Isabelle Dethan, Guilhem, Joël Parnotte, Mazan, Angélique Césano, Stéphane Servain et Eric Wantiez sont très inquiets de leur avenir. |
L’augmentation de leur cotisation retraite fragilise les auteurs de BD. Avec un revenu moyen de 1.000 € par mois, même ceux qui ont connu des succès d’édition s’inquiètent.
C’est la goutte d’eau qui va noyer beaucoup d’auteurs de BD. Le signe qui conforte Bruno Maïorana dans sa décision d’arrêter la BD. Un simple pourcentage qui change pour une cotisation retraite, et la majorité des dessinateurs, scénaristes et coloristes sentent la précarité les menacer.
Le statut d’auteur de BD oblige tous les professionnels gagnant plus de 8.000 € par an à cotiser au Raap (Régime de retraite complémentaire des artistes et auteurs professionnels qui regroupe aussi les photographes). Seule et unique caisse de retraite. Jusqu’à présent, « on avait le choix entre cinq classes de cotisation », détaille Isabelle Dethan. L’auteure des Ombres du Styx ou de Khéti, fils du Nil, vient de publier une lettre ouverte relayée sur Facebook par Mazan pour tirer la sonnette d’alarme.
Comme beaucoup de ses confrères, elle payait le minimum, soit 218 € par an pour avoir royalement droit à six points retraite par an. Mais le Raap, en décidant « unilatéralement, sans nous consulter » que la cotisation minimale serait maintenant de 8 % des revenus bruts, vient de multiplier par 15 ce qu’elle va devoir payer. « Cette année, j’aurais dû verser 3.000 € selon le nouveau mode de calcul », compte rapidement l’auteure angoumoisine, qui estime faire « partie de la classe moyenne de la BD ».
« Moi je gagne à peine 12.000 € par an, et j’ai déjà du mal à payer les 218 € de cotisation », s’angoisse Angélique Césano, coloriste. « Le revenu moyen d’un auteur de BD en France est en-dessous de 1.000 € par mois », précise Eric Wantiez, scénariste et fondateur de la maison d’édition Comme Une Orange. Lui aussi a publié une lettre ouverte sur sa page Facebook. « Et sur ces 1.000 €, on paie déjà 23 % de charges. » Du coup, les 8 % que demande le Raap deviennent une charge impossible à assumer pour la grande majorité des auteurs.
Les agriculteurs de la culture
« On est un peu comme les agriculteurs, reprend Eric Wantiez. On ne fixe pas le prix de notre production et on ne touche pas le bénéfice de notre travail. » « C’est une forme d’humiliation moderne, s’agace Bruno Maïorana. Le pire, c’est que les auteurs sont complices. Sous prétexte que nous sommes passionnés et qu’on prend du plaisir dans notre métier, on trouve des excuses à cette situation inexcusable. »
La chaîne de l’édition BD n’est effectivement pas à l’avantage des auteurs. « Au mieux, on touche entre 8 % à 10 % des ventes d’album, poursuit l’auteur de Garulfo et de D. Et encore, sur le prix de vente hors taxe. » Pour peu qu’il y ait un scénariste et un coloriste, ce pourcentage est à diviser en trois.
Pour Bruno Maïorana, « les éditeurs organisent l’affaiblissement de la profession ». « Ils préfèrent avoir 100 séries qui se vendent à 3.000 exemplaires chacune plutôt qu’un auteur qui vend à 300.000 exemplaires. » Derrière, il y a tellement de monde prêt à faire une BD que les auteurs aujourd’hui n’ont plus de marge pour négocier.
En deux décennies, la profession s’est paupérisée au point que certains doivent choisir entre « cotiser pour une complémentaire santé ou manger », illustre Bruno Maïorana. Lui-même, qui pourtant a été un des Angoumoisins à vendre le plus d’albums avec Garulfo, a dû se forcer à vendre des planches originales. « L’an dernier, ce que j’ai gagné ne me permettait pas de payer mes factures. » Celles de la vie courante, sans extra. Et quand il a dû s’arrêter de dessiner pendant trois mois à cause d’un problème d’yeux, c’est aussi ses planches originales qui ont servi d’assurance-maladie.
« Et pourtant, la BD rapporte plus à l’économie que la production automobile », affirme Mazan, auteur du dernier tome de Donjon. Après 20 albums dont quelques beaux succès, « je touche moins de 1.000 € de droits d’auteur par an ».
Le Snac (Syndicat national des auteurs compositeurs) a pris rendez-vous avec le Raap pour tenter de modifier ce changement de cotisation. Mais « nous ne sommes que 1.500 auteurs de BD professionnels en France, on ne pèse pas beaucoup », reconnaissent-ils. « Quand les taxis font grève, ils bloquent Paris. Nous, même si on manifeste, personne nous verra », ironise Bruno Maïorana. Certains imaginent déjà faire une grève des dédicaces pendant le FIBD. Mais ce sera déjà trop tard pour beaucoup.
Bruno Maïorana arrête la BD
Lui qui a grandi à Soyaux, qui vient d’un milieu ouvrier et qui connaît la valeur du travail a longuement mûri sa décision pendant un an et demi. Il vient d’achever le troisième et dernier tome de D - les deux premiers tomes se sont vendus à 45.000 exemplaires -, la série qu’il faisait pour Delcourt. Ce sera donc un collector, parce que ce sera son dernier. Bruno Maïorana a décidé d’arrêter la BD.
« Je dessine 15 heures par jour, sept jours par semaine et je gagne à peine 1.000 € par mois. Je ne peux même pas payer le resto à ma femme. » C’est pour elle qu’il a décidé de renoncer à son rêve et à sa passion. « La vie d’auteur de BD n’est pas compatible avec une vie normale. » Il regrette aujourd’hui que les éditeurs ne fassent plus la promotion de leurs auteurs. « Ils préfèrent éditer des blogueurs qui ont déjà un public plutôt que de défendre des projets qui méritent d’être défendus. »
Il ne laisse pas tomber le dessin pour autant. « Je me forme à la couleur pour pouvoir faire des illustrations et je ferais aussi du dessin publicitaire. » La dernière page de D, il l’a achevée en décembre. « J’ai déjà une meilleure vie depuis six mois. Je dis j’arrête mais je ne dis pas que je n’en referai jamais. Si Alain Ayroles [NDLR: scénariste de D et Garulfo] me propose un beau scénario et que je suis bien payé, je m’y remettrais. »
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