Hergé, Franquin, Tardi, Giraud…tout le monde connaît ces grands noms de la BD et leurs univers forts, mais ce qui a permis de mieux les redécouvrir, ce sont, entre autres, les livres d’entretiens réalisés par Numa Sadoul avec ces auteurs. Rencontre avec un touche-à-tout du monde culturel, capable aussi bien de mettre en scène des pièces de théâtre, d’opéras, d’écrire des romans, des essais ou des scénarios BD. Bref, un pionnier qui a su démocratiser le neuvième art par ces travaux universitaires, articles et entretiens. Quand la BD demeure un art majeur.
Bonjour Numa, et si vous nous racontiez vos meilleures rencontres pour vos entretiens BD?
De la première (Hergé à Nice en 1970) à la dernière (Uderzo à Paris le mois dernier), toutes ces rencontres ont été bonnes, profitables, enrichissantes, et la plupart cordiales. Certaines ont été bizarres, comme celle de Roba au lendemain d’une cuite, l’interviewer couché sur le canapé du Maître avec un sac de glace sur la tête, le Maître prenant de soin de lui tel un infirmier attentif, entre deux questions.
Certaines ont été un peu froides, avec Sempé par exemple, ou carrément hostiles, avec Cuvelier (qui est ensuite devenu l’un de mes plus chers amis). Mais les autres ont marché sans problème et ont globalement débouché sur des relations amicales réelles. Mais évidemment, avec Franquin, avec Gotlib ou avec Giraud, c’est allé plus loin.
Vous avez publié un album sur les auteurs de presse en BD en 2014, album prophétique sur la liberté de la presse?
Pas prophétique. La liberté de la presse, la liberté d’expression en général était déjà très inégalement comprise ici ou là. Il se trouve seulement que cette thématique des attentats et de la terreur islamiste était au cœur du livre, et que 3 de ses auteurs – sur 8 – ont été massacrés moins d’un an plus tard…
De par vos entretiens et publications, vous avez démocratisé le monde de la BD, êtes-vous d’accord avec ça?
Pas complètement. Je n’étais pas seul. Ni le premier. Je suis seulement arrivé à un moment où la civilisation opérait une mutation, et je pense que c’est surtout par mon travail universitaire, un des tout premiers en 1970, que j’ai aidé à faire évoluer les choses dans le bon sens, en donnant une caution « culturelle » ou « sérieuse » à ce qui n’était pas encore bien considéré dans les sphères intellectuelles.
Vous avez un parcours très polyvalent dans le monde culturel, vous avez publié des romans, des essais et des entretiens BD, vous avez mis en scène des opéras, des pièces de théâtre, vous enseignez…pourquoi cette boulimie culturelle?
Je suis né comme ça, c’est ma chance et mon handicap. Dès l’enfance, mes dispositions artistiques explosaient et touchaient à tout. Je suis monté sur scène entre 3 et 4 ans, et savais alors que ce serait une grande part de mon existence. J’ai écrit mes premiers poèmes à 7 ans, et aussi déjà des espèces de « romans » qui ne ressemblaient pas à grand-chose.
L’opéra, la musique m’ont happé dès que mes oreilles en ont entendu. À tel point qu’à 3 ans mes parents m’ont acheté un violon et un prof italien qui allait avec. Mais ce sauvage criait et me tapait sur les doigts sans cesse, alors j’ai vite renoncé au violon et à la musique. En fait j’étais dans mon élément quand il s’agissait de création, quelle qu’elle soit. Et j’ai eu la chance d’avoir des parents compréhensifs. C’est ce qui explique ma passion pour le processus créatif des auteurs et mon envie de les faire parler à ce sujet.
Quand je dis que c’est mon handicap, c’est pour dire combien il m’a été difficile de naviguer entre tous ces genres contradictoires et d’y creuser mon sillon. D’une part, parce que le « touche à tout » est mal vu par ici. D’autre part, à cause de la dispersion qui m’empêche de me consacrer à fond à une activité.
Quand je dis que c’est mon handicap, c’est pour dire combien il m’a été difficile de naviguer entre tous ces genres contradictoires et d’y creuser mon sillon. D’une part, parce que le « touche à tout » est mal vu par ici. D’autre part, à cause de la dispersion qui m’empêche de me consacrer à fond à une activité.
Pour vous, la BD, un art toujours mineur? Face à l’opéra, au théâtre, au roman…
Pour moi, il n’y a pas d’art « mineur ». Je vois même une contradiction absolue entre ces deux termes : art et mineur. L’art est majeur, peu importe la forme qu’il prend pour s’exprimer.
Vous avez fait du cinéma, pour vous, quelles sont les meilleures adaptations BD au cinéma ces dernières années?
J’ai fait peu de cinéma. Le travail d’acteur ne m’attire pas devant la caméra. En revanche, j’aurais adoré réaliser un film. J’ai peu vu d’adaptations BD au cinéma, j’avoue que je n’en suis pas fan. Je connais très mal les super-héros américains. Astérix par Chabat ou Astier, Le bleu est une couleur chaude par Kechiche OK.
J’ai fait peu de cinéma. Le travail d’acteur ne m’attire pas devant la caméra. En revanche, j’aurais adoré réaliser un film. J’ai peu vu d’adaptations BD au cinéma, j’avoue que je n’en suis pas fan. Je connais très mal les super-héros américains. Astérix par Chabat ou Astier, Le bleu est une couleur chaude par Kechiche OK.
S’il y a pléthore d’adaptations BD au cinéma ou à la TV (Le Marsupilami, Lucky Luke, Quai d’Orsay, Boule et Bill, le Petit Nicolas…), n’est-ce pas dû à la pauvreté scénaristique actuelle (en gros, on préfère adapter des valeurs sûres en BD pour ne pas prendre de risques inconsidérés en terme de production…)?
Oui, bien sûr, et ce sont les Ricains qui ont lancé le bazar.
Vous avez fait des entretiens avec ces monstres de la BD que sont Tardi, Moebius, Franquin, des créateurs à l’univers fort, pouvez-vous nous décrire les différentes phases graphiques de leurs carrières?
Trop long pour que je le développe ici. Trop difficile pour que j’y réfléchisse. En gros, pour être schématique (mais tant pis !), je vois les choses comme ça : l’évolution graphique de Franquin a été d’une ligne presque « claire » à une profusion incroyable ; pareil pour Gir, à l’inverse de Moebius qui a évolué de l’efflorescence à l’épure; Tardi, lui, a toujours été dans son style, de manière assez constante.
De par vos entretiens BD, vous vous êtes essentiellement intéressé à la BD franco-belge, et les comics et les mangas?
C’est vrai, je me suis en quelque sorte spécialisé. En grande partie parce que, durant toutes mes premières années, j’évoluais dans ce milieu franco-belge et que le travail dans les magazine Glénat tournait sur cet axe. J’ai toujours été moins sensible aux comics. Les mangas m’intéressent davantage, mais c’est plus récent pour moi.
Vos derniers coups de coeur en BD? Séries BD, albums, auteurs…
J’en lis tous les jours, et j’ai des coups de coeur tous les jours. J’ai été très impressionné par le Choc de Colman et Maltaite, bouleversante introspection qui transcende le genre BD, ou par la série Magasin Général de Loisel et Tripp, épopée qui brosse le panorama d’un pays et d’une époque en 9 volumes.
Des projets BD pour le futur (sachant que vous avez déjà publié des albums BD) ou des projets d’entretien?
Je n’ai jamais vraiment eu la fibre d’un scénariste. En entretiens, j’ai les éditions « définitives » et mises à jour de Moebius/Gir, Franquin, Hergé et Uderzo à paraître d’ici un an. Pas de nouveauté en perspective. Pas le temps, à vrai dire.
Propos recueillis par Dominique Vergnes
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