mardi 23 avril 2019

«Raoul Taburin a un secret», d'après l'oeuvre de Sempé

Véronique Cauhapé sur le site du Monde.



Le réalisateur Pierre Godeau signe une adaptation tendre, poétique et drôle de l’album éponyme, bien servie par les acteurs Benoît Poelvoorde et Edouard Baer.

Sempé a enfin trouvé au cinéma ses admirateurs respectueux et inspirés. 

Pour les nommer, le réalisateur Pierre Godeau et le scénariste Guillaume Laurant qui signent la première adaptation cinématographique réussie de l’univers du dessinateur. 

Raoul Taburin, le film, porte le même nom que le livre ; il en restitue la tendresse, la poésie et l’humour ; il en respecte la simplicité (apparente) et le sens du détail sur les petites situations de la vie quotidienne, les petites gens perdues dans la foule et l’étendue du monde.

Sempé n’a jamais caché ne pas avoir aimé les deux opus tirés des aventures du personnage qu’il a créé il y a soixante ans avec Goscinny, Le Petit Nicolas (2009) et Les Vacances du Petit Nicolas (2014), de Laurent Tirard. 

Aujourd’hui, il se dit au contraire fier et touché de ce Raoul Taburin qui sort en salle et dont l’écriture du récit paru en 1995 (Denoël) lui fut inspirée par son amour du vélo. 


On ne saurait lui donner tort. 

Le charme du film opère dès les premières minutes par la grâce d’une mise en place rigoureuse de tous les éléments qui composent une image et qui, sans maniérisme, parviennent à en révéler la beauté.

C’est une voix off qui donne le ton, impose le silence, et retient l’attention. Une histoire va nous être racontée. Une fable sur fond de réel, qui se passe quelque part au sud de la France, à une époque surannée, on ne saurait précisément dire laquelle. 

La voix est celle de Raoul Taburin (Benoît Poelvoorde), l’illustre marchand de cycles de Saint-Céron qui n’a pas son pareil pour détecter et réparer les dérèglements des bécanes. Au point que, dans les environs, on ne dit désormais plus un « vélo » mais un « taburin ».

Un long flash-back

Le génie du deux roues qu’auréole la gloire paraît pourtant bien sombre. La raison en est un secret qu’il cache depuis l’enfance. Sa réputation ? Une vaste imposture. 

Car Raoul Taburin n’est jamais parvenu à tenir en équilibre sur un vélo. 

Assis à la terrasse du café de la place, il voit les souvenirs lui revenir, depuis l’origine du mensonge dans lequel il s’est enfermé avant que les autres ne prennent le relais. 

Un long flash-back nous envoie à l’époque où tout a commencé. Quand le petit Taburin, comme le fils du boucher ou la fille de l’opticien, avait son avenir tout tracé. 

Son père était facteur. Il le serait aussi.

Le projet avait été cependant contrarié par cette prise de conscience qu’il ne parviendrait jamais à rester plus que quelques secondes sur une selle. 

Il avait alors fallu ruser, traverser le village, le corps amoché, et le vélo à la main, en faisant croire à des exploits réalisés à l’abri des regards. 

Le subterfuge avait fonctionné et lui avait taillé une image de héros. 

Adolescent, il avait souhaité avouer son secret aux femmes dont il était tombé amoureux. 

La première ne l’avait pas cru. La seconde, devenue sa femme (Suzanne Clément), l’avait devancé, lui demandant d’arrêter le vélo qu’elle jugeait trop dangereux. 

Une aubaine. 

La vie avait donc continué ainsi jusqu’à l’arrivée au village d’un photographe, Hervé Figougne (Edouard Baer), venu à Saint-Céron pour immortaliser « en situation » ses habitants. 


Pour Raoul Taburin, ce serait un cliché de lui en train de dévaler une des pentes abruptes de la montagne.

Laissons là, au récit, sa part de mystère que ne cultive d’ailleurs pas le film. 

Le propos se situant ailleurs, sur le thème du mensonge et de la façon dont on s’en arrange, de la perception que l’on a de soi et la représentation que les autres s’en font. 

Le sujet esquissé sur cent pages dans le livre de Sempé, s’est étoffé dans le scénario par l’apport de nouveaux personnages et l’approfondissement de certains épisodes. 

Puis il s’est fondu dans une mise en scène que Pierre Godeau a brodée en délicatesse, comme une politesse rendue à l’auteur dont s’inspire le film.

Effets spéciaux utilisés pour élever le vélo à hauteur d’un personnage qui ainsi chemine seul à côté de Taburin, bruitages conçus comme une partition (un son pour chaque bécane), douceurs pastelles en arrière-plan et teintes légèrement saturées sur les costumes et les acteurs, clins d’œil à Tati dans Jour de fête, à E.T., de Spielberg… introduisent par touches un raffinement qui, loin de la charger, travaille à l’épure de l’image. 

Dans ce cadre aux contours naïfs parfois, les acteurs n’ont pas d’âge. 

Enfant et adulte dans le même corps, ils jouent tour à tour la drôlerie, la fragilité, la mélancolie, la roublardise. En somme, les personnages de Sempé.





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