Le Grand prix du 40e festival de la bande dessinée d’Angoulême a été attribué au dessinateur Willem, non pas uniquement pour ses dessins qui paraissent régulièrement dans Libération, Charlie Hebdo ou Siné mensuel, ni pour son dernier album « Dégueulasse » (éditions Les Échappés), mais pour l’ensemble de son œuvre qui a débuté en Hollande dans Vrij Nederland (1962), et en France dans L’Enragé (1968), et s’est poursuivie dans les publications des éditions du Square Hara Kiri mensuel, l’hebdo Hara-kiri, etc. jusqu’à aujourd’hui.
Un travail déjà honoré depuis des années par de nombreux prix – Grand prix d’Epinal, Prix de l’Humour noir Granville, Grand prix national des Arts graphiques, et une exposition au Centre Pompidou à Paris, mais qui, avec ce nouveau prix très médiatisé, va toucher un plus large public.
Une distinction attribuée à un dessinateur sans concession, ni éditoriale, ni graphique, et pour qui le dessin est une véritable passion comme il le déclarait en 1985 :
« Si je ne dessine pas pendant quatre jours, je suis malade… Je ne peux pas m’imaginer vivre sans faire du dessin. Oui, je serais dans la merde si je ne dessinais pas… ça me sauve. Oui, ça m’aide à survivre. »
Normalement (l’organisation du festival bouge beaucoup en ce moment…), le lauréat du grand prix d’Angoulême est le maître d’œuvre de l’édition suivante, on attend avec impatience celle de 2014. On en reparlera d’ici-là.
La désignation « surprise » de Willem comme Grand prix d’Angoulême 2013 suscite déjà des commentaires (à lire notamment sur ActuaBD.com) dans le milieu de la bande dessinée plus habitué à encenser des gens du sérail que des créateurs qui ne font pas que de la BD et qui vendent à 2 000 exemplaires comme le dit lui-même notre néerlandais national.
Willem à l'oeuvre en 2007 à St. Just-le-Martel |
Mais voilà, il faut savoir que cette année au festival de la BD d’Angoulême le lauréat du Grand Prix a été désigné selon une nouvelle procédure de scrutin par les auteurs de BD présents et accrédités au festival. La liste du vote comprenait les noms Pierre Christin, Cosey, Nicolas de Crécy, Hermann, Manu Larcenet, Lorenzo Matotti, Alan Moore, Katsuhiro Otomo, Marjane Satrapi, Joann Sfar, Posy Simmonds, Jirô Taniguchi, Akira Toriyama, Jean Van Hamme, Chris Ware et Willem. Au final c’est l’Académie des grands prix qui a départagé les cinq noms arrivant en tête.
Sur les 1 500 auteurs présents à Angoulême, 537 ont voté, Le vainqueur était, jusqu’à cette année, choisi uniquement par l’Académie des Grands prix, qui regroupe les anciens lauréats.
Un autoportrait de Willem paru dans le magazine Zéro et republié dans le catalogue de l’exposition que lui a consacré la ville d’Epinal en 1990.
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AJOUT
René Solis Bayon trace un portrait de Willem dans Libération:
Pur produit de Mai 68, qui l’a attiré à Paris avec Roland Topor, Bernhard Willem Holtrop, dit Willem, sacré grand prix du festival de la BD d’Angoulême pour l’ensemble de son œuvre, en a vu bien d’autres.
Français d’adoption, désormais replié en Bretagne après quelques décennies bohèmes entre Montrouge et la chaude rue Germain-Pilon (Paris 18e), ce Hollandais planant à la dégaine lunaire, tenant du Geppetto à lunettes et du Tati moustachu, a vécu les années babafreak de la commune AAA ou de la péniche en rut du Wet Dream Festival.
Saboteur. Humaniste à l’ancienne, vétéran «provo» (bousculé par la justice batave pour avoir «lancé un peu des cailloux aux cars de police et à Beatrix pendant son mariage» ou croqué la reine Juliana en pute), saboteur en chaussons, ce graphiste politologue chartiste inclassable, dandy scatophile, étranger à toute mondanité, monomaniaque du trait sans règle, ne vivant que pour et par le dessin, doit la vie à la bande du Square de la grande époque Choron (Hara-Kiri, Charlie), et à Libération, qui lui a donné sa deuxième vie vers 1981.
Dessinateur en chambre mais aussi en Haddock-Tournesol reporter arpentant la Russie de la perestroïka ou plongeant avec délectation chaque année en juillet dans le chaudron d’Avignon. Sur le pont de bonne heure pour envoyer sa planche avant de se muer en forçat du off, Willem traçait sa route entre mimes japonais, bonnes sœurs barbues, accordéonistes abos, avec pour QG le Mon Bar, temple local au rosé tiède. Six jours à cinq spectacles quotidiens : aucun envoyé de Libération ne fait aussi bien.
Visionnaire effacé («Dans la vie, je veux me promener sans me faire apercevoir»), Willem, qui «ne lisait pas de BD quand il était petit, jamais un Tintin avant que mes enfants ne les aient», s’est plus formé aux fascicules détectives infâmes et à l’école des Grosz ou Jossot qu’à la «ligne claire». Son rigorisme de Calvo «sage»jusque dans la pire déconnade paillarde et le complotisme universel nazifiant lui vient après cela des Beaux-Arts et de tel prof lui disant : «Peut-être dessines-tu moins bien que les autres, les artistes, mais sois à l’heure avec ce que tu fais.»
«Libératoire». Son érudition encyclopédique de «non-jeteur», ainsi qu’il a pu se définir, distingue aussi le style stratifié d’un esthète de «ce qu’on ne pourra jamais revoir… J’aime bien fouiller, les journaux m’intéressent douze ans après.» Moine à sa façon, ce vieil enfant de 71 ans «pouvant s’abstenir de presque tout» a toujours su que «si je ne dessine pas pendant quatre jours, je suis malade. Je ne peux pas m’imaginer sans faire du dessin. Ça m’aide à vivre». Sur son goût du morbide : «Le reste, je ne trouve pas cela intéressant à dessiner. Un objet esthétique, c’est un objet qui a une histoire, et dans une histoire il faut quelque chose qui va mal.» Sur la violence : «Ce sont des choses qui donnent de l’intérêt à la vie ; les fous, les criminels, les jeteurs de bombes.» Et les maniaques ou les idiots ? «C’est difficile de créer un personnage plus intelligent que soi. Et c’est plus pratique pour le raconteur de faire un personnage con.» Evoquant sa rencontre spirituelle avec le surréaliste Topor, Willem résumait un jour :«Ça a été libératoire. Ça montrait que tout est permis en dessin. Et qu’on peut même le publier.»
Toutes les citations sont extraites d’un entretien à «Libération» (avec Bayon et Phil Casoar), «Willem le maudit», 1985.
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