Yves Bergeras dans Le Droit.
Plus habitué à travailler en « ermite », penché sur sa planche à dessins, qu'aux projecteurs, le créateur de la série Paul, Michel Rabagliati, s'amuse beaucoup d'être, à son corps défendant, au centre d'une énorme attention médiatique depuis qu'il a coscénarisé le film Paul à Québec en compagnie du réalisateur François Bouvier.
Le film sera logiquement projeté dans le cadre de la 13e édition du Rendez-vous de la BD de Gatineau, qui se tient à la Maison du citoyen du 27 au 29 novembre, et dont Michel Rabagliati assure la présidence d'honneur. À double titre, puisqu'il a publié, dans la foulée de la sortie du film, le huitième tome des aventures de son alter ego de papier.
Intitulé Paul dans le Nord, le récit plonge dans l'adolescence de Paul, qui partira sur le pouce découvrir les Laurentides, les filles et les beuveries entre amis. À cet âge, « Paul est systématiquement désagréable avec ses parents ». Il lui arrive même de sacrer. Le récit, comme toujours, puise passablement dans des éléments autobiographiques.
« J'étais moi aussi particulièrement exécrable avec mes parents, quand j'avais son âge. Je voulais m'évader, m'affranchir. Et à l'adolescence, il n'y a aucun conseil qui rentre. Ça m'amusait d'explorer ça. Ma fille, qui a 20 ans, a été très babouneuse. Ç'a aussi sonné une cloche », indique Michel Rabagliati, 54 ans, qui se souvient être tombé éperdument (et éphémèrement) amoureux d'une demoiselle Linda, durant le fameux Summer of Love. Tout comme Paul.
« Pour continuer à rester captivé » par sa série, le dessinateur s'est imposé certaines contraintes, comme de travailler graphiquement une tempête de neige, et pousser plus loin la minutie des détails qui, dans le décor, ancre le récit dans une époque précise et renforcent l'authenticité de l'atmosphère. Les Jeux olympiques de Montréal, un sujet très peu traité en BD, dit-il, lui a servi de toile de fond.
Se pencher sur la jeunesse de Paul était aussi un prétexte pour « ne plus parler de sa blonde », Lucie. Car après avoir vécu en couple pendant 35 ans, l'auteur s'est retrouvé célibataire. Et ne se sentait pas du tout à l'aise de poursuivre la relation romantique entre Paul et Lucie, personnage qui était largement inspiré de son ex à lui. « C'est un peu le piège de l'auto-fiction , concède-t-il, un sourire amer dans la voix. J'ai donc préféré aller chercher des sujets plus loin dans mon passé .»
Paul jeune, Paul vieux
L'album marque sans doute « la fin du cycle de jeunesse, pour Paul », signale toutefois l'auteur. S'il est encore « loin d'avoir fait le tour » de ce personnage qui demeure « idéal, pour un auteur, car il est très flexible », Michel Rabagliati compte fermement « marquer une rupture », de style, de ton ou les deux à la fois, lorsqu'il planchera sur sa prochaine BD.
« J'ai envie de travailler au crayon de plomb, de laisser tomber l'encrage, d'essayer autre chose. [...] Paul pourrait devenir un personnage vraiment très secondaire. »
Au point d'envisager même ne plus indiquer son prénom dans le titre, signale-t-il. L'auteur veut s'éloigner du « côté très guilleret, plein d'énergie du personnage qui se retrouve dans les cases de Paul en appartement ».
« Je n'ai pas encore trouvé l'angle, mais j'ai l'impression que quelque chose va changer, devenir plus adulte, plus contemplatif, ou moins ensoleillé, mettons, que les premiers [tomes]. Je le vois bien devenir vieux... »
Vu le succès en salles de Paul à Québec, une autre adaptation cinématographique de Paul n'est pas exclue. D'ailleurs, à l'origine, le plan était d'adapter Paul a un travail d'été, déjà « plus formaté comme un film ». Mais les producteurs ont estimé que ce récit n'était pas viable au cinéma: « ce sont des jeunes dans le bois; les plus vieux, les animateurs qui les encadrent, ont tout au plus 19 ans. Les comédiens auraient été de parfaits inconnus. Il n'y avait pas de place pour la moindre tête d'affiche », explique-t-il en riant. « S'il y a un autre film, ce sera sans doute lui .»
Le bédéiste-vedette ne courra pas après. Si jamais il y collabore, ce sera d'assez loin. Car Michel Rabagliati reste mi-figue mi-raisin, quant au plaisir éprouvé sur un plateau. « Pour un auteur de BD, c'est déjà beaucoup de travailler à deux, à l'écriture... alors, avec cette énorme équipe... Non, ce n'est vraiment pas un métier pour moi. Quand le budget est enfin débloqué, tout va très vite, une armada se met en place, toutes les journées sont ultra-planifiées... C'est tout le contraire d'être seul à travailler sur ses trucs en prenant tout son temps, se gratter la tête ou regarder par la fenêtre. Tout ça m'a rassuré sur mon vrai métier: être assis à ma table, comme je fais depuis toujours. »
Paul et « nous »
Le succès que connaît Paul ne cesse d'émerveiller Michel Rabagliati. Il se dit particulièrement fasciné d'observer à quel point les gens qui viennent à sa rencontre dans les salons littéraires et autres séances de dédicace, « ne [lui] parlent jamais de Paul, mais d'eux-mêmes ».
« C'est très étonnant et très drôle, mais ils me parlent au 'je', et me racontent leur vie à travers les personnages dans lesquels ils se sont reconnus. Ils se disent contents que j'aie mis le doigt sur des trucs qui les touchent de près. Paul, c'est très local, très 'nous' [Québécois]. »
Un phénomène lié au côté passe-partout du personnage, analyse Michel Rabagliati, ravi de toucher ainsi le public. « Paul, c'est un peu comme les romans-feuilleton » télévisuels à rallonge, dont les personnages sont assez neutres pour faciliter l'identification et la projection parmi les adeptes.
Mais c'est oublier que les décors de chacun de ses albums fourmillent de petits détails - de plus en plus nombreux, car cela fait partie de sa démarche d'auteur et de son trip - qui renforçant l'authenticité des lieux et des atmosphères. Et qui finissent par dessiner, mieux que quiconque, ce contexte dans lequel se reconnaît instantanément ce « nous ».
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