lundi 21 avril 2014

Boucq reprend le personnage de Superdupont

Du blog de Frédéric Potet dans Le Monde.



Il y a une trentaine d’années, François Boucq avait failli reprendre le personnage de Superdupont. Alexis, qui le dessinait alors, venait de mourir. Co-créateur de la série avec Jacques Lob, Marcel Gotlib avait demandé à Boucq s’il se sentait capable de poursuivre les aventures du super-héros en caleçon long et charentaises. L’affaire ne se fit pas, Lob ayant fait la même proposition en parallèle à Jean Solé, qui rafla finalement la mise. Trois décennies plus tard, Gotlib, qui fêtera ses 80 ans en juillet, a réitéré son offre à Boucq.

Celui-ci ne s’est pas fait prier. « Il voulait me voir dessiner le personnage avant de mourir », confie le dessinateur lillois, auteur de nombreuses séries à succès (Face de Lune, Bouncer, Janitor…). Boucq a eu la gentillesse de nous envoyer quelques dessins tirés de l’histoire qu’il est en train de réaliser et dans laquelle nous apprenons – stupeur ! – que Superdupont, fils caché du soldat inconnu, a lui-même… un fils.




Que les inconditionnels du héros 100 % français se rassurent : Boucq ne devrait avoir aucun mal à relever le défi. Primo, il manie une dérision très « gotlibienne » : de nombreux albums désopilants l'attestent (Point de fuite pour les braves, La Pédagogie du trottoir, La Dérisoire Effervescence des comprimés), ainsi que son personnage, l’agent d’assurance Jérôme Moucherot. Secundo, il est un dessinateur plutôt incontestable, pour ne pas dire incontesté, dans le milieu du 9e art. L’un des rares en tout cas, comme l’était justement Alexis, à pouvoir faire de l’humour dans un style réaliste. Cherchez-en d’autres, vous verrez : cela ne court pas les rues.

Comme Enki Bilal (qui n’a, lui, jamais pratiqué l’humour), François Boucq, pur autodidacte, n'est passé par aucune école d’art. La justesse de son trait, son goût pour les perspectives, la facilité avec laquelle il est capable de dessiner une cathédrale en contre-plongée au milieu d’une case laissant peu d’espace à ce genre de fantaisie, tout cela, François Boucq l’a appris en « regardant les autres », explique-t-il ce matin-là, en marge du festival BD à Bastia où une exposition lui était consacrée : « Le dessin est l’exploration du monde des formes. Il s’apprend par les yeux, en observant comment les autres dessinateurs se sont aventurés avant vous dans telle ou telle direction. »

Les « autres », chez lui, s’appellent Vinci, Rembrandt, Ingres… Mais aussi Moebius ou Reiser, deux monstres sacrés de la bande dessinée. A propos du premier, il dit : « Quand il dessinait des rochers, Moebius était dans le débordement sensuel, dans la concupiscence. » Concernant le second, il indique qu’il est « sur un pied d’égalité avec Vinci » : « Ce qui compte, dans le dessin, c’est la justesse : faire en sorte qu’il n’y ait aucune différence entre une intention de départ et la traduction de cette intention. Chez Reiser, il n’y avait pas l’épaisseur d’un cheveu. Comme chez Vinci. »


Le dernier tome du Bouncer, "And Back" (Glénat)


Féru d’ésotérisme (à l’instar d’un de ses scénaristes fétiches, Alejandro Jodorowsky), le Grand Prix d’Angoulême 1999 aime convoquer les quatre éléments – la terre, l’eau, le feu, l’air – pour jauger d’un style graphique. Le dessin d’Hugo Pratt apparaît ainsi à ses yeux « très air, très eau, mais très peu terre et pas du tout feu », dit-il. Celui de François Schuiten, à l’opposé, serait de « la terre qui emprisonne le feu mais à qui il manque l’eau ».

Quant au sien ? « À l’époque de Bouche du Diable (1989), j’avais un dessin très feu, rempli d’énergie, et en même temps très terre, garant d’une certaine stabilité. Il me manquait la légèreté de l’élément air. C’est pour cela que je me suis mis à l’aquarelle. Mon univers était presque trop dense, trop intérieur, comme l’est la culture des gens du Nord à laquelle j’appartiens. Je me souviens de ma grand-mère et de sa petite maison. Il y avait des fleurs partout : sur la tapisserie, dans les cadres accrochés aux murs, sur son tablier, sur sa robe… C’était une jungle étouffante. »

Si 40 ans de carrière ont allégé le style académique de François Boucq, le bédéiste est loin pour autant de se croire arrivé. « Il y a tellement de champs nouveaux à explorer dans le dessin. Comment représenter, par exemple, l’intensité d’un regard ? Ou comment utiliser la dramaturgie de la BD pour parvenir à faire pleurer un lecteur ou à traduire le sublime ? », confie celui qui, à 58 ans, continue de participer à des séances de dessin sur modèle vivant, au sein d’une école d’art de Lille.

La discussion s’oriente vers Cabu qui, à l’époque de ses BD-reportages pour Hara-Kiri et Charlie Hebdo dans les années 70 et 80, dessinait à l’aveugle avec un crayon et un calepin dissimulés dans sa poche. « Quand tu es dessinateur, tu es dessinateur tout le temps, assène Boucq. Là, pendant que tu m’interviewes, je suis en train de me demander comment je ferais si j’avais à te dessiner : quelle forme utiliserais-je pour faire ton nez, tes yeux… »

Un ange passe. Un bref instant, on s’est cru devenir un personnage du prochain Superdupont. Plutôt du côté du super-héros à béret basque que dans le camp des affreux vilains de l’Anti-France.


AJOUT

François Boucq ("Superdupont") : « Le trait contient sa propre charge d’humour »

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