mercredi 16 janvier 2013

Bado, invité d'honneur des Ridep 2013 : interview

Guillaume Doizy dans Caricatures et caricature.

Bado dans son bureau du journal Le Droit à Ottawa

Invité d'honneur des Ridep 2013, le dessinateur canadien Bado (Guy Badeaux) évoquera son travail lors d'une table ronde organisée à Carquefou pendant le weekend du 9 et 10 février 2013.

Ses dessins sont visibles sur le site de LaPresse.ca auquel est rattaché le quotidien Le Droit d'Ottawa.

Quand vous avez commencé à dessiner en 1981 pour le quotidien Le Droit, quelle était votre mission dans ce journal ?

Bado : À l’époque Le Droit appartenait à la congrégation des Pères Oblats et la ligne éditoriale y était assez conservatrice. La mission du journal était officiellement de défendre le fait français dans une province anglophone (l’Ontario) de même que les valeurs catholiques. Mais il faut dire que ces directives étaient assez élastiques !

J’ai, par contre, décidé dès le début (ma période de probation étant de trois mois) de vérifier les limites de ma liberté d’action et ai choisi comme une de mes premières cibles le recteur de l’Université d’Ottawa, Mgr. Guindon, un père Oblat.

Comme le quotidien s’adresse à un public familial, il est évident que je n’y ai jamais jouis de la même liberté d’action qu’un dessinateur de Charlie Hebdo par exemple. Le journal a, depuis cette époque, changé trois fois de propriétaire et la mission du journal, sauf la défense du français, n’est plus qu’un lointain souvenir.

Après 30 ans dans le même journal, quel rapport entretient on avec le public ?

Le rapport avec le public est assez ténu sauf dans le cas où mon dessin déplait et provoque des lettres de bêtises. Il faut dire que, dans ces occasions, j’ai également mes défenseurs qui ne se gênent pas, eux non plus, pour écrire au journal.

Au fil du temps, la mission a-t-elle évoluée ?

Les frasques de Bill Clinton auront permis à tous de parler de fellation et de sperme dans un journal familial.

Contrairement à d’autres dessinateurs, vous publiez sur votre blog plus d’infos sur vos confrères que de dessins de vous. Quel est l’objectif de ce blog ?

J’ai créé mon blog à l’origine pour faire la promotion de ma plus récente publication, « Sans dessins du Prophète ». Mais comme il fallait nourrir la bête, je m’en suis servi pour parler des sujets et dessinateurs qui m’intéressent. J’y fais le portrait de dessinateurs que j’admire en prenant soin de ne pas y afficher un trop grand nombre de leurs œuvres, question d’aiguiser l’appétit du lecteur.

 J’y poste également des articles découverts sur d’autres blogs en identifiant toujours mes sources. Celles-ci sont également mises en évidence dans la colonne « blogs dessins » dans la colonne de droite. Avec le temps, j’ai également créé le « Bado’s blog » où je poste des articles en anglais.

Comme je suis également présent sur Twitter, c’est là que je poste mes dessins quotidiens grâce à l’application « Twitpic » qui me permet de comptabiliser le nombre de visionnements de chaque dessin.

Je poste aussi sur mon blog sous la rubrique « dessin de la semaine » ceux qui ont été les plus partagés par mes abonnés sur Twitter. Je me suis également inscrit le mois dernier sur Facebook (guy.badeaux) et ai également créé la page « Bado ». J’y poste surtout des liens vers mes blogs et mes dessins sur Twitpic.

Comment concevez-vous le rôle du dessinateur de presse aujourd’hui ?

Le rôle du dessinateur de presse est le même que par le passé et consiste, entre autre, à dénoncer les abus du pouvoir. Comme l’avait dit Tim dans un livre d’entretiens, un dessinateur doit posséder trois qualités essentielles. Il doit, à la fois, être artiste, journaliste et humoriste.

Aux USA, le nombre de cartoonists salariés de journaux a considérablement baissé ces dernières décennies, au profit du recours aux «syndicates». Qu’en est-il au Canada ?

Je crois que l’existence des «syndicates» est responsable de la disparition des emplois de dessinateurs de presse. Ceux ci se font une guerre féroce et proposent leurs «packages» à des prix dérisoires. Les journaux cessent peu à peu de remplacer les dessinateurs qui prennent leur retraite, trop heureux d’épargner des charges sociales!

Il faut dire que par le passé l’existence des «syndicates» avait moins de conséquence du fait des délais de livraison par la poste. L’apparition du fax puis de l’internet devait changer la donne. Le phénomène existe à une moindre échelle au Canada du fait que la politique provinciale y est plus présente dans les quotidiens. Le Québec, quant à lui, est sauvé par la langue. Difficile en effet de faire vivre un « syndicate » avec une clientèle potentielle de huit quotidiens!

La circulation sans entrave des dessins grâce à Internet vous impose-t-elle une certaine retenue ?

Je ne sais pas pour la retenue mais elle m’impose par contre d’être plus original. Il m’arrive de plus en plus de devoir écarter des idées pour les avoir vues ailleurs.

En France, la liberté de ton de Charlie Hebdo en matière de caricature des religions agace certains dessinateurs ou commentateurs politiques. Comment percevez-vous ce journal qui n’a pas vraiment d’équivalent ailleurs ?

Charlie Hebdo, dont je suis un fidèle lecteur, fait œuvre essentielle. Je trouve son humour parfois juvénile mais j’admire la férocité de leurs dénonciations. Je suis également un admirateur fini de Cabu et Tignous.

Pourtant, l’association des Dessins pour la Paix (Plantu) à laquelle vous appartenez vise à promouvoir un dessin de presse qui crée des ponts entre les peuples. La caricature n’a-t-elle pas au contraire pour fonction première d’attaquer, de dénoncer, de blesser ?

Il est évident qu’il est difficile de concilier ces deux points de vue contradictoires. Je crois cependant qu’il est possible de dénoncer des opinions sans s’en prendre personnellement à ceux qui les défendent.

Dans le débat sur la laïcité par exemple, je constate qu'il y a des abus (ségrégation dans les piscines publiques, refus d'examen par des médecins masculins) mais je déplore également l'intolérance qui sous-tends l'appel à la conformité. J'ai trouvé une formule qui traduit ma pensée: « la laïcité d'accord mais à la condition de ne pas en faire une religion ».


Propos de Bado recueillis par Guillaume Doizy, janvier 2013

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