mardi 9 avril 2013

Une entrevue de Réal Godbout dans « Le libraire » d'avril-mai 2013


« Le Libraire », le bimestriel des librairies indépendantes, consacre un dossier de 14 pages à la BD dans son édition d'avril-mai 2013. On y fait un bref historique de la bande dessinée québécoise, un profil de la maison d'édition « L'Association » et des entrevues de Fred, Réal Godbout, Dubuc & Delaf, Julie Rocheleau et Arthur de Pins.

L'entrevue Réal Godbout:
De Ketchup à Kafka 
Après plus de sept années de travail, le dessinateur et coscénariste des « Red Ketchup », Réal Godbout, dévoile enfin son adaptation en bande dessinée du premier roman de Franz Kafka, L’Amérique (au départ appelé Le disparu). Si l’oeuvre originale est demeurée inachevée, il en va tout autrement du roman graphique de Godbout. Le bédéiste confirme avec cet album abouti qu’il est un artiste accompli. Cap sur L’Amérique, là où le talent n’a visiblement pas disparu.

Par Cynthia Brisson

L’Amérique ou Le disparu de Réal Godbout réussit l’exploit de faire tenir en moins de 160 planches le roman qui compte plus de 350 pages, tout en y demeurant fidèle, autant que faire se peut évidemment : « Le roman est inachevé et présente quelques incohérences. C’est un excellent roman, mais il est imparfait. À certains endroits, il manque carrément des bouts de l’histoire; certains personnages disparaissent soudainement sans qu’on sache ce qu’il advient d’eux. » Devant ce scénario décousu, l’auteur avait deux options : « J’aurais pu avertir le lecteur que l’histoire présentait des trous, mais j’ai finalement choisi d’ajouter quelques passages qui sont entièrement de ma fabrication. »
Inconditionnels de Kafka, avant de crier au scandale, comprenez qu’il ne s’agit pas ici d’une retranscription en images de l’œuvre dans son intégralité. Les dialogues ont d’ailleurs pour la plupart été entièrement remaniés. « J’ai cherché à être le plus fidèle possible au texte, mais je ne voulais pas non plus que ça ait l’air d’un roman illustré », se défend le bédéiste. L’objectif n’était pas non plus de vulgariser l’œuvre de Kafka pour la rendre plus accessible. « Elle n’en a pas besoin, tient à préciser Godbout. Mon but était simplement de réaliser une bonne BD. » Néanmoins, l’auteur a été très minutieux dans sa démarche, soucieux de respecter les descriptions données par l’écrivain originaire de Prague.

Chef-d’œuvre des temps modernes

L’album s’ouvre sur une représentation de la statue de la Liberté tenant un glaive (plutôt que la flamme qu’on connaît). Par ce petit détail mentionné par Kafka, Godbout annonce bien les couleurs de l’aventure : L’Amérique ne sera pas pour le protagoniste l’idyllique terre de rédemption. Le jeune Allemand débarque à New York, après avoir été chassé de la maison par ses parents, espérant pouvoir y refaire sa vie. Si sa première rencontre s’avère fortuite (un des riches passagers du navire dans lequel il voyage se trouve à être son oncle), une suite de quiproquos le renverra rapidement à la rue. 

Il en est de même chaque fois que le destin lui sourit et lui fait miroiter une vie meilleure; la malchance s’abat inévitablement sur Karl Rossmann, malgré son cœur vaillant et sa volonté de mener une vie rangée. « Ça dépend toujours de la façon qu’on le lit, mais il y a une certaine forme d’humour chez Kafka, un côté burlesque, voire absurde », explique Godbout. Il rappelle que le roman a déjà été par le passé comparé aux films de Charlie Chaplin. Il avoue d’ailleurs avoir revisionné Les temps modernes à l’occasion de la création de la BD.

Si on peut comparer l’atmosphère de L’Amérique ou Le disparu à l’univers de Chaplin, les ressemblances avec les précédentes séries du bédéiste sont quant à elles pratiquement inexistantes. Quoique... « À la base, l’histoire de Red Ketchup a été publiée sous la forme d’un feuilleton [dans les revues Titanic, puis Croc]. L’histoire est donc très condensée; l’action déboule et il y a toujours des punchs », se rappelle celui qui faisait équipe avec de Pierre Fournier. Il va de soi que Godbout avait cette fois-ci un peu plus de temps pour créer ses atmosphères. En même temps, 158 planches, c’est peu pour tout raconter et l’auteur n’a pas traîné les pattes. « Ce n’est pas trop mon style de m’éterniser sur un coucher de soleil pendant trois pages », avoue-t-il. 



Kafka, coscénariste de l’au-delà

Réal Godbout avait jusque-là fait équipe avec Pierre Fournier pour écrire les aventures de Michel Risque et de Red Ketchup. Cette fois, il a travaillé seul. « Je n’étais pas en solo : je travaillais avec Kafka! Mon coscénariste est simplement mort », nuance l’auteur.

Kafka a d’ailleurs coscénarisé une autre bande dessinée... En effet, L’Amérique a également pris vie sous la plume de Robert Cara et le crayon de Daniel Casanave, aux éditions 6 pieds sous terre. Le bédéiste québécois a pris connaissance de l’existence de cette adaptation européenne alors qu’il avait déjà commencé la sienne. Il a donc attendu d’avoir terminé son histoire avant de lire celle de ses condisciples, déclinée en trois tomes. « C’est très différent, précise-t-il. Loin de moi l’idée de comparer ou de dire que ma version est meilleure, mais une chose m’a tout de suite frappée : j’ai l’impression d’avoir réussi à raconter plus de choses. »

Il faut croire que Godbout a conservé son habitude des scénarios resserrés de l’époque de Croc. Voilà qui est bien heureux, car son récit a du rythme et on y reste accroché jusqu’à la toute fin... Si fin il y a. Rappelons que l’œuvre originale demeure inachevée. Cette fois par contre, le bédéiste a choisi de laisser tel quel le scénario : « Pour moi c’est une fin qui est satisfaisante ». On vous laisse le plaisir d’en juger.

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