C'est avec tristesse que j'ai appris aujourd'hui le décès de Pascal Élie, caricaturiste au Devoir, qui souffrait depuis longtemps de la maladie de Parkinson.
Diplômé en arts visuels et en droit, il avait quitté, en janvier 1998, son emploi chez un éditeur juridique pour devenir caricaturiste à temps plein, déclenchant ainsi la pire tempête de verglas de l’histoire du Québec.Depuis, il avait dessiné pour The Gazette, La Presse, Les Affaires, Le Journal du Barreau, Profession Santé, Le Trente et plusieurs autres publications.
Bref, tout le destinait à aboutir, en juin 2016, au «plus meilleur» des journaux, Le Devoir, où il dessinait trois caricatures éditoriales par semaine.
«Pascal Élie, le rire avant tout» dans Le Devoir
Reconnu pour son « approche graphique très personnelle », il s’est taillé une place de renom parmi ses « complices » québécois en misant sur la dimension « humoristique » du dessin de presse.
« Je perds aujourd’hui un ami, mais je perds aussi un confrère », a confié au téléphone le caricaturiste de La Presse, Serge Chapleau.
Depuis quelques années, il avait fait de ses discussions téléphoniques avec Pascal un rendez-vous quotidien.
« Je perds aujourd’hui un ami, mais je perds aussi un confrère », a confié au téléphone le caricaturiste de La Presse, Serge Chapleau.
Depuis quelques années, il avait fait de ses discussions téléphoniques avec Pascal un rendez-vous quotidien.
Exerçant un métier « solitaire », les deux amis aimaient se raconter leurs idées, parler de technique de dessin ou de leur vie de famille.
« Ce n’est pas quelqu’un qui avait une rivalité professionnelle, de la jalousie. […] Si on veut chercher l’incarnation de la définition du gentleman, on a juste à mettre une photo de Pascal », a dit le directeur du Devoir, Brian Myles, un ami de longue date du caricaturiste.
C’est d’ailleurs M. Myles, alors fraîchement nommé directeur du Devoir, qui a choisi en 2016 Pascal pour succéder à Michel « Garnotte » Garneau, comme caricaturiste à temps plein.
« Pascal était déjà un caricaturiste connu qui travaillait pour [le quotidien montréalais anglophone The Gazette] comme collaborateur régulier.
C’est rare pour un caricaturiste d’être capable de travailler des deux côtés de la frontière linguistique. Pascal était capable de comprendre les codes, les subtilités du public de la Gazette, puis il a nagé comme un poisson dans l’eau dans les subtilités du Québec francophone », a souligné Brian Myles.
« Savoir dessiner, c’est une chose. Faire un gag, c’en est une autre. Mais faire un gag avec le référent culturel pour le public, c’était un attribut élevé. »
« Son dernier dessin pour nous, alors qu’il était malade, c’est un beau clin d’oeil », selon Brian Myles.
Après avoir jeté de la soupe sur les Tournesols de Van Gogh, deux militantes environnementalistes se retrouvent, sous les traits de Pascal, face à une boîte de soupe de Campbell peinte par Andy Warhol.
« Il faut avoir des référents culturels pour comprendre les écologistes qui sont pris dans le piège de l’arroseur arrosé », a reconnu M. Myles.
« Celle-là est vraiment exceptionnelle », a estimé Chapleau, qui « regrette encore aujourd’hui [de ne pas lui avoir envoyé un] courriel pour lui dire : “Génial”. C’était très beau. »
« Une consécration »
Né en 1959, Pascal a été un « éternel pigiste ». Diplômé en arts visuels et en droit, il est passé par Le Journal du Barreau, The Gazette, et a collaboré à La Presse, aux Affaires, aux hebdomadaires de Transcontinental ainsi qu’au magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Le Trente.
« Quand [Pascal] a obtenu ce poste-là [au Devoir], il était complètement éberlué. C’était sa première job permanente », a rappelé Marie-Andrée Chouinard, rédactrice en chef.
« Puis Le Devoir, ce n’est pas rien. C’était le journal qui était vénéré par ses parents. Je ne veux pas avoir l’air d’exagérer les choses en disant ça, mais travailler au Devoir c’était une consécration, une grande fierté pour lui, autant que pour nous d’ailleurs », a renchéri Brian Myles.
« Gentil », « humble », « sensible », « chic type », sont des mots prononcés par toutes les personnes contactées par Le Devoir qui ont rendu hommage à Pascal.
« J’ai discuté [du départ de Pascal] avec des caricaturistes à travers tout le Canada, et tout le monde l’adorait, rapporte Terry Mosher, qui dessine sous le nom d’Aislin pour The Gazette depuis1972, où il a côtoyé Pascal.
« J’ai discuté [du départ de Pascal] avec des caricaturistes à travers tout le Canada, et tout le monde l’adorait, rapporte Terry Mosher, qui dessine sous le nom d’Aislin pour The Gazette depuis1972, où il a côtoyé Pascal.
Il était bon à tous les niveaux : sur Montréal, sur le Québec, sur Ottawa, de temps en temps sur l’Amérique, et il était très bon sur l’humain. Souvent, ses bonnes caricatures prenaient place dans une chambre à coucher, avec un couple qui discute. Il était très empathique. »
« Je tiens à lui rendre hommage parce que j’ai adoré travailler avec lui, a dit Garnotte, qui a partagé le carré éditorial du Devoir avec Pascal de 2016 à 2019.
« Je tiens à lui rendre hommage parce que j’ai adoré travailler avec lui, a dit Garnotte, qui a partagé le carré éditorial du Devoir avec Pascal de 2016 à 2019.
Je suis en deuil d’un bon ami. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi généreux. Dans le métier, c’était une soie. C’était un bon dessinateur, qui essayait d’abord de faire rire les gens. »
« Pascal s’est toujours défendu de faire de l’éditorial. Le caractère humoristique de ses dessins était très important pour lui. […]
« Pascal s’est toujours défendu de faire de l’éditorial. Le caractère humoristique de ses dessins était très important pour lui. […]
Son regard de caricaturiste, pour moi, c’était le regard du citoyen sur une réalité parfois absurde et aberrante, et des clins d’oeil qui nous faisaient rire », a renchéri Mme Chouinard.
S’il y a une autre caractéristique de Pascal qui semble faire l’unanimité, c’est son perfectionnisme.
« C’était un grand travailleur. Il pouvait recommencer plusieurs fois différentes pistes, et travaillait jusqu’à ce qu’il soit vraiment satisfait », a rappelé M. Garneau.
« Puis il avait une approche graphique très personnelle, avec un trait très près de l’esquisse. Il essayait d’être le plus naturel possible en dessinant, mais tout ça avec énormément de travail. »
« Si vous regardez un de ses dessins de loin, vous savez immédiatement qu’il a été fait par Pascal », a constaté Aislin.
« Si vous regardez un de ses dessins de loin, vous savez immédiatement qu’il a été fait par Pascal », a constaté Aislin.
« Et là, ce qui est triste, c’est qu’on ne verra plus de dessins de Pascal », a déploré, ému, Serge Chapleau.
Malgré sa maladie « impitoyable », qu’il combattait « avec courage et détermination », Pascal travaillait inlassablement ses caricatures, qui finissaient par se polir en petits « bijoux », a raconté Brian Myles.
Malgré sa maladie « impitoyable », qu’il combattait « avec courage et détermination », Pascal travaillait inlassablement ses caricatures, qui finissaient par se polir en petits « bijoux », a raconté Brian Myles.
« Il était un peu torturé, il faut le dire. Des fois, il trouvait une bonne idée le matin à 9 h, puis il passait le reste de la journée à la compliquer. »
« Quand sa maladie a empiré, sa vie est devenue très calculée », a dit Aislin, qui raconte que Pascal devait prendre des médicaments à des heures précises pour réguler les effets de sa maladie et pouvoir travailler.
« Quand sa maladie a empiré, sa vie est devenue très calculée », a dit Aislin, qui raconte que Pascal devait prendre des médicaments à des heures précises pour réguler les effets de sa maladie et pouvoir travailler.
Mais Pascal ne « voulait pas qu’on le considère comme quelqu’un de malade », a ajouté Garnotte.
« Je lui lève mon chapeau, et c’est sûr qu’il va laisser un grand vide au Devoir », a salué son prédécesseur.
« Je lui lève mon chapeau, et c’est sûr qu’il va laisser un grand vide au Devoir », a salué son prédécesseur.
Pascal Élie laisse dans un profond deuil ses « complices » de la caricature, ses collègues du journal, sa conjointe et ses deux enfants.
À sa conjointe aimée et à ses deux fils, dont il était si fier, nous offrons aujourd’hui nos plus sincères condoléances, sous forme d’hommage.
Né quelque part entre la fin du baby-boom et le début de la génération X, Pascal Élie fut un éternel pigiste.
À tout coup, son trait de crayon témoignait d’une capacité de fusionner sa culture de l’actualité, sa vaste connaissance générale, son humour (un peu) noir et tordu et les référents culturels de son lectorat cible.
Pascal n’avait pas que des qualités, malgré son charme indéniable.
Né quelque part entre la fin du baby-boom et le début de la génération X, Pascal Élie fut un éternel pigiste.
Il a fait ses marques à L’Express d’Outremont, un hebdomadaire au sein duquel il affichait déjà sa vive culture, son trait incisif et mordant aux dépens de la gent d’Outremont.
Il a tenu le phare au Journal du Barreau, mettant à contribution ses études en droit pour tourner en dérision les savantes expressions latines que la profession d’avocat tient en si haute estime.
Il a collaboré au journal Les Affaires et à La Presse. Il a tenu le phare au Trente, le magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Il a transgressé joyeusement les frontières linguistiques au quotidien The Gazette avant de se joindre au Devoir.
À tout coup, son trait de crayon témoignait d’une capacité de fusionner sa culture de l’actualité, sa vaste connaissance générale, son humour (un peu) noir et tordu et les référents culturels de son lectorat cible.
C’était un drôle d’animal hybride, capable de s’imprégner de son environnement immédiat et de s’élever au-dessus du groupe pour porter un regard critique et interrogatif sur l’individuel et le collectif.
Pascal n’avait pas que des qualités, malgré son charme indéniable.
Il était l’incarnation même du doute créatif, capable de compliquer une idée simple et géniale en un fouillis nécessitant une introspection dans son âme torturée pour comprendre ce qu’il voulait bien dire.
Marie-Andrée Chouinard, rédactrice en chef, et moi avons embauché Pascal pour succéder à Michel « Garnotte » Garneau en toute connaissance de cause, en 2019.
À la blague, je disais parfois que Pascal Élie était officiellement employé au Devoir, mais qu’il relevait officieusement de Serge Chapleau !
Si le Laszlo Zlotz de Greg avait été dessinateur, dans la bédé Achille Talon, il aurait ressemblé au Pascal des jours de remise en question.
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Marie-Andrée Chouinard, rédactrice en chef, et moi avons embauché Pascal pour succéder à Michel « Garnotte » Garneau en toute connaissance de cause, en 2019.
Collaborateur depuis 2016, l’éternel pigiste en lui avait de la difficulté à revendiquer pour lui-même ce qui lui était dû par la force de son talent et de sa persévérance : un poste permanent dans un média qu’il admirait.
La part ténébreuse en moi se demandait ce que nous allions accomplir, et pour combien de temps, avec un caricaturiste aussi inspiré, mais fragile.
La part ténébreuse en moi se demandait ce que nous allions accomplir, et pour combien de temps, avec un caricaturiste aussi inspiré, mais fragile.
J’ai honte d’avoir douté un seul instant de la détermination obstinée de mon ami à surmonter les limitations d’une maladie qui le rendait graduellement prisonnier de son corps.
Il y avait des journées où Pascal ne pouvait pas se lever avant l’heure tardive des très grasses matinées qu’on ne connaît habituellement qu’à l’adolescence.
Des journées où l’inspiration lui venait si près de l’échéance pour l’édition du lendemain qu’il donnait des sueurs froides au pupitre.
Jamais il ne se plaignait de sa « condition ». Il en parlait peu, sinon avec sa famille et ses amis très proches.
Jamais il ne se plaignait de sa « condition ». Il en parlait peu, sinon avec sa famille et ses amis très proches.
Jamais il ne demandait un traitement particulier. Nous avons vu au fil des ans son visage se crisper, son élocution ralentir.
Nous avons vu toutes ces petites vacheries qu’une maladie dégénérative impose au supplicié sans avertissement.
Même sous les rictus et les contorsions, nous retrouvions toujours notre Pascal, mélange d’humour, d’autodérision, de gentillesse et d’empathie.
Même sous les rictus et les contorsions, nous retrouvions toujours notre Pascal, mélange d’humour, d’autodérision, de gentillesse et d’empathie.
La maladie n’a jamais réussi à terrasser cette humanité et cette dignité ancrées au plus profond de son âme. En cela, il aura été un modèle de courage et de résignation stoïque devant l’adversité.
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À la blague, je disais parfois que Pascal Élie était officiellement employé au Devoir, mais qu’il relevait officieusement de Serge Chapleau !
Les deux comparses et amis échangeaient quotidiennement sur leurs idées respectives dès les premières heures du jour, lorsque la lumière de l’inspiration n’est pas encore voilée par l’angoisse sombre de l’échéance quotidienne.
Véritables boules de doute, d’inspiration et de remise en question, Serge et Pascal testaient ici une idée, ils perfectionnaient là le punch d’un gag.
Dans un univers médiatique trop souvent marqué par une vive concurrence entre les médias et des rivalités professionnelles, leur complicité était admirable.
Dans un univers médiatique trop souvent marqué par une vive concurrence entre les médias et des rivalités professionnelles, leur complicité était admirable.
Elle nous rappelle que la collaboration est plus féconde que l’appétit du gain individuel dans les métiers créatifs, comme le journalisme, un métier dont la caricature est l’un des genres les plus originaux et les plus précieux…
Et fragile, car la confrérie déjà limitée au Québec vient de perdre l’un de ses plus illustres gentlemen.
À titre exceptionnel, Serge Chapleau revient aujourd’hui dans nos pages et plateformes, 26 ans après son départ pour La Presse, afin de rendre hommage à son confrère et ami.
À titre exceptionnel, Serge Chapleau revient aujourd’hui dans nos pages et plateformes, 26 ans après son départ pour La Presse, afin de rendre hommage à son confrère et ami.
C’est dans l’ordre des choses qu’il porte le crayon à mine HB dans la plaie, avec ce dessin sublime qui nous renvoie à l’humanité contorsionnée de Pascal.
Nous remercions chaleureusement Serge Chapleau et la direction de La Presse pour avoir répondu avec élégance à cette demande spéciale.
Pascal mérite bien que son mentor l’accompagne une dernière fois, tout doucement, avec respect, tristesse et admiration.
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