vendredi 1 juillet 2022

Le CRTC ordonne à Radio-Canada de s'excuser

 Sur le site de la FPJQ.


La Fédération professionnelle des journalistes du Québec apporte son soutien à Radio-Canada et dénonce un dangereux précédent dans une décision majoritaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications ordonnant à la société d’État de s’excuser pour avoir cité en onde un ouvrage faisant partie du patrimoine de notre nation.

Dans une décision majoritaire rendue hier, le CRTC reproche à un chroniqueur du 15-18 d’avoir cité à quatre reprises le titre de l’œuvre phare de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique.

Ces mentions ont été faites dans le contexte d’un segment concernant le lancement d’une pétition pour exiger le renvoi d’une professeure de l’Université Concordia qui avait cité en classe le titre de cet essai, écrit en 1967, à propos d’une époque où la classe ouvrière francophone du Québec était « esclave » de l’élite anglophone.

La décision du CRTC fait suite à une plainte d’une personne qui condamnait « la mention du titre complet » du livre. 

L’ombudsman a rejeté la plainte en affirmant que Radio-Canada n’avait pas à bannir l’utilisation du terme dans tous les contextes, tout en appelant à l’utiliser de manière adéquate et responsable.

Le CRTC, de façon majoritaire, a plutôt estimé que la société d’État « n’a pas respecté la norme de programmation de haute qualité et n’a pas contribué au renforcement du tissu culturel et social ainsi qu’au reflet du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne ».

Pour la FPJQ, cette décision est un dangereux précédent qui impose aux médias une censure aussi exagérée qu’injustifiée.

« Sortir les mots de leur contexte, faire fi de leur histoire, de leur sens, de leur évolution dans leur usage pour ne garder qu’une seule vision obtuse ne fait qu’imposer une forme de censure déguisée en bienveillance. Il s’agit d’une vision simpliste qui, croyant faire le bien, n’est qu’une insulte à l’intelligence des gens et à la complexité de la langue », a déclaré le président de la FPJQ Michaël Nguyen.

Le journalisme n’est pas là pour plaire ou pour être complaisant, rappelle M. Nguyen. Le Guide de déontologie de la FPJQ indique d’ailleurs, dans ses valeurs fondamentales que les journalistes basent leur travail sur « l’indépendance qui les maintient à distance […] des groupes de pression ».

« Tout dialogue est sain pour une société, la confrontation des idées permet d’avancer collectivement. Ordonner de bannir l’utilisation d’un mot, peu importe son contexte, en ne se basant que sur un ressenti subjectif et arbitraire dénué de toute assise légale, c’est faire dériver la société dans une nouvelle Grande noirceur », ajoute Michaël Nguyen.

Tout comme l’a fait dans une opinion minoritaire la vice-présidente, radiodiffusion, du CRTC Caroline J. Simard, la FPJQ rappelle qu’il n’existe pas de droit de ne pas être offensé et que la liberté d’expression protège les journalistes dans leur droit de citer le titre d’un livre.

La FPJQ souhaite que l’affaire ne s’arrête pas là, afin que les journalistes puissent continuer à informer le public de façon fiable et sans entraves injustifiées.


AJOUT

« Radio-Canada ne doit pas s'excuser!  
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) exige des excuses publiques de Radio-Canada pour avoir "manqué de respect et de sensibilité" en diffusant une chronique dans laquelle le titre du livre de Pierre Vallières "Nègres blancs d'Amérique" (qui en était le sujet) a été cité.  
Radio-Canada doit rejeter cette injonction pour plusieurs raisons, la première étant l'intrusion d'un organisme réglementaire dans la politique éditoriale du diffuseur public. 
En invoquant l’article 3 de la Loi sur la Radiodiffusion qui dit essentiellement que le contenu présenté par la SRC doit être « de haute qualité », le Conseil interprète de manière complètement abusive son pouvoir d’intervention et bafoue littéralement l’indépendance éditoriale du diffuseur. 
Rappelons que le contenu de la chronique faisant l’objet d’une plainte avait, en 2020, été jugé « non-discriminatoire » par l'Ombudsman de Radio-Canada, ce que le CRTC reconnaît lui-même. 
Dans sa décision, l’Ombudsman avait alors estimé que la chronique respectait les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada (parmi les plus exigeantes, sinon les plus exigeantes au pays, en matière d’équité et de rigueur). 
Sur le fond, la mention du titre en ondes constitue un énoncé factuel qui a, de surcroît, une valeur historique. 
On ne peut passer sous silence le fait que le CRTC, par sa décision, nie l’histoire du Québec et, dans ce cas particulier, un épisode où des penseurs francophones du Canada et des Noirs américains se rapprochaient au nom d’une discrimination que l’on dirait aujourd’hui « systémique » et qu’ils estimaient partagée. 
Le CRTC fait lui-même la preuve de l'impossible contorsion linguistique qu'il voudrait imposer à Radio-Canada en oblitérant un mot d’un titre tout en le citant lui-même quinze fois dans sa décision où il reproche au chroniqueur et à l’animatrice de l’avoir prononcé quatre fois sur les ondes...  
Dans sa décision, le CRTC écrit que « les titulaires autorisés ont la responsabilité de diffuser des émissions conformes en tout temps aux normes établies par la société. ». 
Est-ce à dire que la liberté d’expression n’existe que pour les propos et contenus conformes aux normes sociales? 
Que Radio-Canada aurait donc l’obligation de diffuser des contenus qui vont dans le sens de l’opinion majoritaire et dominante? 
À notre avis, il s’agit d’une position indéfendable, contraire à l’idée même de liberté d’expression. 
Radio-Canada ne doit donc pas s’excuser et, tout en respectant ses propres normes, doit défendre sa liberté de jugement éditorial, notamment en en appelant de cette décision. 
Les bases juridiques d’un tel appel en Cour fédérale sont d’ailleurs très bien explicitées dans un des avis dissidents de la décision du CRTC, signé par sa vice-présidente, radiodiffusion, Caroline J. Simard. 
Celle-ci rappelle fort à propos l’avis de la Cour Suprême à l’effet qu’il n’existe pas au Canada un « droit de ne pas être offensé » 
Cette décision doit être portée en appel. »

Les signataires:

Guy Gendron, ex-ombudsman de Radio-Canada
Paule Beaugrand-Champagne ex-présidente du Conseil de presse du Québec
Claudine Blais, ex-rédactrice en chef à Radio-Canada
Luc Chartrand, ex-journaliste et correspondant de Radio-Canada
Pierre Craig, ex-journaliste et animateur de Radio-Canada
Bernard Derome, ex-journaliste et animateur du Téléjournal de Radio-Canada
Renaud Gilbert, ex-ombudsman de Radio-Canada
Geneviève Guay, ancienne directrice de l’information radio de Radio-Canada
Jean-François Lépine, ex-journaliste et animateur de Radio-Canada
Julie Miville-Dechêne, sénatrice indépendante et ex-ombudsman de Radio-Canada
Anne Panasuk, ex-journaliste de Radio-Canada
Claude Saint-Laurent, ex-directeur général de l’information (télé) à Radio-Canada
Alain Saulnier, ex-directeur général de l’information de Radio-Canada
Pierre Tourangeau, ex-ombudsman de Radio-Canada

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