lundi 27 janvier 2014

FIBD d'Angoulême : au cœur de la Grande Guerre avec Tardi

Hélène Rietsh dans Sud Ouest.


Le festival présente « Tardi et la Grande Guerre », expo phare qui démarre les commémorations du centenaire de 1914-1918. Et raconte cette « putain de guerre », fondatrice du XXe siècle

C'étaient eux, « les petits soldats français sous un soleil de plomb, les pieds dans les champs de blé, la tête au champ d'honneur, la trouille au ventre et la merde au cul ».

Et c'est lui, Jacques Tardi, 67 ans, un des grands auteurs de la bande dessinée contemporaine, qui raconte avec des accents céliniens à nuls autres pareils la der des der.

Une vraie mine d'or dont s'est emparé judicieusement le Festival de la BD d'Angoulême. Elle lui permet de nourrir une grande expo, son expo phare, dit-on, et de démarrer avec force les commémorations du centenaire de 1914-1918 en France.

Pour Tardi le brocardeur d'institutions, peu importe le calendrier et peu importent les commémorations. Le père des « Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec », Grand Prix de la BD 1985, a fait de la guerre la colonne vertébrale de son œuvre, même si, à cette dernière, il préfère le vocable de « travail ». On lui laissera cette coquetterie.

En 1914, les types sont partis sur le terrain en pantalon rouge, déguisés en cibles

Entre un « Adèle Blanc-Sec » pour se détendre, « dans les périodes de régression », dit-il en rigolant, et l'adaptation d'un roman (« quand je lis un roman, je pense à l'adaptation, c'est presque maladif »), Tardi revient inlassablement à la guerre, et ça depuis plus de quarante ans.

Son dessin, noir et blanc ou couleur, nous amène au cœur des tranchées, dans le vif du sujet. On y voit des soldats pris dans les barbelés, « pauvre pantin séchant au soleil dans les cordes à linge », ou « pauvre empêtré, mort pour rien, qui pourrit entre les lignes », un visage de la France peu riant, décharge à ciel ouvert, dans la terre et la boue.

Une obsession pour cette période de l'histoire héritée d'une enfance marquée par la guerre. « Mon grand-père ! Mon grand-père ! » souffle Tardi, entre deux éternelles bouffées de cigarette. Ce grand-père corse, calme et doux, qui allait le chercher à la sortie de l'école. « C'était mon grand-père paternel. Mon grand-père maternel, lui, était resté sur le terrain, dans un trou d'obus. »

Dans le ventre d'un mort

Le souvenir, lui, est vivace, même si l'aïeul n'était pas très causant. Les récits impressionnants, il les doit à sa grand-mère. « Quand vous avez 5-6 ans, de savoir que son grand-père était tombé dans le ventre d'un mort, ça fait très peur. Même le mot “tranchées” était terrifiant. Avant même de savoir ce que c'était », confie Jacques Tardi.




En grandissant, il nourrit sa curiosité et surtout sa soif de comprendre, à renfort de documents, photos, témoignages de poilus, rares il y a plusieurs décennies. « Les Carnets de guerre de Louis Barthas » l'ont particulièrement marqué. L'ombre tutélaire de son grand-père ne le quitte pas. « Je me disais que ce type, qui marchait lentement parce qu'il avait été gazé et avait un problème au cœur dont il est mort, on l'avait armé, on l'avait déguisé, on aurait voulu en faire un guerrier. En était-ce un ? Il avait autre chose à faire de sa vie. Donc, tout ça, c'était scandaleux. »




États-majors incompétents

On l'a compris, le moteur de Tardi, c'est l'indignation.

Celui qui a refusé l'an dernier « avec fermeté » la Légion d'honneur, parce qu'il veut rester un « homme libre », ne le cache pas. Son indignation est toujours aussi grande.

Dans « C'était les tranchées », ou dans « Putain de guerre ! », les deux BD qui nourrissent principalement l'exposition angoumoisine, transpire « le scandale que représente cette guerre », « toutes les guerres ». En particulier à l'égard des « états-majors incompétents », ou de « ces connards dans des ministères grassement payés, qui ont envoyé des millions d'hommes au casse-pipe ». 20 000 morts par jour au début de la guerre.




Les exemples sont légion. La tenue du soldat, en août 1914 au début du conflit, en est un. Pantalons rouges (« grimpants garance »), gabardine bleue, « une entrée dans l'histoire grimé en comique troupier ». « Dans les années 1900, des observateurs allemands avaient déjà dit à l'état-major français : “Vos pantalons rouges, c'est pas terrible pour les soldats.” Il se passe une dizaine d'années et aucune décision n'est prise. En 1914, les types sont partis sur le terrain déguisés en cibles. » Ce qui préoccupe Tardi, c'est « comment on a pu manipuler les jeunes gens, entre 18 et 25 ans, partis parfois la fleur au fusil c'est vrai, mais qui ont vite compris qu'on serait pas à Berlin à Noël en 1914 ».

On a fusillé des types sur le bord de la route, parce qu'ils étaient épuisés

L'auteur de bande dessinée réussit admirablement à donner de la chair à son récit. On partage avec lui « la souffrance des gens ordinaires qu'on a mis dans une situation épouvantable ». C'est un peu comme si on allait jusqu'à sentir l'odeur effroyable des tranchées… « On a fusillé des types sur le bord de la route, parce qu'ils étaient épuisés. On ne leur donnait pas de chaussettes. Ça aussi, c'est criminel, d'une certaine façon. Il y a des gars qui ne pouvaient plus avancer dans leurs chaussures neuves, les pieds en sang, et paf ! Une balle dans la tête. »

Le détail, toujours le détail, indispensable. Car, même s'il n'est pas obsédé par le nombre d'obus au mètre carré, n'en déplaise à certains historiens, l'homme a soif de vérité. Ce n'est pas un hasard si Jean-Pierre Verney, 67 ans, spécialiste renommé de la Première Guerre mondiale, ancien chargé de mission au ministère de la Défense, est devenu son « sourcier » depuis près de trente-cinq ans. On lui doit le musée de la Grande Guerre du pays de Meaux, inauguré en 2011, qui abrite la dizaine de milliers d'objets sur la guerre qu'il a collectés, et qui servent inlassablement à Jacques Tardi de modèles.




« C'est sûr, je ne mets pas de kalachnikov à mes poilus », rigole Tardi. Le même souci d'authenticité l'anime dans l'écriture de « Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au stalag IIB ». Il en écrit actuellement le deuxième tome. Autre guerre, 1939-1945 - celle de son père -, petite ou grande sœur de l'autre, allez savoir.

« Je suis dans le trajet retour de mon père. Parti de Poméranie, j'ai déjà parcouru 2 000 kilomètres à pied », dit-il, complètement emballé. On a bien compris, Tardi n'a pas fait le tour de la question, persuadé de n'avoir montré qu'une face « microscopique de la catastrophe ». Qui commence en 1914 et s'achève d'une certaine façon en 1945.

Exposition « Tardi et la Grande Guerre »
du jeudi 30 janvier au dimanche 2 février
de 10 h à 19 heures
Vaisseau Moebius
121, rue de Bordeaux 
Angoulême

AJOUTS:







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire