lundi 24 avril 2017

Jean-Luc Mélenchon, dessinateur de presse

Pierre Pauma sur le site de Rue89.


On connaissait Jean-Luc Mélenchon le journaliste, qui a sévi dans les colonnes des Dépêches du Jura entre 1976 et 1977 sous le pseudonyme de Jean-Louis Mula.

Si l’anecdote a plusieurs fois été évoquée par l’intéressé, on connaît moins une autre corde que le jeune Jean-Luc Mélenchon avait à son arc, celle de dessinateur de presse. 

Sous le pseudonyme de Moz, il a joué du crayon dans le journal de la fédération socialiste du Jura et, plus surprenant, dans un hebdomadaire catholique.

Dans la dèche à Lons

Au milieu des années 70, Jean-Luc Mélenchon s’est déjà forgé une réputation de fort en gueule chez les lambertistes – le courant impulsé par Pierre Lambert – avant d’être radié de l’OCI (Organisation communiste internationaliste). 

Mais le militantisme, ça ne nourrit pas son homme. Marié et jeune père, le futur candidat à l’élection présidentielle vit à Montaigu, près de Lons-le-Saunier, et vivote grâce à des petits boulots.

Nous sommes en octobre 1976, et Jean-Luc Mélenchon vient de perdre son job de surveillant dans un lycée. Fraîchement encarté au Parti socialiste, le jeune homme de 25 ans fait son entrée aux Dépêches du Jura comme pigiste.

Outre la nécessité de manger, son ami Jean-Claude Barbeaux reconnaît dans la biographie « Mélenchon le plébéien » que cette reconversion professionnelle n’est pas dénuée de passion militante : 
« On avait pour objectif de rééquilibrer la balance d’une presse locale très à droite. Mais le PCF nous traitait sans cesse de journalistes à la solde du grand capital ! »

Le trait qui hésite

Un an plus tard, Jean-Luc Mélenchon lance son propre journal avec la fédération socialiste locale. Le premier numéro de La Tribune du Jura fait son apparition dans les kiosques le 12 novembre. 

Directeur du journal : Jean-Luc Mélenchon. Parmi les rédacteurs : Jean-Louis Mula. Et parmi les dessinateurs : Moz.

Le trait tremble, on sent la typographie hésitante, mais un bon dessinateur de presse n’est pas forcément un grand graphiste.

Dans les colonnes du mensuel socialiste qui lui permet de se verser un petit salaire, Jean-Luc Mélenchon reprend les canons du dessin de presse de gauche. 

Son favori ? Le patron en costume trois pièces avec le haut de forme en option qui, selon les articles, sous-paye des travailleurs handicapés, ferme son usine ou bien s’engraisse en rachetant plus petit que lui.



L’expérience de directeur de journal tourne court : en avril 1978, après six numéros et une défaite de son camp aux législatives (aucun député de gauche n’est élu dans le Jura), La Tribune du Jura annonce une pause dans sa publication. Elle sera définitive.

Un laïcard chez les bigots

Mais au mois de mai 1978, Moz réapparaît dans un autre journal local, hebdomadaire cette fois-ci. Et catholique ! Fondée en 1862, La Croix jurassienne existe toujours sous le nom de La Voix du Jura

Jean-Luc Mélenchon le dessinateur y publie les « actualités indiennes », une série de strips en trois cases où des Indiens discutent de politique. Parmi les sujets abordés : la trahison, la difficile paix des chefs ou les promesses non tenues.


L’ensemble fait penser à une version primitive de l’excellent « Silex and the City », bande-dessinée de Jul



Malheureusement, nous ne saurons pas à quelles actualités réelles faisaient référence les dessins, l’intéressé n’ayant pas répondu à notre sollicitation.

Dans sa biographie, Jean-Luc Mélenchon affirme être en très bon termes avec le directeur du journal, du genre « paternaliste » avec lui. Il le conduisait même aux imprimeries à Dole quand il s’occupait de La Tribune du Jura (Jean-Luc Mélenchon n’a jamais eu le permis). Mais la carrière de Moz tourne court : 
« Lorsqu’une place se libère au sein de la rédaction de La Croix du Jura, il est donc quasiment sûr de décrocher le poste : “Je savais tout faire ! Je me dis, c’est bon pour moi ! Je suis sorti de la merde, je vais pouvoir vivre, bouffer...” Hélas, le type me répond : “Problème idéologique.” Principal différend : sa position en faveur de l’avortement. Ce non est une grande désillusion [...] “Tout s’écroulait, pas moyen de sortir du piège à rats dans lequel j’étais”, enrage-t-il des années après. »

Le Citizen Kane du 91

C’est sur cet échec que Jean-Luc Mélenchon quitte les prairies franc-comtoises pour le béton de Massy, dans l’Essonne. Il entame sa carrière politique comme directeur de cabinet du maire de l’époque, Claude Germon.

Mais l’homme de médias ne s’efface pas complètement. Il fonde plusieurs radios libres (et lance les carrières d’Arthur et de Didier Porte !) dans le 91, ainsi qu’une chaîne de télé intitulée Télé Zola et le périodique Données et arguments, qui existe encore aujourd’hui sous le nom de À gauche, l’hebdomadaire du Parti de Gauche.

Aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon est passé de l’autre côté de la tribune et se fait croquer à son tour. Et si un dessin de presse est un « coup de poing dans la gueule », selon la formule de Cavanna, Jean-Luc Mélenchon riposte bien mieux avec sa gouaille qu’avec son crayon. 




Plantu en a fait les frais en 2011, quand il avait publié une caricature de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon lisant le même discours intitulé « Tous pourris » : Mélenchon avait parlé d’un « odieux amalgame ».

Depuis, un autre jeune loup, Jean Sarkozy, s’est essayé lui aussi à la caricature politique. Le résultat n’a pas de prix.




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