi consensuel peut d’ailleurs se transformer en ferment de discorde.
Le dessin de Peter Brookes paru dans le Times of London le 21 juillet dernier est devenu sujet à controverse passionnée comme le relate l’Huffington Post. Un dessin intitulé Priorités présente un groupe de Somaliens affamés, dont l’un dit : « I’ve had a bellyfull of phone hacking » (j’en ai ras le bol (littéralement : j’ai le ventre plein) des écoutes téléphoniques »), jouant au passage sur les mots et évoquant le scandale de l’affaire des écoutes téléphoniques pratiquées par le journal News of the World, affaire ayant révélé les pratiques douteuses du monde politique britannique inféodé à la puissance du groupe de presse de Ruppert Murdoch.
Le dessin - ou plutôt son interprétation - a donné lieu à de nombreuses réactions sur Twitter en particulier, et a été suivi par la publication d’une lettre ouverte signée par 20 universitaires anglais dans The Guardian.
Le dessin de Peter Brookes paru dans le Times of London le 21 juillet dernier est devenu sujet à controverse passionnée comme le relate l’Huffington Post. Un dessin intitulé Priorités présente un groupe de Somaliens affamés, dont l’un dit : « I’ve had a bellyfull of phone hacking » (j’en ai ras le bol (littéralement : j’ai le ventre plein) des écoutes téléphoniques »), jouant au passage sur les mots et évoquant le scandale de l’affaire des écoutes téléphoniques pratiquées par le journal News of the World, affaire ayant révélé les pratiques douteuses du monde politique britannique inféodé à la puissance du groupe de presse de Ruppert Murdoch.
Le dessin - ou plutôt son interprétation - a donné lieu à de nombreuses réactions sur Twitter en particulier, et a été suivi par la publication d’une lettre ouverte signée par 20 universitaires anglais dans The Guardian.
Ceux ci soulignent l’hypocrisie de Murdoch (dont les journaux, y compris The Times of London, parlent peu de la crise somalienne) et l’utilisation « de caricatures racistes dans une tentative de faire dévier l'attention de la mise en examen légitime de ses actions ».
Le dessin est qualifié de « cynique et répugnant, un morceau flagrant de propagande ».
Cette histoire pose des questions intéressantes sur l’inévitable collusion entre la politique éditoriale des journaux et la réception des dessins qui y sont publiés.
Cette histoire pose des questions intéressantes sur l’inévitable collusion entre la politique éditoriale des journaux et la réception des dessins qui y sont publiés.
Dans d’autres colonnes, le dessin de Brookes aurait été interprété différemment, sans doute comme dénonçant le manque de couverture médiatique du drame somalien.
Mais imprimé dans le Times - titre appartenant à Murdoch - il semble relativiser l’affaire des écoutes pour détourner l’attention du scandale qu’elle représente outre Manche.
Il est cependant intéressant de noter que dans ce débat le seul que l’on n’a pas encore entendu est le dessinateur lui-même….
Sur un sujet aussi tragique que la famine en Somalie, le dessin de presse pourrait apparaître anecdotique.
On appréciera cependant par ce qui précède l’éclairage qu’il propose sur une situation politique plus complexe qu’il n’y parait, et la mise en exergue de la relativité de nos tracas existentiels.
Catherine Charpin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire