samedi 5 avril 2014

« BD QC » dans Le Devoir

André Lavoie dans Le Devoir.

Arrière-fond de Thierry Labrosse

Paul, Michel Risque, Jérôme Bigras, Moréa, Red Ketchup : ce ne sont que quelques-uns des personnages d’un monde en pleine effervescence, celui de la bande dessinée québécoise. Ces figures en apparence banales, très caricaturales ou carrément provocantes, font la fierté de leurs créateurs et s’imposent de plus en plus dans un imaginaire longtemps dominé par les éditeurs américains, européens et japonais.

Comme on dit, « la game a changé », et les bédéistes québécois sont toujours plus nombreux à s’imposer sur la scène internationale et à garnir les étagères des librairies généralistes ou spécialisées. Cet engouement n’a pas échappé au réalisateur Denis Blaquière, maître d’oeuvre de la série documentaire BD QC sur les ondes d’Artv, un petit bijou en dix facettes sur autant d’artisans du neuvième art québécois. « Beaucoup de libraires nous disent que de plus en plus de gens qui achètent des romans n’hésitent plus à se procurer un roman graphique », précise le réalisateur avec enthousiasme le jour du lancement officiel de la série.

Cette impulsion des lecteurs risque de prendre de l’ampleur après le visionnement de BD QC, chaque épisode se consacrant à un seul créateur, qu’il s’agisse de Michel Rabagliati (la série Paul), de Thierry Labrosse (Moréa, Ab Irato), de Zviane (L’ostie d’chat) ou de Guy Delisle (Chroniques de Jérusalem). Si ces noms ne vous disent rien, leur bonne bouille vous sera bientôt familière, mais c’est surtout leur coup de crayon ou de pinceau qui n’aura plus de secret pour vous.

Denis Blaquière, longtemps aux commandes de plusieurs séries ou documentaires à caractère scientifique (Insectia, Du Big Bang au vivant, La poubelle province), manipule ici la haute technologie dans un but très précis. « Je voulais intégrer les bédéistes dans leurs propres cases, précise le réalisateur, également concepteur, et les plonger dans leur univers pour qu’ils nous parlent de leur oeuvre tout en étant dans l’oeuvre elle-même. » C’est ainsi qu’en compagnie de l’animatrice, Sophie Cadieux, dont les talents de comédienne sont aussi mis à contribution, les créateurs déambulent dans des décors qui leur sont familiers, un environnement d’une beauté souvent éclatante favorisant leur éloquence, et leur générosité. Le tout est exécuté sous l’oeil du magicien photographe Barry Russell, bien connu pour ses immenses portraits en noir et blanc qui tapissent les murs de Montréal.

Ces promenades semblent aller de soi mais, pour le réalisateur, elles constituaient un défi technique, et humain, bien particulier. Cette portion de chaque épisode représentait une journée de tournage d’environ 10 heures, « une journée sur fond vert ! », dit Denis Blaquière en rigolant. Pour éviter que cette quincaillerie un peu froide ne paralyse les bédéistes, la présence de Sophie Cadieux devenait essentielle, elle qui est « capable d’improviser, facile d’approche, agissant pratiquement comme une assistante-réalisatrice ». Ses inquiétudes sur la capacité d’adaptation de ces vedettes du neuvième art se sont vite dissipées. « Les bédéistes sont habitués d’interagir avec le public, dans les salons du livre par exemple. En faisant des documentaires, j’ai appris que tu tournes toujours avec des passionnés du sujet abordé : ça paraît à l’écran ! »

Ce qui brille également, c’est le soin méticuleux à construire cet écrin pour illuminer le caractère humaniste de la série des Paul de Michel Rabagliati, les visions futuristes de Thierry Labrosse, l’humour décapant de Jean-Paul Eid (avec le banlieusard Jérôme Bigras) ou la précision documentaire du globe-trotter Guy Delisle, toujours là où ça brasse, et où il est parfois difficile d’entrer, comme en Corée du Nord (Pyongyang).

Pour Denis Blaquière, non seulement sa série peut élargir un lectorat qui est loin d’avoir atteint son plein potentiel, elle arrive à point nommé. « Au moment de déposer notre projet, Artv en avait reçu d’autres, preuve que l’idée était déjà dans l’air. La situation de la bande dessinée québécoise, c’est un peu comme celle du cirque il y a 30 ans : quelque chose de formidable se passe dans ce milieu. » Toujours selon le réalisateur, il avait entre les mains la combinaison gagnante pour signer une série à succès, soit « des personnages truculents, des décors fantastiques et des créateurs sincères ». Tout cela entièrement fabriqué au Québec.

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