vendredi 28 octobre 2022

Claude Cloutier, cinéaste d’animation

Sur le blogue de l'Office national du film.


À l’occasion de la Journée mondiale du cinéma d’animation, le 28 octobre, onf.ca vous offre le tout nouvel opus de Claude Cloutier, Mauvaises herbes (2020). 

Gagnant du Prix du public de la compétition internationale aux Sommets du cinéma d’animation de Montréal, ainsi que de plusieurs autres prix dans de nombreux festivals, notamment à Calgary, New York et Los Angeles, ce court métrage est le 14e film du cinéaste, qui s’est d’abord fait connaître comme bédéiste au début des années 1980.


Le bédéiste

Au début des années 1980, Claude Cloutier commence à publier, dans les pages du magazine satirique Croc, ses premières planches sous le titre La légende des Jean-Guy. 

De 1982 à 1987, le lectorat du défunt magazine suit, sous forme de feuilleton, les péripéties des personnages d’un royaume enchanteur, imaginés par le bédéiste. 

Ce royaume, qu’on appelle aujourd’hui Longueuil, est peuplé par une horde d’animaux étranges, les Jean-Guy, qui se nourrissent de « Kraft Dinner » sauvage et dont les deux principales activités sont la culture et le sexe. 

On y retrouve également le vilain Maurice Papineau, homme d’affaires sans scrupules et régent du royaume, Gino l’extraterrestre, Dieu Ouelet et Lucifer Proulx. 

Le succès est immédiat et s’explique par la qualité des dessins et l’humour absurde dont fait preuve le jeune bédéiste dans ses textes. 

Cloutier est rapidement propulsé à l’avant-scène de la BD québécoise. La légende des Jean-Guy, publié sous forme d’album en 1995, puis réédité en 2015, est maintenant considéré par beaucoup comme un classique. 

Il est également l’auteur des aventures de Gilles la Jungle, qui paraissent en 1984 dans les pages du magazine Titanic, puis également sous la forme d’un album quelques années plus tard.


Le cinéaste d’animation

Malgré ce succès, le bédéiste espère autre chose. Il caresse le rêve de devenir cinéaste d’animation. 

L’appel vient d’Yves Leduc du Studio d’animation de l’ONF en 1986. Le producteur lui propose de réaliser un film inspiré de La légende des Jean-Guy. Cloutier accepte avec enthousiasme et commence à travailler sur son projet. 


Cela donnera Le colporteur (1988), dans lequel on retrouve des Jean-Guy, bien sûr, mais aussi Dieu Ouelet, ainsi que Maurice Papineau en vendeur itinérant de parapluies pour le moins insistant. 

Le cinéaste conserve le même style de dessin pour ses personnages, mais pousse plus loin l’univers visuel de sa bédé, une possibilité que lui offre le cinéma. 

Il abandonne aussi les dialogues, une pratique qui s’avérera une constante dans son œuvre. 

Le film est sélectionné en compétition au prestigieux Festival de Cannes dans la catégorie Courts métrages.


Les droits des enfants

Au début des années 1990, il réalise une des cinq bandes-annonces du Festival international d’animation d’Ottawa et anime quelques séquences dans les films de ses camarades cinéastes du Studio d’animation de l’ONF, comme Les miroirs du temps (1990) de Jean-Jacques Leduc et Voir le monde (1992) de Francine Desbiens, avant de s’attaquer à sa deuxième œuvre, Overdose (1994). 


Le film est une commande et fait partie de la série Droits au cœur, inspirée par l’article 31 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. 

Bien que le sujet soit, cette fois, plus sérieux (le cinéaste ayant le mandat de mettre en images le droit de l’enfant au repos et aux loisirs), le film reste lumineux, possède un côté ludique et conserve une certaine forme d’humour. 

Mais, par-dessus tout, le cinéaste réussit à dire beaucoup en peu de temps (le film fait à peine plus de cinq minutes) et à dénoncer avec brio le surmenage chez les enfants.


La science

À la fin des années 1990, le Studio Animation/Jeunesse du Programme français lance Une minute de science, svp ! (1998-2001), une série de 26 capsules, qui, en 60 secondes chacune, expliquent des phénomènes et des découvertes scientifiques. 

Drôle, ludique, éducative, la série, qui mélange habilement images d’archives et dessins animés, connaît un énorme succès et s’inscrit tout à fait dans le style de Cloutier. 

Il anime et scénarise d’ailleurs plusieurs capsules et réalise cinq d’entre elles, dont La glace glisse (1999) et Le moteur à explosion (2000).


Tout en collaborant à cette série, le cinéaste travaille également sur un projet de film plus personnel, Du big bang à mardi matin (2000). 

Bien que le ton du film et la technique de dessin utilisée (un style et des couleurs de dessins qui évoquent l’aquatinte, un procédé complexe de gravure à l’eau-forte) soient fort différents, il s’inscrit dans la lignée des 26 capsules dont nous venons de parler par son thème : la science. 

Cette fois, Cloutier nous ramène aux premières formes de vie sur Terre, il y a plusieurs millions d’années, pour nous entraîner dans la grande aventure biologique de l’humanité. 


Il va des créatures marines aux créatures terrestres, aux primates, en passant par les dinosaures et les oiseaux, jusqu’à l’homme moderne, qui, inéluctablement, sera, un mardi matin, coincé dans le trafic ! 

Une série de métamorphoses, qui n’est pas sans rappeler les images de Mauvaises herbes, réalisé 20 ans plus tard, illustre ces transformations. 


La richesse des dessins, les petites touches d’humour, la musique poignante et solennelle de Pierre Desrochers, interprétée par l’Ensemble cinématique, font de ce film une véritable réussite.


Le succès d’Isabelle

En 2007, le cinéaste revient avec une adaptation complètement folle d’un conte de Perrault, La Belle au bois dormant, qu’il intitule Isabelle au bois dormant


Avec ce film, il renoue avec l’univers déjanté et l’humour absurde de ses bandes dessinées, pour le plus grand bien du public ! 

On sent que le cinéaste s’éclate, retrouve la fougue, pour ne pas dire la folie, qui caractérise ses premiers dessins. 

Il s’approprie l’univers des fables et des contes, le transforme, le caricature, avec beaucoup d’humour et d’intelligence. 

Son prince travaille chez SOS Prince inc. et se déplace sur un cheval qui est plus enclin à faire le pitre devant la caméra qu’à secourir la dulcinée de son maître ! 

Le palais de sa princesse ressemble à un duplex du Plateau-Mont-Royal ! Le balai de sa sorcière est raccordé à un aspirateur ! 

Cloutier multiplie aussi les clins d’œil à des figures et des œuvres connues (John Wayne, Sigmund Freud, le prince Charles, devenu depuis peu le roi Charles III, La Joconde, les peintures de Picasso, les statues de l’île de Pâques, le Bonhomme Carnaval !). 

Il enrichit ses dessins de moult détails rigolos (les cadres sur les murs, les poteaux électriques, les panneaux de signalisation, les arbres). 

Bref, tout est pensé, dessiné, devrais-je dire, pour nous faire rire. 

Le film connaît un énorme succès. Il reçoit plus d’une vingtaine de prix, dont celui du meilleur court métrage d’animation à la 10e soirée des prix Jutra en 2007. 

Il est, à ce jour, un des films les plus vus sur onf.ca.


Dans les tranchées de la Grande Guerre

Le film suivant joue sur un tout autre registre. 

Avec La tranchée (2010), le cinéaste nous propose cette fois une œuvre plus sombre, plus grave. 


Inspiré par l’expérience de son grand-père, qui a fait la guerre, il nous entraîne dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, où, trop souvent, la seule issue possible était la mort. 

Il nous fait vivre, à travers le regard d’un jeune soldat, toute l’horreur des combats. 

Afin de donner plus de réalisme à ses images, il utilise la rotoscopie, une technique d’animation qui consiste à transformer des images réelles, tournées préalablement, en dessins animés. 

Pour ce faire, le dessinateur place une feuille sur une image et calque son contenu. 

Pour son film, Cloutier a recours à des images d’archives de la Grande Guerre, tournées entre 1916 et 1918, précieusement conservées dans les salles de conservation de l’ONF. 

Le résultat est saisissant. La tranchée est un film fort et troublant.


Que sera, sera

Après avoir réalisé Interférence (2014) à l’extérieur de l’ONF, un court film de la série Libérez Jafar Panahi, en soutien au cinéaste iranien emprisonné dans son pays, Cloutier se penche sur la toute-puissance de l’industrie pétrolière, sur notre fascination pour les grosses cylindrées et sur notre insouciance face aux dangers pour notre planète de la pollution automobile avec Autos Portraits (2015). 


« Que sera, sera. Whatever will be, will be. The future is not ours to see. Que sera, sera », chantent les grosses voitures américaines des années 1950 de son film. 

Dans un style qui évoque la grande époque des comédies musicales hollywoodiennes, le cinéaste utilise la satire pour éveiller les consciences.

Figure de proue de la BD québécoise dans les années 1980, Claude Cloutier est vite devenu un cinéaste d’animation incontournable dans les années qui ont suivi. 

Son œuvre compte 14 films, si on inclut la bande-annonce qu’il a réalisée pour le Festival international d’animation d’Ottawa en 1990. 

Depuis plus de 35 ans, il travaille au Studio d’animation du Programme français et agit comme mentor auprès de jeunes cinéastes.

Découvrez la plupart de ses films ici.

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