JOL Press : Comment dessine-t-on le conflit israélo-palestinien ?
Michel Kichka: Dans les dessins de ce conflit installé dans la durée, je critique toujours les deux parties en présence. Appartenant au Camp de la Paix en Israël, mes opinions sont claires, mes critiques sur la politique israélienne franches. Car il est important pour moi de montrer que ma liberté d’expression est totale, qu’Israel est et reste une démocratie, quoi qu’on en pense, avec ses qualités et ses défauts. Je dénonce toujours les deux côtés. Mon cœur est du côté israélien et je l’assume pleinement. Ceci dit, je sens que mes dessins sont parfois un complément d’information pour un lectorat français, moins averti et moins bien informé.
Que pensez-vous de la couverture médiatique en France de l’escalade des tensions entre Israël et le Hamas ?
D’une manière générale dans la couverture médiatique du conflit en France, la balance penche du côté palestinien. Ce n’est un secret pour personne je pense. Ce qui engendre un manque d’équité dans les reportages. En ne se fiant qu’aux médias français il est difficile d’avoir une vision claire et juste des événements. La présence, parfois violente, du conflit israélo-palestinien dans l’espace public en France, son importation dans la radicalisation inter-communautaire, le libération de la parole raciste, xénophobe, antisémite et islamophobe sur les réseaux sociaux comme ailleurs, et les actes qui s’en suivent parfois, allant jusqu’à des assassinats, crée un climat de tension disproportionnée. La haine se libère dans toute son horreur et est difficilement contrôlable. C’est à travers cette grille de lecture que le conflit est perçu en France.
Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez lorsque vous abordez le conflit israélo-palestinien dans votre travail ?
Les principaux obstacles sont comment dessiner différemment des événements qui se reproduisent dans le temps, une situation qui stagne ou dégénère, des crises et des confrontations qui se suivent et se ressemblent. Par ailleurs le conflit exacerbe et fatigue le public et il faut parfois faire preuve de beaucoup d’inventivité pour y apporter un regard renouvelé.
Vous arrive-t-il de vous autocensurer sur ce sujet ? Et en général ?
L’auto-censure en général est un outil dont nous nous servons tous dans notre travail de dessinateur éditorialiste. Elle est quelque part la boussole de notre conscience. Si tout était toujours permis, si on ne se donnait aucune limite, on perdrait en sophistication et en intelligence. Notre travail est le résultat d’une réflexion intérieure, on veut tous faire des images fortes, qui marquent les esprits, mais la retenue est plus efficace que pas de retenue. À force de crier « Aux loups !! » tous les jours, plus personne ne vous écoute quand les loups arrivent. Donc, sur ce sujet comme sur les autres j’ai ma règle de conduite que je définirais par : limite du bon goût, amour de l’Homme, tolérance et humour. Ce sont des valeurs partagées par mes collègues de Cartooning for Peace.
Quels sont les principaux tabous auxquels vous êtes confrontés dans votre travail ?
Il y a moins de tabous que ce qu’il semblerait. Le tabou principal dans tout le monde occidental est le Politiquement Correct, une chape de plomb qui pèse sur notre liberté d’expression et que les dessinateurs trouvent souvent les moyens de contourner. Personnellement je ne supporte pas les dessins antisémites qui répètent des modèles d’un passé finalement pas si lointain. La raison principale en est certainement due au passé de mon père, rescapé des camps de la Mort où il a perdu toute sa famille.
Selon vous, peut-on rire de tout ?
Idéalement, on devrait pouvoir rire de tout. Mais on a tous compris que ce n’est pas possible, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. A cela j’ajouterai deux choses. Je ne considère pas que mon travail de dessinateur est de faire rire. Je ne suis pas un amuseur. J’espère que mes dessins font réfléchir et réagir tout en suscitant un sourire au passage. Et finalement, le cartooniste d’aujourd’hui devrait avoir le même espace de liberté que le fou du roi, dans les cours d’antan. Et si cet espace ne nous est pas octroyé, si il nous est limité, c’est à nous de le reconquérir !
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